mardi 27 octobre 2009

Alfredo Arias à El Cubo et au Théâtre du Rond-Point [ici]

Masques théâtraux sur un trottoir du quartier de l'Abasto. Ils désignent l'entrée d'un théâtre ou de ce qui fut un théâtre. Il y en a plein sur les trottoirs de ce quartier, de part et d'autre de Corrientes.

Ce triptyque théâtral, inspiré par la culture de Buenos Aires, est aux antipodes du spectacle de O Tango dont je parle dans un autre article de ce jour : il s’agit d’une oeuvre en trois volets ou de trois oeuvres partageant un même cycle de représentations au Théâtre du Rond Point, signé(e)s par l’un des plus grands artistes du théâtre contemporain, le dramaturge, comédien, écrivain et metteur en scène argentin, bonaerense pour être plus précise (1), Alfredo Arias, installé en France depuis les années 1970, après qu’il a quitté un pays ravagé par l’instabilité politique, la censure et la répression.

Alfredo Arias est un artiste qui a des choses à dire et qui les dit le plus souvent sous la forme de pièces de théâtre du répertoire classique ou plus encore d’oeuvres originales (de su autoría, comme on dit à Buenos Aires), fantastiques, oniriques, iconoclastes, excentriques (lui dit "sophistiquées") où il mêle la musique, la danse, la poésie et les ressources de la mise en scène, des lumières, des décors, dans une écriture dramatique qui lui appartient en propre. Comme son ami, Jérôme Savary, argentin comme lui et comme lui né au début des années 40, mais lui à Buenos Aires. A Paris, Alfredo Arias a travaillé plus d'une fois au Théâtre du Rond-Point, qu’avaient créé Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, dans une ancienne patinoire près des Champs Elysées, et que dirige depuis novembre 2001 le dramaturge et metteur en scène Jean-Michel Ribes, l’un de ses complices de créativité, après d’autres de la même taille (un Marcel Maréchal par exemple à la fin des années 1990).

Alfredo Arias présente donc à partir du 10 novembre et jusqu’au 31 décembre trois pièces dont il a puisé la matière dans ses souvenirs personnels, ceux du Buenos Aires de son enfance et ceux de la place de la Contrescarpe, où il a retrouvé, lors de son arrivée à Paris, au tout début des années 70, ses compatriotes Copi, Jorge Lavelli et Jérôme Savary et dans de grands mythes de la culture et de l’histoire argentine (Evita, le cinéma...), culture à laquelle il appartient jusqu’à l’os, une culture argentine sublimée par l’alambic de l’exil en France, des voyages à travers le monde et du déchirement de l’éloignement physique, une culture argentine où le tango, au sens large du terme, tient une place primordiale, fondatrice mais sans esbroufe, une place naturelle, légitime, qu’il n’a donc besoin ni de justifier ni d’exploiter ni même d’affirmer ou de revendiquer. Si ce sont des spectacles où sont présents la danse et la musique, le tango et d’autres genres populaires (opéra pop, musique de cinéma, comédie musicale nord-américaine...), il ne s’agit pas pour autant de spectacles de tango (au sens étroit ou strict du terme) mais d’authentiques pièces de théâtre d’un artiste citoyen du monde qui va jusqu’au bout de son identité et l’Argentine et sa culture populaire et faubourienne en est la pierre de fondation.

Ces trois spectacles musicaux s’intitulent Trois Tangos (qui nous font passer d’un faubourg de Buenos Aires des années 30 à un paquebot italien des années 50 pour déboucher 20 ans plus tard, sur la Place de la Contrescarpe, dans le Paris de la Rive Gauche), Tatouage (qui revisite le personnage historique de Miguel de Molina, un chanteur espagnol homosexuel qui dût fuir l’Espagne franquiste et trouva refuge en Argentine, grâce à l’intelligence humaine et artistique de Eva Perón) et Cabaret Brecht Tango Broadway (un hommage au music-hall et au cabaret, à Marlène et à Brecht, à une tradition qui fut aussi l’occasion d’un grand brassage social, à Buenos Aires, à Paris, à Berlin ou à New York). Alfredo Arias sera lui-même sur les planches pour Tatouage et Trois Tangos.

Ces deux derniers se jouent du mardi au samedi (sauf le 11 novembre), à 18h30 pour Trois Tangos (15h30, le 31 décembre) et à 21h pour Tatouage (18h30, le 31 décembre). Il est donc possible au spectateur d’enchaîner les deux spectacles, d’autant que le Théâtre du Rond Point propose un restaurant et une librairie où vous pourrez vous poser entre les deux.
La troisième pièce ne se jouera que le dimanche à 18h30, soit 7 représentations du 15 novembre au 27 décembre, et c'est déjà plein.

Les prix sont raisonnables : 28 € la place, dans la Salle Jean Tardieu (176 places). Vous aurez 2 € de frais si vous retenez vos places par Internet et elles vous attendront une demi-heure avant le lever du rideau à la caisse du théâtre (à moins que vous ne choisissiez de les imprimer vous-même chez vous). Différentes réductions sont accordées aux plus de 60 ans (26 €), aux moins de 30 ans (16 €), aux chômeurs et intermittents du spectacle (18 €) et aux titulaires de la carte Imagin’R (un abonnement de transport en commun réservé aux collégiens et lycéens de région parisienne, qui ne payeront, quant à eux, que 12 €). Les réservations sont ouvertes entre 14 et 2 jours avant la représentation. Si vous réservez par Internet, munissez-vous de votre carte de paiement pour aller retirer vos places (on vous la demandera pour ne pas délivrer vos billets à quelqu’un d’autre que vous).

Les deux premières pièces ont été présentées hier, en avant-première, à El Cubo, un espace théâtral de Buenos Aires, dans la rue Zelaya, en plein quartier de l’Abasto, à quelques mètres du Museo Casa Carlos Gardel dont je vous parle parfois dans ce blog. Les Portègnes les auront vues sans les jeux de lumière ni les costumes prévus pour la création à Paris. Ils n’ont eu droit qu’au jeu de scène et à l’interprétation musicale, ce qui, aux dires de leur auteur, est essentiel dans ces pièces.
Cabaret Brecht Tango Broadway avait déjà été présenté, en avant-première aussi, à Villa Ocampo, la maison où vécut l’écrivaine et éditrice Victoria Ocampo (1890-1979) à San Isidro, dans la banlieue nord et chic de Buenos Aires et où l’UNESCO a installé un prestigieux centre de rencontres culturelles.


A cette occasion, Página/12 a interviewé l’Argentin du bout du monde dans son édition d’hier. L’article, de Hilda Cabrera, s’intitule Le souvenir ne doit pas être paralysant. Alfredo Arias y livre quelques formules bien frappées dont il a le secret :
La Argentina es el laboratorio de mi memoria. No vengo con ambición de conquistar o hacerme ver. Hay algo mucho más íntimo y valioso en estos viajes: trabajar sobre aquellas cosas que me formaron. Ese es mi patrimonio oculto.
Página/12

L’Argentine est le laboratoire de ma mémoire. Je ne [re]viens pas avec une ambition de conquête ou pour me faire voir. Il y a quelque chose de beaucoup plus intime et précieux dans ces voyages : travailler sur ces choses-là qui m’ont formé. Tout ça, c’est un patrimoine caché.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Los artistas populares me inspiran, pero para hacer algo sofisticado, como el Cabaret... que construimos alrededor de las interpretaciones de Sandra y Alejandra. Me asombra que aquí una misma persona pueda hacer cosas tan diferentes. Alejandra hizo Canciones degeneradas, Chicago, canta tangos... Esto es una particularidad de los artistas argentinos.
Página/12

Les artistes populaires m’inspirent, mais pour faire quelque chose de sophistiqué, comme le Cabaret... que nous construisons autour des interprétations de Sandra [Guida] et Alejandra [Radano] (2). Cela m’émerveille qu’ici une personne puisse faire des choses si différentes. Alejandra a fait Canciones degeneradas, Chicago [de Bob Fosse], elle chante du tango. Ça, c’est une particularité des artistes argentins.
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Uno no puede disfrazar sus raíces, aunque hayan sido dolorosas y accidentadas. Cuando me fui de la Argentina tuve que reconstruir mi interior. No es simple. He tenido la suerte de que se me haya escuchado y protegido en Francia. Eso me autoriza a llevar a los franceses lo más recóndito de mi persona.
Página/12

On ne peut pas travestir ses racines, même si elles ont été douloureuses et accidentées. Quand j’ai quitté l’Argentine, il a fallu que je me reconstruise à l’intérieur. Ce n’est pas simple. J’ai eu la chance qu’on m’ait écouté et protégé en France. Cela m’autorise à apporter aux Français ce qui est le plus enfoui de ma personne.
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Alfredo Arias a publié de nombreux livres en français (ouf !!!!), à commencer par ses pièces de théâtre, pour la plupart au catalogue d’Acte Sud, et tout récemment, un livre d’entretiens, avec Hervé Pons (L’écriture retrouvée, éd. du Rocher, 2008).

Pour aller plus loin :
Lire l’interview complète sur le site de Página/12.
Visiter le site (en français) de Alfredo Arias (pas vraiment exhaustif puisque les futures créations au Rond Point n’apparaissent pas).
Pour le spectacle lui-même : tout est sur le site du Théâtre du Rond Point.
Vous pourrez y réserver vos places, écouter des extraits musicaux des trois spectacles, visionner un mini-film et télécharger le dossier de presse sous format pdf, plus explicite et plus détaillé que les présentations succinctes que vous trouverez dans le programme de la saison 2009-2010.
(Ajout du 15 novembre) Vous pouvez aussi lire mon article du 14 novembre sur le spectacle, tel que je l'ai vu le 12 novembre 2009.
Ajout du 30 novembre 2009 : pour voir quelques extraits de ce spectacle tel qu'il est représenté à Paris en ce moment, visionnez ce reportage du journal de France 3 reprenant des passages filmés sur scène et une interview du maître dans les coulisses du Théâtre du Rond-Point.

(1) Il est né à Lanús, dans la banlieue sud de Buenos Aires, en 1944.
(2) les deux chanteuses argentines du spectacle.