C’est un article que Página/12 consacre aujourd’hui au travail d’archéologie discographique mené à bien par l’association TangoVía Buenos Aires, fondée et animée par Ignacio Varchausky, le contrebassiste, compositeur et arrangeur, de l’orchestre El Arranque et grand champion devant l’Eternel de la sauvegarde patrimoniale du tango.
En fait, l’Argentine, 25 ans après avoir retrouvé la démocratie, panse comme elle peut ses blessures. Or les blessures ne sont pas seulement directement politiques (persécutions subies et tortures infligées, de part et d’autre de l’échiquier politique). Elles sont aussi d’ordre culturel, puisque le propre de ce que les Argentins appellent la Dernière Dictature et que nous appelons, nous, la Dictature Militaire (1976-1983), a été de tenter de détruire la culture propre à l’Argentine, de faire rentrer l’Argentine de force dans le modèle culturel nord-américain, en coupant ou en détruisant tout ce qui ne pouvait pas entrer dans le moule à hamburger.
Dans les années 70, les maisons de disques allèrent même jusqu’à passer au pilon les matrices de disques de tango qu’elles possédaient dans leurs archives. Et il en alla de même dans les maisons d’édition qui firent disparaître de leurs archives des tombereaux d’anciennes partitions. C’est pourquoi le travail des collectionneurs comme Horacio Ferrer, Gabriel Soria, Luis Alposta ou Ignacio Varchausky est éminemment précieux. C’est la raison aussi pour laquelle des ONG des droits de l’homme comme Madres de Plaza de Mayo (qui cherchent à savoir ce qu’il est advenu de leurs enfants disparus) et Abuelas de Plaza de Mayo (qui recherchent les petits-enfants que la Junte leur a volés pour les confier sous une fausse identité à des familles adoptives), c’est la raison pour laquelle ces ONG mènent de nombreuses activités culturelles. Las Madres ont ainsi leur propre station de radio (La Voz de Las Madres, qui diffuse l’émission hebdomadaire de tango, Fractura Expuesta) et un centre culturel (ECuNHi), dirigé par l’auteur-compositeur-interprète Teresa Parodi.
C’est aussi la raison pour laquelle les Argentins traitent les tortionnaires et les responsables du régime de la Junte (represores) de génocidaires (genocidas).
Voir à ce sujet les articles de ce blog sur Madres de Plaza de Mayo (le raccourci rassemble les articles sur les deux associations qui revendiquent cette dénomination), sur Abuelas de Plaza de Mayo (chez lesquelles il n’y a pas eu de scission, qui ont pu rester unies pendant ces 25 ans de démocratie) et sur la célébration des 25 ans de la Démocratie en décembre dernier.
Voir à ce sujet les articles de ce blog sur Madres de Plaza de Mayo (le raccourci rassemble les articles sur les deux associations qui revendiquent cette dénomination), sur Abuelas de Plaza de Mayo (chez lesquelles il n’y a pas eu de scission, qui ont pu rester unies pendant ces 25 ans de démocratie) et sur la célébration des 25 ans de la Démocratie en décembre dernier.
C’est donc ce combat pour la mémoire, pour le lien générationnel, que Ignacio Varchausky mène depuis plus de 10 ans, en posant des actes audacieux et forts, comme la fondation en 2000 de ce qui est devenu aujourd’hui la Orquesta Escuela de Tango Emilio Balcarce, dont sa femme, la réalisatrice américaine Carolina Neal, a tiré un magnifique documentaire (Si sos brujos, Buenos Aires, 2007, lire mon article sur ce long métrage), et ces travaux quasi archéologiques de l’association sans but lucratif qu’il a fondée, TangoVía Buenos Aires. En l’occurrence, Página/12 se penche sur le sauvetage de 100 000 disques qu’on avait cru perdus et leur digitalisation à grande échelle pour préserver un contenu patrimonial sans égal.
Dans les sauvegardes ainsi effectuées par l’association, on trouve des perles de grand prix comme 120 morceaux enregistrés par Aníbal Troilo mais qui ne furent jamais commercialisés, des disques enregistrés en 1902, bien avant que Carlos Gardel ne vienne transformer en profondeur le genre (voir à ce sujet mon article de juin sur la conférence-interview de Pepe Kokubu et son livre De Mozart à Gardel), des enregistrements quasi-privés où l’on entend Pichuco chanter des tangos, chez lui, avec son complice Roberto Grela qui l’accompagne à la guitare, un extrait d’une émission de Canal 9 où Piazzolla, en 1960, raconte, sous forme de sketches, un voyage qu’il a effectué aux Etats-Unis (Piazzolla, enfant, a vécu une bonne dizaine d’années à New-York).
L’article de Christian Vitale est un mélange d’article de fond et d’interview. Comme quoi, la grippe A a du bon. Sans elle et sans l’avalanche d’annulations de spectacles qu’elle provoque par mesure de précaution privée plus que par décision autoritaire des pouvoirs publics, le quotidien aurait-il trouvé dans ses colonnes assez de place pour parler de ce travail de bénédictin ?
Travail qui est loin d’ailleurs d’être fini, puisque Ignacio Varchausky, cité dans l’article, estime à 94 000 les morceaux enregistrés qu’il leur reste encore à restaurer et à passer sous format digital...
Considerez seulement ce fait : un grand chanteur, aujourd’hui bien oublié, surtout à l’étranger, et grand chanteur de style profondément argentin, Ignacio Corsini (1891-1967), un exact contemporain de Carlos Gardel. De lui, on a dans le commerce plus ou moins 100 enregistrements. En fait, il en a effectué 650. Il y en a 550 à restituer...
Pour aller plus loin :
Lire l’article de Página/12 de ce jour.
Lire l’article de Página/12 de ce jour.