samedi 24 octobre 2009

Le site Web de Buenos Aires se souvient de César Tiempo [Actu]

Plaque posée en l'honneur de César Tiempo par la Ville de Buenos Aires esquina San Juan y Boedo

Le 24 octobre 1980, le poète et dramaturge César Tiempo quittait ce monde. Il était né en Ukraine le 3 mars 1906, dans une famille juive, et il était arrivé à Buenos Aires la même année avec ses parents qui fuyaient l'Empire russe, son antisémitisme et ses pogroms à répétition.

Il appartint au groupe littéraire Boedo avec d'autres écrivains comme Dante A. Linyera, Alvaro Yunque, Raúl González Tuñón, Nicolás Olivari (qui appartenait aussi au groupe opposé, le Grupo Florida). Le dramaturge et écrivain Roberto Arlt lui aussi participa parfois aux discutions du groupe Boedo, qui devait son nom à son lieu de rencontre, sur l'avenue Boedo au numéro 837, juste à côté de ce qui est aujourd'hui la Esquina Homero Manzi...

Le portail de la Ville de Buenos Aires présente pour l'occasion un très beau poème de Tiempo, toujours dans le domaine privé, mais que je ne résiste pas au bonheur de vous présenter en version bilingue...
Tous ces poètes sont quasiment inconnus chez nous et pourtant ils ont une vocation universelle. Jugez-en :

A un obrero (1)

Toda desnuda me ofrezco a tu instinto,
muerde mis pechos, estruja mi cuerpo,
quiero brindarte esta fiesta de carne
para que olvides tus días acerbos.

Sé que padeces, tu vida es amarga
vida de todos los tristes obreros,
sin una luz de esperanza en su noche,
sin la caricia cordial de un consuelo.

¡Cómo conforta sentirse piadosa,
dulce es la simple bondad de mi gesto;
tú que así sufres, mereces la efímera
fiesta que quiere brindarte mi cuerpo!

César Tiempo

A un ouvrier

Toute nue, je m'offre à ton instinct,
mords mes seins, étreins mon corps,
je veux t'offrir cette fête charnelle
pour que tu oublies l'âpreté de tes jours.

Je sais que tu souffres, ta vie est amère,
vie de tous les pauvres ouvriers,
sans une lueur d'espérance dans leur nuit,
sans la caresse chaleureuse d'une consolation.

Comme cela fortifie de se sentir dévouée
tendre est la bonté simple de mon geste ;
toi qui souffres ainsi, tu mérites l'éphémère
fête que veut t'offrir mon corps
(Traduction Denise Anne Clavilier)

(1) Ce dont il s'agit ici, c'est bien sûr la rédemption sociale et morale de la figure de la prostituée, par un homme d'ailleurs, comme Roberto Gohyeneche, le pianiste et compositeur, l'a fait aussi dans son tango De mi barrio, où lui aussi fait parler une femme livrée à la prostitution. Mais il s'agit aussi d'un véritable enjeu social, très probablement dans les années 20, l'époque du Grupo Boedo, dans une société très déséquilibrée entre hommes et femmes, la plus grande masse des immigrants étant composée d'hommes seuls. Ce qui a; bien entendu; provoqué non pas une amélioration de la condition féminine mais exactement l'inverse : un invraisemblable trafic de blanches et la tentation pour beaucoup de femmes pauvres de se sortir de la misère par une pratique, plus ou moins consentie, d'une certaine prostitution, à la recherche d'un riche protecteur capable de les entretenir. L'enjeu dont parle César Tiempo ici est très proche de l'enjeu que nos sociétés développées (du primer mundo, comme disent les Argentins) commencent à envisager : la sexualité des handicapés à qui les progrès de la médecine et des systèmes de protection sociale permettent aujourd'hui de vivre, de vivre bien et de vivre longtemps. Il y a dans ce domaine des prostituées libres (ne dépendant d'aucun proxénète) qui tiennent à l'égard des handicapés les propos que Tiempo attribue à cette "pute au grand coeur".