La situation de la compagnie aérienne historique argentine aurait dû être définitivement réglée à la mi-septembre, date à laquelle il était prévu que les deux parties, la société privée Marsans qui avait racheté Aerolineas Argentinas à Iberia en 2001 d’une part, et l’Etat argentin qui en reprend le contrôle après 18 ans de privatisation, d’autre part, auraient dû s’entendre sur le prix de rachat. C’était sans compter sur la résistance de Marsans qui n’a reculé devant aucune manoeuvre, même les plus cyniques, pour retarder la passation du contrôle. Dans son arsenal juridico-tactique, la fixation de l’Assemblée Générale le 14 octobre, un mois après la date-butoir fixée par l’accord bilatéral de juillet.
A l’occasion de cette assemblée générale, Marsans, actionnaire majoritaire, a affiché ses exigences financières : de 250 à 480 millions de dollars américains, selon les évaluations réalisées par le Crédit Suisse en fonction de différents modes de calcul (avec des techniques de valorisation financière d’une complexité surréaliste, puisqu’elles intègrent un capital en partie virtuel et des subventions publiques espagnoles dont plus personne n’arrive à dire ni ce qu’elles sont devenues ni à quoi elles peuvent bien avoir servi). Estimant que les actifs matériels ont été réduits à néant par Marsans, qui a presque tout vendu, en particulier les simulateurs de vol pour la formation continue des pilotes et la majeure partie de la flotte, la République argentine envisageait de capitaliser les sommes publiques qu’elle a injectées depuis juillet dans le fonctionnement de la compagnie. Le gouvernement argentin a en effet garanti entre autres les salaires dont l’actionnaire majoritaire menaçait de suspendre le paiement. Marsans a tout laissé partir à vau-l’eau tout et a poussé le cynisme jusqu’à imputer aux syndicats la responsabilité de tous les maux soufferts par la Compagnie... Ben voyons ! C’est sûrement les syndicats qui ont décidé de vendre tous les matériels d’exploitation et de louer les avions et les simulateurs de vol. C’est bien connu : les pilotes de ligne adorent travailler sur des machines louées à droite et à gauche !
L’AG de mardi, dominée par Marsans, a refusé tout net la solution proposée par le Gouvernement argentin, qui était pourtant une proposition amiable.
Aujourd’hui, la Cour des Comptes argentine a publié sa propre évaluation établie avec les mêmes techniques comptables que celle invoquées par le Crédit Suisse et il conclut sans surprise à une valeur négative qui atteint les - 622 millions de dollars, et même, en changeant certains paramètres de calcul, la somme de - 832 millions.
Marsans, soutenu par le gouvernement espagnol car il est un acteur important du secteur touristique de la Péninsule, et l’Etat argentin sont arrivés à une telle opposition frontale qu’il paraît impossible qu’un terrain d’entente soit encore trouvé dans le mois que les deux parties se sont encore accordé pour résoudre la situation. On s’achemine donc vers la dénonciation par le Congrès de l’accord signé en juillet entre Marsans et l’Etat. L’accord devra être déclaré nul pour qu’il ne puisse pas être opposé à l’Etat argentin devant une quelconque cour de justice après l’expropriation. Ensuite, selon toute probabilité, l’Etat entamera la procédure d’expropriation elle-même, une procédure très lourde puisqu’elle vise une société de capitaux étrangers. Mais les méthodes de gestion de Marsans (défaut de paiement des impôts et défaut de publication de comptes annuels) offrent à l’Etat argentin quelques arguments de nature à légitimer sa démarche.
En attendant, les salariés de la compagnie ne savent toujours pas à quelle sauce ils vont être mangés. On imagine sans difficulté la pénibilité de leur situation au jour le jour, d’autant qu’une compagnie d’aviation transatlantique a par définition un personnel géographiquement éclaté sur plusieurs continents et une communication interne délicate à mener entre un siège social installé en plein centre de Buenos Aires (à la jonction entre la Diagonal Norte et la rue Florida), les comptoirs de l’aéroport d’Ezeiza et les nombreuses escales dans tous les aéroports d’où opère Aerolineas Argentinas, en Amérique et en Europe en particulier.
A eux, à ceux qui ont enregistré mes bagages aux comptoirs de l’aéroport international d’Ezeiza, à ceux avec qui j’ai traversé le Charco et l’équateur à bord d’avions sans doute loués, à ceux qui se sont démenés à Roissy pour retrouver mes bagages égarés par Air Comet quelque part à Barajas et à ceux qui lisent de temps en temps ce blog depuis Paris, je pense cordialement aujourd’hui.