vendredi 24 juillet 2009

Anna Saeki dans Ecos de la Voz sur Radio Sentidos (article n° 800) [Radio]


Un événement familial m'a éloignée temporairement de Barrio de Tango. Mais à Buenos Aires, la vie continuait et mercredi, Marta Iglesias envoyait à tous ses contacts l'information selon laquelle elle recevrait (hier soir) au micro de Ecos de la Voz, son émission sur Radio Sentidos, la chanteuse japonaise Anna Saeki, actuellement à Buenos Aires, après sa participation au Festival de La Falda (lire mon article à ce sujet). J'ai donc décidé aujourd'hui de consacrer le 800ème article de ce blog sur l'actualité du tango argentin à une chanteuse japonaise de tango ET de folklore qui "cause dans le poste" d'une radio digitale toute nouvelle, offrant un vaste choix de contenu culturel accessible au monde entier, pour autant qu'il se donne la peine d'apprendre un peu la langue de Cervantes et de Villoldo (1) (car il existe de menues différences lexicales et grammaticales entre l'une et l'autre).

Ce soir, vendredi, Anna Saeki est au Chalmers Club avec Nosotras y el tango (lire l'article).
Demain soir, elle sera au Velma Café comme chanteuse invitée de Tangoloco, un groupe de tango, qui fait dans l'électro-tango et aime revisiter les standards du rock (lire mon article à leur sujet l'année dernière). Tangoloco est dirigé par le compositeur Daniel García qui a signé Cantar es vivir, que la chanteuse japonaise crééra demain soir au Velma Café. Le lien entre les deux concerts, celui du Chalmers Club et celui du Velma Café, c'est la letrista Marta Pizzo qui le fait. En effet, elle est, avec Claudia Cartié, l'une des initiatrices de Nosotras y el Tango, un groupe de chanteuses qui revendique l'apanage de donner au tango un visage féminin (2). Et Marta Pizzo est aussi l'auteur des paroles de Cantar es vivir (Chanter c'est vivre).

Du coup, le bandonéoniste invité par Marta Iglesias lui ayant fait faux bond à l'avant-dernier moment (pour cause de grippe ou d'angine, des maladies de saison), Marta Pizzo a suggéré à l'animatrice, qui est aussi son amie, d'inviter Anna Saeki. Tant mieux pour nous qui pouvons ainsi entendre une trop courte interview de cette excellente chanteuse japonaise et écouter trois morceaux de son dernier CD, un album de folklore argentin et non de tango, car Anna Saeki ne se cantonne pas au tango...

L'émission est disponible pendant une semaine, depuis hier soir 18 h, heure de Buenos Aires, en streaming sur la page de Ecos de la Voz (sous le lien). La chanson qui ouvre l'émission est écrite (et interprétée) en japonais, elle n'en a pas moins un véritable cachet sud-américain sans aucune ambiguité possible. Cette chanson, Aika-Kizuma, appartient au plus récent album de la chanteuse, Yo vengo a ofrecer mi corazon (je viens vous offrir mon coeur), enregistré l'année dernière à Buenos Aires et sorti cette année en mars-avril. Un bel équilibre pour une pièce écrite par Anna Saeki elle-même et composé par le pianiste argentin Popi Spatocco, qui est aussi le directeur de production du CD, lequel compte parmi les artistes invités des musiciens de la taille de Mercedes Sosa (l'une des plus grandes folkloristes actuelles en Argentine), León Gieco (Marta Iglesias y fait souvent allusion au cours de l'émission) et Teresa Parodi, la directrice du centre culturel ECuNHi, dont je vous ai parlé il y a quelques mois; à l'occasion d'un spectacle qu'elle a conçu avec Horacio Molina et qu'ils ont donné à City Bell, dans le Gran Buenos Aires (lire l'article).
Peut-être serez-vous surpris d'entendre Anna Saeki s'exprimer en japonais (avec traduction par sa représentante en Argentine). J'ai moi-même eu un sursaut ce matin en écoutant l'émission puisque je me souviens clairement avoir entendu Anna Saeki parler en espagnol et très bien sur la scène du Salón de los Angelitos Horacio Ferrer à la Academia Nacional del Tango en août dernier (lire l'article). Il est vrai que répondre en direct à une interview au micro d'une radio est plus impressionnant que de parler à un public, que l'on peut voir, dans une salle éclairée, et en ayant pu préparer soigneusement son discours auparavant (et avec Horacio Ferrer à côté de soi) (3). Ainsi donc Anna Saeki parle en japonais, ce qui réduit de moitié, hélas, son temps de parole, déjà pas bien long. Dans les 50 minutes que dure l'émission, malgré les tunnels de pub et les interventions téléphoniques, flatteuses pour Anna Saeki et auto-promotionnelles, de Claudia Cartié et Marta Pizzo, Marta Iglesias et Susana Lopez parviennent à passer trois pistes du disque, ce qui a le mérite incontestable de constituer pour nous une excellente façon de découvrir l'album en question, ce talent et cette voix, puisque le site de la chanteuse ne présente aucun document audio.

Horacio Ferrer, dont elle est l'une des meilleures interprètes de l'heure, dit de la voix d'Anna Saeki qu'elle "est comme un parfum". Alors disons qu'ainsi vous en aurez une exhalaison. Pour le parfum lui-même, il faudra tout de même vous rabattre sur les flacons, vrai de vrai. Mais rassurez-vous, les disques ne sont pas si difficiles à acquérir pour les francophones si vous vous adressez (hors période de vacances estivales) à l'association AKJW, qui représente la chanteuse en Europe. L'antenne française de cette association promeut la culture japonaise en francophonie, elle est installée à Paris, en plein coeur de la zone Euro, ce qui nous simplifie la vie par rapport à Osaka, je vous l'accorde volontiers. Je vous renvoie donc à ce propos à mon article du 25 avril dernier sur les CD de la chanteuse (lire l'article).

Et si j'ai parlé d'une "courte interview", c'est que Ecos de la Voz présente quelques petits défauts de jeunesse. En fait l'émission a, comme on le dit ordinairement, les défauts de ses qualités. L'émission se veut fidèle reflet de la vie artistique et culturelle à Buenos Aires (et Dieu sait si dans la capitale argentine cette vie est riche, multiforme et si elle part dans tous les sens, Barrio de Tango tâche de vous en donner une petite idée depuis un peu plus d'un an). La conceptrice et principale animatrice, Marta Iglesias, qui assure la technique de ADN Tango, sur la même radio digitale, veut faire, ce qui est fort louable, une émission sans directivité de sa part et sans censure, elle veut offrir un espace interactif où public et invités disposent de la plus grande liberté de dire ce qu'ils veulent, un peu comme lors d'une scène ouverte. L'idée est des plus sympathiques et doit être encouragée et soutenue. Mais elle présente plusieurs difficultés de mise en oeuvre.

Tout d'abord, l'émission est très récente (moins d'un an) et logée sur un média lui-même très récent (moins d'un an) et donc encore assez peu connu. Du coup, les animatrices consacrent un temps certain à la promotion de l'émission elle-même et plus largement à celle de Radio Sentidos. Or en ce moment, cette auto-promotion occupe un temps d'antenne considérable car le site s'apprête à fêter son premier anniversaire en septembre et les animateurs entendent bien que la fête ne passe pas inaperçue. On les comprend.

Ajoutez à cela que pour vivre, Radio Sentidos a besoin de passer de la publicité dans toutes ses émissions. Celles-ci sont donc parsemées de coupures publicitaires à caractère hyper-local, particulièrement ennuyeuses pour les auditeurs étrangers que nous sommes, vous et moi (4).

Et à la différence de ADN Tango, qui consacre tout son temps libre à son unique invité, dans Ecos de la Voz, à tout ce matériel sonore qui n'apporte pas grand-chose d'essentiel à l'auditeur, s'ajoutent des appels téléphoniques (c'est la part interactive), appels d'auditeurs, présentés comme des auditeurs surprises (on a tout de même du mal à y croire) qui, en fait, la plupart du temps dans cette première année d'existence de l'émission, ne sont pas tant des auditeurs en tant que tels que des artistes, plus ou moins amis des animatrices, et qui profitent du coup de fil pour faire, eux aussi, leur propre publicité, à l'oeil (tant mieux pour eux) et, malheureusement, au détriment du temps d'antenne réservé à l'invité(e). En l'occurrence, vous entendrez Claudia Cartié puis Marta Pizzo promouvoir toutes les deux, l'une après l'autre et à peu près dans les mêmes termes, le concert de Nosotras y el Tango, le lendemain, donc pour nous ce soir, et se répandre en compliments très flatteurs sur Anna Saeki. Compliments qui occupent un temps d'antenne qu'il eût été plus astucieux de laisser à l'invitée du jour (dont je rappelle que le lieu de résidence habituelle est Osaka, ce qui n'est pas la porte à côté pour Buenos Aires).

Et bien sûr, tout cela est d'autant plus dommage que débiter des exclamations admiratives sur une personne, dire, comme c'est le cas ici, qu'Anna Saeki a l'air d'un ange (ce qui est exact, je confirme) n' a jamais convaincu personne de dépenser 15 $ (+ le prix du bus ou de l'essence et du parking) pour aller l'écouter à Palermo (au contraire, cela aurait même un peu tendance à susciter la méfiance : pourquoi tant de compliments et si peu d'elle-même ? Nous cacherait-on quelque chose ?). Il est clair que c'est en donnant la parole à quelqu'un et en faisant entendre cette personne qu'on peut faire découvrir au public un talent, un tempérament, un parcours artistique, une intelligence. La méthode Coué en l'espèce risque plutôt d'être contreproductive. Ces minutes occupées par les appels téléphoniques, Anna Saeki aurait pu les occuper à bon escient pour nous parler d'un tas de choses passionnantes, comme sa récente tournée en Amérique du Sud et toutes ses fructueuses collaborations avec les grands artistes argentins dont ses disques portent témoignage : Raúl Garello, Horacio Ferrer, Leopoldo Federico, Gustavo Beytelmann, Nicolás Ledesma, Mercedes Sosa, Teresa Parodi, Liliana Herrero... Excusez du peu et j'en ai oubliés !

Aujourd'hui, en matière de radio, l'interactivité existe dans une tranche horaire sur La 2 x 4 (Ranking Porteño) sous forme d'interventions préenregistrées sur répondeur automatique (donc c'est court, une phrase, pas beaucoup plus), mais il est vrai que La 2 x 4 est une radio publique, sans publicité commerciale, qu'elle a plusieurs années d'existence et s'est à présent taillé une place-forteresse dans le paysage audiovisuel portègne et tanguero à l'échelle mondiale. Dans Fractura Expuesta (6 ans d'existence bientôt et de la pub réduite au minimum syndical, on est sur La Voz de las Madres), il n'y a pas d'interactivité. Les appels téléphoniques sont une méthode d'interview comme une autre, sous le contrôle complet des deux animateurs-programmeurs. Sur Tango City Tour, l'interactivité est partielle comme dans Ranking Porteño : Juan Espósito et Mabel Pramparo restent les maîtres de l'émission et se contentent de passer une courte sélection de quelques phrases d'auditeurs, recueillies sur un répondeur automatique, façon Courrier des lecteurs, à côté de la lecture de deux ou trois mails d'auditeurs, généralement de pays étrangers.

Marta Iglesias a fait un choix différent, très difficile à mettre en oeuvre et qui pourrait s'avérer assez piégeux puisque que dans toute interactivité, radiophonique ou télévisuelle (ou Internet), on ne maîtrise pas la qualité des interventions qui viennent de l'extérieur. Et la bonne intention de départ (donner la parole à tout le monde) peut se retourner contre l'émission elle-même qui risque d'y perdre en qualité et en intérêt. Espérons que dans le cas de Ecos de la Voz, l'équilibre s'établira et se consolidera au fur et à mesure que la notoriété de l'émission grandira et c'est une minuscule contribution à cette future notoriété sécurisante que ce 800ème article de Barrio de Tango espère pouvoir apporter en conduisant vers cette émission et son numéro exceptionnel d'hier quelques auditeurs francophones, voire même des auditeurs venus d'autres horizons linguistiques mais tous passionnés par le tango et l'Argentine (Barrio de Tango a aussi des lecteurs anglophones, lusitanophones, néerlandophones, hispanophones et même... japonais. Si, si ! Etonnant mais vrai !).

Pour aller plus loin :
visiter la page de Ecos de la Voz (vous pouvez entendre l'émission jusqu'au 30 juillet prochain en cliquant sur les petits écouteurs légendés Último programa)
visiter le site quadrilingue (japonais, français, anglais, espagnol) de Anna Saeki
visiter le site français de AKJW (l'association qui vend les disques de Anna Saeki en Europe)
visiter le site de Mercedes Sosa
visiter le site de Teresa Parodi
visiter le site de l'Espace Culturel nos Enfants, ECuNHi, que dirige Teresa Parodi
L'ensemble des articles consacrés aux émissions de radio sur Barrio de Tango sont rassemblés sous un même raccourci, dans la Colonne de droite, à la rubrique Tangoscope, ou ci-dessus, dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search.
L'ensemble des articles sur Anna Saeki sont eux aussi rassemblés sous son nom, dans la rubrique Vecinos del Barrio (section Los gringos) à droite, ou dans le bloc Pour chercher, sous le titre de la présente entrée.




(1) Angel Villoldo (1861-1919), le compositeur de El Choclo, qu'on surnomme el Padre del Tango, ce qui est historiquement faux. Mais bon ! La tradition orale a des charmes que l'histoire rigoureuse ignore...
(2) La revendication féministe n'est pas en soi quelque chose de très original dans l'histoire et l'univers du tango. Aujourd'hui un groupe comme China Cruel fait cela avec beaucoup de talent et sans discours. La Maestra Beba Pugliese (pianiste, compositrice, arrangeuse et chef d'orchestre) l'a fait et continue à le faire sans bruit inutile. Sa fille, Carla Pugliese, aussi.
Dans les années 20, 30 et 40, il existait ce qu'on appellait des Orquestas de señoritas (orchestres de demoiselles), qui officiaient dans les confiterías, des lieux alors réputés convenables pour des jeunes filles alors que le cabaret, où se produisaient des orchestres masculins et quelques chanteuses aguerries qui ne s'en laissaient pas compter, était considéré comme un endroit beaucoup moins recommandable (et c'est peu de le dire).
Tout le monde à Buenos Aires garde le souvenir d'une grande bandonéoniste, la première femme qui joua de cet instrument, Paquita Bernardo, morte à 25 ans en 1925. C'est elle qui découvrit un tout jeune pianiste de 18 ans, Osvaldo Pugliese, dans un bar populaire, pas vraiment reluisant, du quartier de Villa Crespo, en 1923, et le fit jouer avec elle, au Café Domínguez, qui se trouvait là où se s'élève aujourd'hui le Centro Cultural de la Cooperación Floreal Gorini, dont Barrio de Tango parle assez souvent.
En fait, cette revendication féministe n'est jamais mieux servie que lorsqu'elle passe par un contenu musical et poétique consistant plutôt par un discours.
Allez voir sur scène China Cruel, Susana Rinaldi, Jacqueline Sigaut, Las Minas del Tango reo (Lucrecia Merico avec Valeria Shapira), Patricia Barone, Las Rositas (
lire l'article) et Anna Saeki elle-même (elles disposent toutes d'un raccourci dans la rubrique Vecinos del Barrio, dans la Colonne de droite, à l'exception pour le moment du trio de cordes Las Rositas) et vous serez vite convaincus que les propos machistes, qu'affectent un bon nombre de passionnés de tango, qui n'y croient guère eux-mêmes (el tango es macho et tout le toutim), ce ne sont que des poses qui n'ont rien à voir avec la réalité. Ce qui fait la réalité du tango, c'est la qualité de la musique (et de la poésie). Le Tango, ce n'est pas féminin ou masculin. C'est bon ou c'est mauvais. Et les autres genres (rock, jazz, variété, classique, blues, fado, flamenco, folklore et tout le reste), c'est pareil...
(3) Pour mon humble part, Claudio Tagini et Marta Iglesias m'ont tous deux d'ores et déjà invitée à leur micro lorsque je serai à Buenos Aires et bien que me sentant parfaitement à mon aise pour parler en espagnol dans les circonstances ordinaires de la vie en société, je peux vous assurer que je n'en mène pas large à la perspective de participer à ces émissions en direct. Le micro de Juan Espósito, à Tango City Tour (voir les liens dans la rubrique Ecouter, en Colonne de droite), ne m'a jamais causé ce trac. Je sais que Juan est un as du montage, je me repose sur lui. Mais le direct est une autre paire de manches...
(4) La publicité est la plaie de Radio Sentidos. Mais il faut bien que le site vive. Faire de la radio, disposer d'un studio avec à l'intérieur un matériel de bonne qualité, cela a un coût. Mais la publicité reste de la pollution sonore sur toute station quelle qu'elle soit. C'est la raison pour laquelle je refuse toutes les offres qui me sont faites d'associer de la publicité sur Barrio de Tango. Je suis fière pour le moment de pouvoir vous offrir un lieu culturellement écologique. La gratuite est un luxe dont il faut savoir profiter.