lundi 26 octobre 2009

Il y aura un second tour en Uruguay [Actu]

Fait assez rare dans la région où la dispersion des votes reste un phénomène très marginal un quart de siècle après la fin des dictatures les plus dures qu’ait vécu le sous-continent, l’Uruguay devra organiser un second tour pour l’élection de son prochain président de la République et pour bon nombre des sièges à pourvoir dans les deux assemblées législatives. Ce deuxième tour est prévu dans un mois.

Photo de une de El País
Le duo (la formula) de la coalition de gauche, Frente Amplio, José Mujica, candidat à la présidence, et Danilo Astori, candidat à la vice-présidence, arrive largement en tête des suffrages exprimés au premier tour avec un peu plus de 46 % des voix mais la formula n’atteint pas la majorité absolue nécessaire à l’élection selon la Constitution uruguayenne (1). D’autant que le vote blanc est comptabilisé dans cette élection nominale et pèse donc sur les résultats finaux, ce qui, mathématiquement, rend plus ardue toute victoire au premier tour (2).

Le deuxième tour de la présidentielle opposera, comme le prévoyaient les sondages de la semaine dernière, José Mujica et Luis Alberto Lacalle, président du Partido Nacional, ancien président de la République lui-même et auquel le Partido Colorado en la personne de son candidat et président, Pedro Bordaberry, a immédiatement apporté son soutien (sur les sondages pré-électoraux, lire mon article de la semaine dernière).

Dans le camp des Blancos (Partido Nacional), la joie est sans mesure comme on le voit fort bien sur la photo du haut tirée de la une du quotidien El País (à gauche, épuisé par le succès inattendu, on Luis Alberto Lacalle. En dessous, la formula de gauche, Astori à droite, Mujica à gauche, tous eux serrant dans leurs mains crispées un drapeau de l'Uruguay). Il y a encore quelques mois en effet, la victoire de la gauche paraissait acquise dès le premier tour. Qui plus est, si le Frente Amplio est arrivé largement en tête hier, il ne dispose que de très peu de marge pour élargir sa base électorale au second tour. Vu les maigres, très maigres résultats du Partido Independiente (2,37 %, son Président n'assure même pas son siège au Sénat) et de la Asemblea Popular (résultats si insignifiants qu’ils sont confondus dans un ensemble intitulé les autres formations, qui fait un total à peine supérieur à 5%), le Frente Amplio a fait le plein de ses voix, comme diraient nos politologues distingués. Il ne peut maintenant gagner de nouveaux suffrages à un niveau significatif qu’auprès des électeurs abstentionnistes, parmi lesquels les expatriés qui n’ont pas fait le déplacement pour venir voter au pays. Mais encore faudrait-il qu’ils puisent se payer le voyage. Pire : il faut que les électeurs du Frente Amplio qui sont rentrés au pays hier fassent aussi le voyage du second. S’ils habitent à Buenos Aires, Rosario ou Porto Alegre, c’est un jeu d’enfant ou presque. Mais s’ils habitent New-York, Miami, Ottawa, Londres, Madrid, Lausanne, Sydney ou Tokyo, leur participation au scrutin est loin d’être acquise (3). De l’autre côté, l’addition des résultats des deux partis de droite au premier tour donne un meilleur résultat (29,15 % +16,96 %, à 86 % des bulletins dépouillés) que celui obtenu par le Frente Amplio (46,62 %, à 86% des bulletins dépouillés à midi, heure française, 3 heures de moins à Montevideo).

Au fur et à mesure du dépouillement, les résultats ont progressivement creusé l’écart entre le FA et les deux partis de droite par rapport aux sondages sortis des urnes, qui plaçait le FA à un peu plus de 43%, le Partido Nacional un peu au dessus de 30% et le Partido Colorado à un peu plus de 17% des voix.

Malgré cette remontée dans les chiffres réels, c’est néanmoins un coup très rude pour la gauche uruguayenne devant laquelle un vrai boulevard semblait s’ouvrir, grâce au bilan extrêmement positif du mandat de Tabaré Vázquez, le président sortant, à sa popularité immense (4) et à celle, très forte également, du candidat désigné lors des primaires du 28 juin dernier, lequel a peut-être gâché sa chance avec quelques formules à l’emporte-pièce, notamment en matière diplomatique, qui ont fait beaucoup de bruit et de scandale dans le pays et à l’étranger (5).

En ce qui concerne les deux référendums qui étaient aussi au programme du scrutin d’hier, à savoir l’instauration d’une modalité de vote par correspondance dans le Code électoral uruguayen et l’invalidation de la Loi d’amnistie contre les officiers et soldats ayant commis des homicides et des actes de torture pendant la Dictature militaire de 1973-1985 (dite Ley de Caducidad), les deux propositions ont été rejetées de manière incontestable : la Ley de Caducidad, déclarée pourtant anticonstitutionnelle il y a une semaine par la Cour Suprême (voir mon article à ce propos), n’est pas invalidée (les 48% de oui sont un revers pour Tabaré Vázquez qui a beaucoup fait pour que cette loi soit définitivement répudiée et n’y sera pas parvenu). Quant aux Uruguayens expatriés, où qu’ils habitent, ils continueront à devoir retourner au pays pour chaque scrutin s’ils veulent exercer leur droit de vote (le oui n’a atteint que 38% sur cette question).

Quant à la composition des prochaines assemblées, la Chambre des Députés et le Sénat, il faudra attendre la fin du décompte très compliqué du dépouillement pour y voir plus clair. En effet, au Sénat le mode électoral est celui d'un scrutin uninominal à deux tours (il faut la majorité absolue pour remporter le siège dès le premier tour). Mais à la Chambre des députés, c'est un scrutin à la proportionnelle qu prévaut. Et le vote blanc n'y est pas considéré comme un suffrage exprimé (alors que pour la présidentielle, si). La Cour électorale (Corte Electoral), qui est souveraine en matière de dépouillement, effectuera les calculs de répartition des sièges restants de députés, circonscription par circonscription, à partir de demain et jusqu'à vendredi soir. Donc pour nous, en Europe, les résultats définitifs, avant élection du Président du Sénat (c'est toujours le Vice-Président de la République), seront connus samedi matin. Toutefois, il apparaît qu’il sera difficile au Frente Amplio de conserver la majorité absolue qu'il détient dans les deux chambres et qu'il a d'ores et déjà la majorité à la Chambre des Députés.

Signe des progrès de la démocratie en Uruguay : la journée électorale n’a compté qu’un tout petit nombre d’incidents. En cela, on observe un écart considérable avec l’ambiance électrique, incroyablement polémique et "village gaulois" qui régnait, il y a deux ans, en Argentine, pour la même échéance électorale, avec des récriminations acerbes et aigres émanant de tous les partis qui contestaient presque tous le déroulement du scrutin. De surcroît, ce quadruple scrutin n’a en rien altéré les habitudes dominicales des Uruguayens qui ont su accomplir le même jour leur devoir électoral et vivre la vie habituelle d’un dimanche printanier et ensoleillé, avec asado et mate en famille ou entre amis, dans l’attente d’une soirée électorale devant la télévision, chez soi, au bistrot ou dans les permanences des partis, comme dans les pays de l’hémisphère nord, ainsi qu’en témoigne le quotidien montevidéen El País (lire l’article sur les incidents mineurs relevés au long de la journée électorale et celui sur les comportements observés à Montevideo chez l’homme de la rue).

Pour en savoir plus :
Lire l'analyse globale des résultats par El País (quotidien uruguayen)
Lire l'article de El País sur la situation du Frente Amplio
Lire l'article de El País sur le résultat des référendums

(1) Ce n’est pas le cas en Argentine où le candidat présidentiel l’emporte s’il rassemble dès le premier tour plus de 43% des voix exprimées. Ce qui a été le cas successivement de Néstor Kirchner et de Cristina Fernández de Kirchner quatre ans plus tard.
(2) Attention : l’expression "vote blanc" en français veut dire "vote nul" (voto invalido, anulado, voto en blanco) et non pas vote en faveur du Partido Nacional, comme c’est le cas en espagnol d’Uruguay.
(3) D’où l’importance qu’avait le référendum sur le voto espistolar : il est probable qu’après les années d’instabilité tragique et terrifiante de la Guerre Froide, plus les pratiques démocratiques vont s’enraciner dans ce pays, dont la culture est essentiellement latine, plus il y aura des élections à 2 tours parce que les électeurs prendront l’habitude de disperser leurs voix sur une multitude de propositions politiques distinctes.
(4) Tabaré Vázquez est si populaire qu’il y a eu devant certains bureaux de vote certains de ses partisans pour brandir des banderoles réclamant sa candidature en 2014, à l’issue du prochain mandat présidentiel. En effet, la Constitution actuelle, que Tabaré Vázquez a résolument refusé de voir modifiée dans ce sens, interdit au Président de se présenter immédiatement à l’issue d’un mandat mais l’autorise tout à fait à se présenter par la suite. Ce que fait cette année Luis Alberto Lacalle.
(5) Il s’est en particulier montré très agressif avec l’Argentine, se prononçant de manière très peu respectueuse sur le positionnement idéologique de la Présidente et n’hésitant pas à critiquer le comportement du pays voisin dans la querelle sur la papeterie Botnia, une papeterie implantée sur la rive orientale du fleuve Uruguay, sans consultation préalable de l’Argentine, et dont le cas est actuellement soumis à l'examen du Tribunal international de La Haye où les représentations argentine et uruguayenne s’échangent des mots doux. Peut-être aurait-il été mieux inspiré de laisser Tabaré Vázquez assumer toute la responsabilité et la violence verbale du contentieux judiciaire
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