Aujourd’hui, le Parti Justicialiste (péronisme) fête son Día de la Lealtad, une célébration interne propre à cette formation politique fondée par Juan Domingo Perón au milieu des années 40, lorsque lui-même, alors Secrétaire d’Etat au Travail, se présenta à l’élection présidentielle, qu’il remporta haut la main dans un scrutin démocratique, sans violence ni fraude (cela faisait 16 ans que l’Argentine n’avait pas connu cela).
Aujourd’hui, le PJ est dirigé par l’ancien Président de la République, Néstor Kirchner, époux de la Présidente actuelle, Cristina Fernández de Kirchner, et il est en proie à des déchirements terribles et des luttes de courants internes, entre de vieux courants péronistes favorables à un parti monolithique (comme sous le Général, mort en 1974) et d’autres courants ouverts à diverses alliances. Dans le même temps, un ancien président du PJ, Carlos Menem, le président bling-bling des années 1990 qui vendit toutes les gloires nationales à l’encan, dont la compagnie d’aviation Aerolineas Argentinas cédées pour des queues de cerise à Iberia et la compagnie pétrolière YPF vendue à Shell pour pas grand-chose, est appelé à comparaître en justice pour une affaire de trafic d’armes où il tient le rôle d'accusé principal. L’intéressé pour le moment a pu retarder l’échéance en s'abritant derrière un certificats médicaux et des tas d’autres bonnes raisons grâce auxquelles il a courageusement pu déserter depuis quelques semaines le devant de la scène. Les journalistes ont aujourd’hui l’oeil et l’oreille rivés aux différentes cérémonies que présideront les membres du Bureau du PJ ainsi que la Présidente d’un bout à l’autre du pays pour essayer de savoir qui pense quoi et qui prépare quelle stratégie interne...
Le PJ a des liens institutionnels historiques avec le syndicat CGT, les administrateurs du syndicat ayant aussi des responsabilités au sein du PJ, comme c'était aussi le cas il n'y a pas si longtemps en France entre le PCF et la GCT. Cette collusion historique durable suscite l'opposition d'organisations plus récentes comme la CTA, qui radicalise ses positions face à une CGT plus disposée à composer avec le pouvoir en place dès lors qu'il est apparenté au PJ, comme c'est le cas aujourd'hui.
La Présidente actuelle a été élue dans le cadre d’un ticket présidence-vice présidence justicialiste-radical placée à la tête d’une coalition électorale appelée Frente Para la Victoria, qui a semé aussi la zizanie dans les rangs de l’UCR (Unión Cívica Radical). L’UCR voit en effet d’un très mauvais oeil l’un des siens, le vice président Julios Cobos, s’allier à un parti que l’UCR a toujours honni et qui lui a pris bon nombre de ses militants dans les années 40, à commencer par un certain Homero Nicolás Mancione Prestera, plus connu sous le nom de Homero Manzi, grand poète qui avait toujours milité à l’UCR jusqu’à l’irruption de Perón et de son programme social dans la vie politique nationale en 1943, grand poète et grand militant qui fut exclu sans ménagement de l’UCR, sans même avoir été entendu par les instances de son parti. La blessure de cette rupture était si profonde du côté UCR que le 3 mai 1951, lorsque Homero Manzi mourut en pleine gloire artistique à l’âge d’à peine plus de 43 ans, les élus radicaux furent les seuls à ne pas se joindre aux manifestations de deuil et d’hommage que le Congrès rendit au Maître. Et ça continue aujourd’hui...
Mais au fait, pourquoi le 17 octobre ?
Parce que le 17 octobre 1945 est une grande date pour le péronisme et une date-clé pour l'histoire de l'Argentine au 20ème siècle, le début d'une époque-charnière dans le siècle, qui va du 17 octobre 1945 au 20 septembre 1955, celle où Perón, main de fer et sourire d'ange, a gouverné l'Argentine.
Pour comprendre ce qui s'est passé le 17 octobre 1945, il faut remonter à 1916, l'année où a été porté à la Casa Rosada le premier Président de gauche, le co-fondateur de l'UCR, Hipólito Yrigoyen. Yrigoyen a mené une politique délibéremment nationaliste, affirmé l'indépendance de l'Argentine sur le plan international et évincé de bien des domaines économiques la grande puissance commerciale qu'était l'Angleterre, laquelle avait pris dans le pays la place économique laissée vacante par l'Espagne depuis la guerre d'Indépendance. Son successeur, un radical comme lui, Marcelo T. de Alvear, se montra un peu plus conciliant, moins tranché, moins autocratique aussi dans l'exercice du pouvoir. Aussi quand Yrigoyen fut réélu en 1928, l'Angleterre n'a pas apprécié. Et c'est appuyé par la puissance économique anglaise qu'un groupe d'officiers a renversé le Président Yrigoyen le 6 septembre 1930.
S'en est suivie une période dictatoriale, avec couvre-feu et censure des journaux. Homero Manzi, encore étudiant, se fit arrêter en octobre, dans une imprimerie clandestine où il faisait éditer une feuille de chou universitaire favorable au rétablissement de l'ordre constitutionnel et au retour au pouvoir du Président. Il fut deux mois au secret, dans une prison dans la cour de laquelle il entendait les prisonniers anarchistes se faire fusiller sans procès...
La période anti-constitutionnelle, riche en révolutions de palais et en élections truquées, annulées et retruquées, dura 13 ans (pendant lesquels Homero Manzi fit de la résistance armée avant de fonder un mouvement politiqu, la FORJA, avec un programme reprenant les grandes lignes yrigoyennistes). Le 4 juin 1943, un groupe d'officiers, le GOU (Groupement des Officiers Unis), s'empara du pouvoir pour empêcher l'entrée en guerre de l'Argentine sous la pression non plus tant de l'Angleterre que des Etats-Unis. Perón participa au coup d'Etat et comme il avait les dents longues, ses compagnons lui laissèrent un os à ronger : le Secrétariat d'Etat au Travail, espérant qu'il allait s'embourber dans les questions sociales. Que nenni ! Il fit une politique sociale efficace qui le rendit immensément populaire et lui valut le soutien inconditionnel et indéfectible d'un grand syndicat, la CGT. Une fois la paix revenue, les dissensions dans le GOU purent se faire jour et le 9 octobre 1945, une faction accula Perón à la démission et le relégua le jour même dans l'Ile Martín García au large de Buenos Aires.
Le 17 octobre, une marée humaine envahit la Plaza de Mayo. 150 000 personnes acclament Perón et exige son retour. A 23h30, la fenêtre du balcon d'honneur de la Casa Rosada s'ouvre et Perón réapparaît. Libre. Rétabli dans ses responsabilités ministérielles. Avec son sourire radieux, qui rappelle celui de Carlos Gardel, il salue la foule. De facto, il vient de gagner la prochaine élection présidentielle. Le 24 février 1946, il est élu avec 56% des voix. Son opposition, dont fait partie l'UCR mais pas la FORJA, est KO debout et ne s'en remettra jamais vraiment. Elu démocratiquement, sans fraude, sans violence (c'est la première fois depuis 1930), il va gouverner d'une manière autocratique, appuyé sur un appareil policier très efficace et une censure politique de fait, en pleine guerre froide, sans violer la Constitution (il y aura toujours une opposition au Congrès) et doter l'économie argentine d'une part d'autonomie face à la nouvelle puissance post-coloniale que sont les Etats-Unis. Les Etats-Unis qui finiront par le déloger de la Casa Rosada, le 20 septembre 1955, au terme du deuxième coup d'Etat monté par la CIA et une bonne partie de la Marine argentine (Perón est un officier de l'Armée de Terre, un chasseur andin). Un coup d'Etat sanglant qui s'y prend à deux fois, en juin et en septembre. La loyauté dont il s'agit aujourd'hui est celle du peuple argentin à un Ministre social...