Les outils statistiques dont je dispose sur ce blog me permettent de constater qu'en ce moment il est beaucoup consulté sur le thème de la grippe A. Visiblement, le sujet préoccupe les Français et les Européens puisque beaucoup d'entre vous qui arrivent par ce sujet n'aurait sans doute jamais ouvert ce blog sans cela et les Argentins, eux, consultent les articles qui portent sur le tango (ou la politique)...
Il se trouve qu'hier j'ai appelé plusieurs de mes amis à Buenos Aires. Ayant reçu dans la nuit précédente quelques mails de personnes que je sentais découragées mais où je ne voyais aucune peur transparaître, j'ai voulu entendre de mes oreilles la voix de quelques amis que j'espérais pouvoir trouver chez eux dans l'après-midi de vendredi. Il ressort de ces conversations que la situation est beaucoup moins grave que ce que les medias en disent, ici comme là-bas, et en particulier à la télévision dont le besoin d'images spectaculaires, ici comme là-bas, déforme le rendu de la réalité.
Rappellez-vous, on avait observé le même phénomène en avril au sujet du Mexique, quand les voyageurs de retour à Roissy, à Zaventem ou à Cointrin, regardaient bouche-bée la meute journalistique qui leur tendait des micros, parce qu'au Mexique l'alarme n'était pas de mise.
Les Portègnes comme les habitants de la Province de Buenos Aires ont reçu des indications sur les comportements à avoir et les gestes à faire lors de la mise en place de l'état d'urgence sanitaire en début de semaine (lire l'article à ce sujet).
Beaucoup de gens, au moins à un certain niveau d'éducation et de culture, se sont munis de masques et de flacons de solutions alcoolisées qui leur permettent de se laver les mains fréquemment. Dans les milongas, des distributeurs de solutions antisceptiques sont disposés sur les tables pour permettre aux danseurs de se désinfecter les mains à chaque cortina (le nom de la pause qui sépare deux séries de 4 tangos et permet le changement de partenaire). Les tables, de part et d'autre de la piste, ont souvent aussi été plus espacées. Et cela ne fait pas perdre de clients puisque, de toute façon, ils sont moins nombreux. Certaines milongas sont à moitié désertes. Un certain nombre de cinémas ont annoncé qu'ils ne vendaient plus à chaque séance que la moitié des places disponibles pour permettre aux spectateurs de n'occuper qu'un siège sur deux. Quelques cours de tango (danse), pour les adultes, ont été suspendus pendant la durée des vacances d'hier et ne reprendront qu'au début août. L'ensemble des cours délivrés aux enfants sont suspendus par l'état d'urgence lui-même. Plusieurs spectacles sont aussi parfois annulés sur décision de leurs propres organisateurs, parfois très tard, quelques heures avant l'heure prévue pour le début : Pepe Kokubu a finalement envoyé jeudi soir un mail à tout son réseau pour annoncer l'annulation de son récital prévu hier (que j'avais annoncé et qui reste annoncé dans cet article de Barrio de Tango) et les activités même du Club Europeo (un cercle d'hommes d'affaires) reprendront à une date ultérieure, lorsque l'état d'urgence sanitaire sera levé ; la chanteuse Alicia Pometti a fait de même pour la soirée qu'elle anime toutes les nuits de vendredi à samedi avec Mabel Simoncini et Graciela Siman au premier étage de Taconeando (voir l'article de mars sur cette soirée hebdomadaire) ; Marina Baigorria, la chanteuse de La Biyuya, vient de nous annoncer l'annulation de leur deux shows de ce soir et demain (lire l'article d'hier qui annonçait le show de demain). La Semaine de Boedo, qui devait animer ce quartier tout au long de la semaine prochaine, n'aura finalement pas lieu. Alorsa devait venir y chanter mais l'initiateur du projet, Idelfonso Pereyra, a jugé que c'était prendre une trop grande responsabilité que de maintenir ce festival au moment le plus fort des épidémies diverses et variées qui courent en ce moment. A chaque fois, il s'agit d'une mesure de précaution.
Il est probable que les festivités du 9 juillet (fête nationale célébrant la deuxième déclaration d'indépendance, celle de 1816) seront réduites, cette année, à leur plus simple expression. Il en va de même pour les manifestations qui doivent marquer le Día Nacional del Bandonéon, le 11 juillet. Et la tenue du Festival de Tango de La Falda dans 10 jours pourrait aussi dépendre de l'évolution de la crise.
Sur le strict plan clinique, la situation est loin d'être dramatique, m'a dit Luis Alposta, un poète bien connu des lecteurs habituels de Barrio de Tango doublé d'un médecin, même si elle doit être abordée avec sérieux et professionnalisme par les autorités sanitaires et politiques. Il existe dans les médias une exploitation malsaine de la situation et on y fait appel à des personnalités assez peu responsables, comme tel ponte de la faculté qui déclare que le masque n'est d'aucune efficacité pour lutter contre la maladie. Comme m'a dit Luis, on se demande alors pourquoi un chirurgien se couvre systématiquement le visage avant une intervention sur un malade... Forts de ce genre de déclaration, de nombreux Portègnes refusent de porter un masque lorsqu'ils se trouvent dans les lieux publics (métro, bus, rue, centre commercial...). Et pourtant, dans certaines pharmacies, on manque parfois de masques. Les gens les achètent mais reculent le moment de l'utiliser. Il est vrai que le goût des Argentins pour l'élégance est proverbiale. Peut-être aussi certains distributeurs profitent-ils de la situation pour augmenter les prix. Un patient de Luis s'est vu proposer dans une officine en ville un masque à 10 $ pièce. Un prix invraisemblable. Imaginez-vous, avec les niveaux de prix existant ici en Europe, un pharmacien vendant ce même masque à 10 € l'unité et vous aurez une idée de l'indécence du prix de ce praticien indélicat. Comme quoi, il y a des gens malhonnêtes dans tous les métiers.
Il est probable que le changement de ministre de la santé intervenu au début de la semaine (lire l'article) permettra de mettre fin à certains dysfonctionnements des pratiques préventives. Le comportement du public général semble montrer que les messages utiles et compréhensibles n'ont pas atteint toutes les couches de la population. Sans doute ont-ils été trop tardifs pour toucher la société en profondeur. Et si les journalistes de télévision ou de radio ajoutent à la psychose en diffusant des déclarations ineptes, cette situation se comprend.
Dans ce genre de crise, les journalistes devraient s'interdire les déclarations scientifiquement contestables alors qu'en période ordinaire, on peut se permettre de laisser dire des bêtises, à condition d'avoir les moyens de les critiquer. Il y aura toujours une partie de la population qui n'entendra pas la critique et ne retiendra que la bêtise mais c'est le prix à payer en démocratie. Or quand la santé des personnes fragiles est ainsi mise en danger par la propagation d'un virus contre lequel elles ne peuvent pas avoir de défense immunitaire, la déontologie devrait parler très fort à l'oreille des professionnels des moyens de communication...
Si vous vous apprêtez à partir pour l'Argentine,
laissez donc parler votre bon sens.
De deux choses l'une :
Ou votre état de santé vous range dans cette petite minorité de personnes qui courent un risque particulier que la grippe A soit méchante pour eux et vous le savez donc déjà, pour autant que vous soyez régulièrement suivi par un médecin. Dans ce cas, renoncez à votre voyage pour le moment ou reportez-le si vous le pouvez au mois d'août, le plus tard que vous pourrez dans la saison. Attention aux enfants et aux adolescents : ils semblent plus sensibles que les adultes à l'infection de la grippe A, en Argentine comme en Europe. Pour les voyages en famille, juillet n'est donc peut-être pas le meilleur des mois.
Ou vous êtes en bonne santé, sans problème chronique ni ponctuel affectant vos défenses immunitaires, et dans ce cas, vous pouvez partir dès maintenant. Mais en respectant scrupuleusement les précautions les plus élémentaires. Commencez par vous renseigner sur les site du Ministère des Affaires étrangères ou du Ministère de la Santé de votre pays. LA plupart présente des informations sur les crises sanitaires. Celui du Quai d'Orsay est bien fait et son exhaustivité et sa fiabilité sont reconnues un peu partout dans le monde. Et si vous parlez espagnol, consultez aussi le site du Ministère de la Santé argentin et le site de la Ville de Buenos Aires ou celui du Ministère de la Santé de la Province de Buenos Aires (en fonction de votre lieu de destination).
Ensuite, munissez-vous de flacons de solution alcoolisée (bagages de soute) et de lingettes imprégnées d'alcool (bagage de cabine). Procurez-vous ici des masques de chirurgien que vous n'utiliserez qu'en cas de symptômes grippaux (toux, écoulement nasal, fièvre, courbatures). Cela tranquillisera votre entourage, à l'hôtel, dans l'hostel, dans l'immeuble, dans le métro, dans le taxi, dans la rue... Et allez aussitôt consulter un médecin (un médecin de ville, un médecin dans un dispensaire ou dans un hôpital et si vous ne pouvez atteindre aucune infrastructure médicale par vous-même, le numéro à faire pour les urgences est le 103 - à n'utiliser qu'avec parcimonie et pour des urgences vitales, par pour un nez qui coule). Ne pratiquez aucune auto-médication à moins que votre médecin traitant ne vous ait lui-même indiqué la marche à suivre.
Et ne prenez pas d'aspirine (même pour calmer la douleur des courbatures). Il semble que l'aspirine puisse avoir un effet sur le virus mais pas dans le bon sens : il est possible que la prise de ce médicament favorise certaines formes graves de la maladie, voire provoque certaines complications grippales. L'aspirine ne doit évidemment pas être confondue avec un simple antalgique. L'aspirine, la vraie, a un effet antalgique et un effet anti-inflammatoire. Et même si vous restez de ce côté-ci de l'Atlantique, soyez prudent : évitez les traitements de longue durée à l'aspirine, ils pourraient vous fragiliser à l'arrivée du virus, qui arrivera en force pour nous à l'automne.
Et si vous partez en Argentine, surtout n'attendez pas d'être là-bas pour acheter ces fournitures même si elles sont moins chères sur place. Il y a des économies de bouts de chandelle dont il vaut mieux s'abstenir. Là-bas, vous pourriez tomber sur des officines en rupture de stock et vous participeriez, vous le touriste, à la psychose collective dont il faut au contraire se distancier. Et puis pensez que vous aurez du mal à vous faire comprendre d'un pharmacien argentin si vous toussez, si vous êtes assommé par la fièvre, si vous parlez du nez. Il n'est pas dit que le praticien comprendra votre anglais, encore moins votre français et même pas votre espagnol si vous ne parlez pas couramment cette langue.
Faites la même chose si vous partez en août. Le plus gros de l'épidémie sera passé, la chaleur reviendra (il fait 15-17° au début août à Buenos Aires même) mais vous pourrez tout de même attraper une grippe, un rhume, une angine ou une bronchite et ce n'est pas la peine d'affoler les gens autour de vous avec une quinte de toux. En août aussi, ayez des masques à votre disposition et de quoi vous décontaminer souvent les mains. Et les vacances se passeront très bien.
Et comme Luis Alposta ne perd jamais son sens de l'humour ni sa curiosité intellectuelle, aussitôt le combiné reposé, il m'a envoyé par mail un avant-goût de son prochain billet sur Noticia Buena (lire les articles au sujet de Noticia Buena) : ce sera un entrefilet sur le tango et la grippe, surtout celle qui frappa la France et l'Europe au lendemain de la première guerre mondiale, quand on ne savait même pas encore que la maladie était due à un virus, et qui fit aussi des victimes nombreuses dans l'hémisphère sud six mois plus tard. Voilà la couverture d'une partition d'un tango qui fut composé sur ce thème. Vous remarquerez que le titre est écrit à la française (grippe avec deux p, en Argetine on dit gripe ou influenza, selon la terminologie anglo-saxone), que le tango est qualifié de "contagieux" et qu'il est dédié (tout en haut) à l'Assistance Publique...
Cadeau du Dr. Alposta... Je vous donnerai le texte de la chronique en son temps.
Couverture de la partition (collection personnelle de Luis Alposta)