Cette année, faute de temps (comme vous le constatez, je suis horriblement en retard dans la publication de mes articles), je me contenterai de vous rapporter un relevé de prix effectué au cours des quatre semaines que j'ai passées en août dernier à Buenos Aires. En 2008, j'avais eu le temps d'écrire un article plus consistant en vous expliquant un peu mieux mes choix de vous présenter tel prix plutôt que tel autre, tel produit plutôt que tel autre. En un an, cette dimension culturelle n'a pas bougé d'un cheveu, même si les montants que je donnais alors sont désormais dépassés (voir l'article de l'année dernière).
Avant-hier, l'INDEC a publié un nouveau rapport sur l'évolution des prix en septembre. L'institut officiel argentin y affirme que les vêtements et les fruits et légumes ont été, au cours du mois passé, les principaux vecteurs de l'inflation. Pour compléter cet article qui portera donc sur un relevé plus ancien que celui du rapport de l'INDEC, je vous invite donc à vous reporter aux articles publiés avant-hier dans Página/12 et La Nación.
Pour ma part, ce qui m'a frappée cet hiver (j'allais dire "cet été"), c'est le peu d'inflation que j'ai pu repérer là-bas par rapport à celle que j'avais expérimentée sur les mêmes catégories d'achat l'année dernière : alimentation, transports et culture (places de concert, cours de tango, livres, disques...).
La (bonne) surprise m'attendait à l'aéroport : la course en remis entre Ezeiza et le centre-ville (quartier d'Almagro) était toujours à 115 $ à l'aller (avec une compagnie ayant un comptoir sur place). Le retour aussi s'est maintenu au prix de l'année dernière : 80 $ pour le même trajet (c'est toujours plus cher à l'aller qu'au retour), avec un remis du quartier d'Almagro.
Toujours au chapitre des transports, une augmentation très modérée du prix du ticket de métro passé cette année à 1,1 $ l'unité. Le plus grand changement, c'est que les cartes multi-voyages ne vous font plus économiser un seul centavo. La carte de 10 voyages coûte 11 $. Il revient donc au même à présent d'acheter 10 tickets, 2 cartes de 5 voyages ou 1 seule de 10 voyages. La seule différence sera la quantité de papier imprimé. Donc acheter des cartes de 10 voyages plutôt que des tickets à l'unité constitue un geste pour l'environnement. Et ça limite les frais généraux de la régie des transports publics portègnes. Mais du point de vue strictement financier, c'est pour votre poche. Buenos Aires est gouvernée à droite, libéralisme toute, et c'est à ce genre de petits détails que même le touriste peut s'en rendre compte. En revanche, la carte, quel que soit le nombre de voyages auquel elle donne droit, continue d'être valide d'une année sur l'autre, si elle n'a pas été entièrement consommée, ce qui est bien commode.
Sur les prix culturels, je passe très vite. Vous pouvez vous rendre compte de beaucoup de choses par vous-même à travers la rubrique A l'affiche, où je m'efforce de vous donner systématiquement le montant des entrées (y compris lorsqu'il s'agit de football, au stade Monumental, où vient de se jouer une rencontre décisive entre l'Argentine et le Pérou. Depuis, il y en a eu une autre, encore plus décisive, et c'était à Montevideo. Et je ne vous en ai pas parlé parce que toutes les télévisions et toutes les radios du monde l'ont fait : l'Argentine a battu l'Uruguay, par 1 à 0, en fin de match, et Diego Maradona a servi aux journalistes tous les gros mots qu'il connaît (et il en connaît beaucoup, le bougre, et sait s'en servir). Bref, l'Argentine s'est ainsi qualifiée pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud, comme ici en Europe, la sélection suisse, seule équipe européenne déjà sélectionnée où la francophonie ait sa place).
Juste un prix dans cette rubrique culturelle, celui de la récente et très épaisse biographie de Piazzolla par Diego Fischerman et Abel Gilbert, dont je vous ai déjà parlé (lire l'article) et que j'ai trouvée dans la rue Florida, dans une librairie Cuspide, à 59 $. Cuspide Libros est une chaîne mais en l'occurrence, que cette librairie soit située sur Florida ou dans une rue moins commerçante ne changeait rien à l'affaire : le livre était à ce prix à peu près partout où je l'ai vu. Dans les librairies de Buenos Aires, le prix inclut bien sûr la TVA (à peu près la même qu'en Europe). Si vous achetez un livre ou un disque en ligne sur Zivals (par exemple) depuis l'extérieur de l'Argentine (voir Colonne de droite), vous trouverez le prix moins élevé. C'est normal. Il est détaxé puisque c'est de l'exportation.
Venons-en donc maintenant au poste alimentation.
Dans les confiterías, j'ai trouvé les facturas oscillant entre 0,95 $ et 1 $, contre 0,90 $ l'année dernière et 0,50 ou 0,55 $ l'année précédente chez les mêmes commerçants (La Perla de Almagro, avenida Medrano, et la Sud Americanan avenida Rivadavia, dans Almagro, ainsi qu'une petite confitería anonyme d'Independencia, à San Telmo). Toujours à la Perla de Almagro, l'empanada était à 4,20 $ (sauf celle au thon, empanada de atun, plus chère, à 4,50 $). Au supermarché Coto du même coin, toutes ces spécialitées étaient deux fois moins cher et aussi nettement moins savoureuses. Quant à la tortilla de papas (l'omelette froide aux pommes de terre pour 4 personnes), elle était à 12 $ cette année, toujours à la Perla de Almagro. Le pan dulce maison était à 40 $ le kilo. Ceci dit, le mois d'août n'est pas la saison du pan dulce, qui est une spécialité de Noël. Un prix honnête pour un gâteau qui est de toute manière un produit cher (1). J'ai remarqué que les gros chaussons fourrés circulaires, sortes d'empanadas qui vous font un repas complet, et qu'on voyait tous les jours l'année dernière, n'apparaissaient plus sur le présentoir salé de La Perla que le week-end. Même chose pour le pan dulce, que je n'ai jamais vu que le samedi et le dimanche. En semaine, rien de tout ça. Conclusion : ou le touriste s'est fait beaucoup plus rare cette année (ce que je n'ai pas de mal à croire) ou le Almagrense fait plus attention à ses sous, crise oblige. Et peut-être un cocktail des deux.
Pour les pâtes fraîches, chez Manuel y Ramón Perez García qui tiennent une boutique avec pour toute enseigne Pastas caseras (pâtes maison), à l'angle de l'avenue Medrano et de la rue Mitre, à deux pas de La Perla de Almagro, les fideos rellenos ricota y queso (sortes de raviolis de forme fantaisie, farcis de ricota et de fromage, les Argentins faisant une différence entre les deux) étaient à 32 $ le kg (et la plupart des autres variétés également).
Geste commercial qu'un client apprécie toujours, j'ai demandé ½ kg, on m'a servi 530 grammes (soit 18 $) et on ne m'a fait payer que 16 $.
Chez le boucher à présent (commerce emblématique en Argentine, s'il en est) : j'ai trouvé là aussi des prix raisonnablement stables pour un pays aussi affecté par l'inflation que l'Argentine. Vous n'aurez qu'à comparer avec ceux que j'annonçais l'année dernière à la même époque : bife de chorizo à 28 $/kg (une des découpes de boeuf les plus nobles de l'étal), bife ancho à 24 $/kg et osso buco à 7 $/kg (il s'agit du morceau le moins cher, ce que nous appelons le jarret, mais de boeuf, la viande de veau étant inconnue en Argentine et en général dans toute la zone hispano-américaine). Tous ces prix ont été relevés dans une seule et même boucherie de l'avenida Rivadavia, qui ne peut pas être pas la moins chère du quartier. Mais je n'avais pas le temps cette année d'aller faire une enquête plus poussée en multipliant les commerçants visités. Je parais au plus pressé et au jour le jour. En général à Buenos Aires, les commerces situés sur les grandes avenues, surtout dans le centre, tirent les prix vers le haut. Pour bénéficier de prix plus intéressants, il faut vous adresser aux commerces installés dans les rues adjacentes. Et vous pouvez qvoir des différences de prix considérables en vous déplaçant de moins de 50 mètres... mais à condition d'avoir bifurqué à angle droit.
Au supermarché, j'ai aussi pu repérer une nette décélération de la hausse des prix, comme l'annonçait cet été l'INDEC, à la grande incrédulité des Portègnes (voir mon article du 30 janvier à ce propos), mais j'ai aussi constaté une baisse de la qualité gustative. Sans être catastrophique ni spectaculaire, chez Coto, c'était tout de même très net dans les plats préparés (de la fabrication maison dont cette enseigne se flatte, elle se caractérise en effet par l'intégration de toute la chaîne de production, de la matière première au produit fini). Ceci tendrait-il à prouver que Coto se cale sur le modèle de la grande distribution de l'hémisphère nord et de ses concurents (Wallmart, Carrefour, Casino et, à un moindre titre, Auchan) : pour baisser les prix, baissons la qualité ? Si c'est le cas, c'est bien dommage. Coto a en effet bâti son image de marque et sa réputation sur son identité argentine. C'est la seule société pleinement argentine du secteur qui est par ailleurs aux mains de capitaux étrangers, essentiellement des Etats-Unis et de France. Ce serait dommage que Coto perde cette singularité de qualité et d'authenticité. Et puis la grippe A est passée par là : de nombreuses préparations se vendent désormais déjà conditionnées alors que l'année dernière, vous pouviez composer votre barquette de milanesas et d'empanadas à votre guise et l'apporter au comptoir où elle était emballée, pesée et étiquetée. En août, il ne restait plus en libre service effectif que les plats en sauce (sans doute parce que personne ne penserait à se servir à la main) et les facturas, parce qu'il est de tradition, y compris dans les confiterías, de les choisir soi-même en utilisant une pince. Il ne viendrait donc à l'idée de personne d'y porter ses doigts. Côté produits frais, il m'a semblé qu'il y avait plus de choix que l'année dernière au rayon des desserts (ce qui serait le résultat d'une diversification de la fabrication chez les industriels La Serenisima et SanCor) et les pâtes fraîches (mais j'ai aussi vu des barquettes de pâtes de date périmée). Et nouveauté des nouveautés, le pack ahorro (le pack économique) de yaourts : vendus désormais par 6 à 5,89 $. Ce qui représente encore une véritable fortune si vous comparez avec les prix pratiqués chez nous pour ce type de produits : les packs de 16 yaourts qui vont de moins de 2 € à plus ou moins 3 € pour les grandes marques dans un supermarché de centre-ville. Jusqu'à l'année dernière, je n'avais jamais vu que des yaourts vendus à l'unité ou par lots de 2, toujours à largement plus d'1 $ l'unité. Exemple cette année : le pack de 2 yaourts au dulce de leche (le yaourt nature n'existe toujours pas à Buenos Aires) était à 2,89 $ dans la marque Ser de La Serenisima (soit 250 gr. comme le conditionnement traditionnel en Europe) et le lot de 2 yaourts à la pêche, de l'autre marque (SanCor), était à 2,15 $.
Pour les fruits et légumes, le constat est le même que l'année dernière : ils sont plus chers en supermarché que chez le marchand de quatre saisons (el frutero). En revanche, ils sont sans doute mieux protégés des gaz d'échappement dans le supermarché que chez le frutero, chez qui les fruits et légumes sont exposés du niveau du sol jusqu'à 2 mètres de hauteur directement sur la rue. Quand si l'étal donne sur une grosse voie de circulation, les fruits et les légumes, vous avez intérêt à bien les laver et à les éplucher avant de les consommer !
Pour les fruits et légumes, le constat est le même que l'année dernière : ils sont plus chers en supermarché que chez le marchand de quatre saisons (el frutero). En revanche, ils sont sans doute mieux protégés des gaz d'échappement dans le supermarché que chez le frutero, chez qui les fruits et légumes sont exposés du niveau du sol jusqu'à 2 mètres de hauteur directement sur la rue. Quand si l'étal donne sur une grosse voie de circulation, les fruits et les légumes, vous avez intérêt à bien les laver et à les éplucher avant de les consommer !
Les spécialités argentines sont restées elles aussi sur des prix plutôt stables : les boîtes de 25 sachets (saquitos) de mate cocido se vendent à 3,29 $ pour la marque haut de gamme La Merced (on descend aux alentours de 2,50 pour Cachamai, la sympathique marque d'infusions reconnaissable au petit âne qui lui sert de mascotte). La yerba mate (vendue le plus communément en paquet de 500 gr) monte jusqu'à 6,99 $ (effet de seuil psychologique) pour le paquet de Yerba Mate de Monte (de montagne) de la marque La Merced, qui pratique une culture bio, une cueillette écologique à la main et une fermentation-maturation très longue. Le Cruz de Malta, marque de moyen de gamme, l'une des plus répandues et des mieux connues à l'exportation, était à 5,95. Le dulce de leche de la Serenisima en petit pot de 200 gr était à 3,29 et c'était à peu près la même chose chez SanCor. Le pot de 500 gr oscille, selon les marques et le type (pour tartiner ou pour garnir des pâtisseries), entre 9,70 et 10 $.
Dans la série des observations annexes, j'ai repéré qu'il y avait moins de vieux tacots déglingués circulant dans les rues de Buenos Aires, qu'il y avait moins de pots d'échappement rejetant des nuages noirs dans l'air ambiant, y compris dans la flotte des autobus, que la flotte de bus scolaires, qu'on reconnaît à leur couleur orange, a été sensiblement rajeunie et que les ambulances, les pompiers et les policiers abusent nettement moins de la sirène (quel repos pour les oreilles !).
J'ai aussi été héberluée par le nombre invraisemblable de vendeurs à la sauvette croisés dans le métro. Je crois que je n'ai jamais pu aller d'une station à une autre sur une ligne de métro quelle qu'elle soit sans qu'un vendeur à la sauvette ne passe dans le wagon. J'ai vu vendre de tout : biscuits artisanaux, friandises industrielles, DVD ouvertement de contrebande, accessoires de marque en contrefaçon, images pieuses, boîtes d'allumettes, stylos (des "vrais parker", moins chers que dans le commerce... je n'ai vu personne en acheter !), lampes de poche à dynamo pour vous éviter d'acheter des piles, piles, barrettes, serres têtes, chaussettes, mouchoirs en papier... En revanche, parmi ces vendeurs à la sauvette, il me semble avoir vu un peu moins d'enfants que l'année dernière, surtout aux heures scolaires. Ce qui a beaucoup augmenté aussi, au point que, cette année, j'ai renoncé à les compter, c'est le nombre de sans-abris, dont on voit très bien qu'ils dorment dans la rue. Et ce qui a baissé, ce sont les vendeurs péruviens ou boliviens de légumes à la sauvette : les étals de légumes prêts à cuisiner installés à même le trottoir étaient moins nombreux que les années précédentes. Mais il se dit aussi beaucoup dans la presse et dans les discussions entre amis que le gouvernement de Mauricio Macri fait la chasse aux marginaux et les a souvent rejetés en banlieue, à la charge donc du gouvernement de la Province de Buenos Aires (aux mains des péronistes).
(1) Le pan dulce est la version rioplatense du panettone italien. Avec une mie beaucoup plus dense et une telle quantité de fruits confits qu'elle le rapproche davantage du cake d'outre-Manche que de la brioche ultra-alpine.