Les Uruguayens s’apprêtent à élire ce dimanche leur prochain président de la République, plusieurs députés et une poignée de sénateurs.
Cinq candidats se présentent à la magistrature suprême, comme j’ai déjà eu l’occasion à plusieurs reprises de l’écrire dans différents articles de ce blog. Deux candidats de droite, Luis Alberto Lacalle (Partido Nacional, surnommé Partido Blanco) et Pedro Bordaberry (Partido Colorado). Et trois candidats de gauche, José (dit Pepe) Mujica (Frente Amplio), Pablo Mieres (Partido Independiente, qui va de la social-démocratie à la démocratie chrétienne) et Raúl Rodríguez, de Asemblea Popular (candidat pour la forme, qui n'est même pas cité par les analystes politiques dans la presse !).
Il y a quelques mois, Pepe Mujica semblait très nettement en tête mais l’écart s’est resserré ces dernières semaines et les observateurs comme le Parti Nacional pensent qu’il pourrait y avoir un deuxième tour pour le scrutin présidentiel entre Mujica et Lacalle, Bordaberry et Mieres étant d’ores et déjà vraisemblablement écartés de la magistrature suprême (c’est une évidence en ce qui concerne Mieres, dont le parti représente à peine 2% de la représentation nationale actuelle. Quant à Bordaberry, c’est le fils d’un ancien dictateur à la politique duquel il est très fidèle. Vu les sondages sur le référendum sur la Ley de Caducidad qui montre une belle majorité favorable à l’abolition de cette loi d’amnistie pour les crimes de la Dictature, on voit mal comment il pourrait sortir vainqueur. Se reporter à ce sujet à mon article de ce jour sur le récent arrêt de la Cour Suprême uruguayenne et les intentions de vote au référendum sur la Ley de Caducidad).
Trois signes témoignent de la réalité de l’évolution des intentions de vote entre les deux candidats de tête : les sondages, les gestes symboliques et très médiatiques de rapprochement entre Pepe Mujica et le Président de la République sortant Tabaré Vázquez et les gages de politique sociale que donne Luis Alberto Lacalle.
Les sondages annoncent en effet au premier tour de dimanche prochain entre 38 et 43% des intentions de vote en faveur de Pepe Mujica, ancien guerrillero, candidat du PS au sein de la fédération des gauches traditionnelles qu’est le Frente Amplio, et de 35 à 40% pour Luis Alberto Lacalle, candidat "blanco" (parti national).
Pedro Bordaberry arrive loin derrière avec une fourchette entre 17 et 20 % et Pablo Mieres récupère quelques miettes, avec entre 3 et 4% des intentions de vote.
Pedro Bordaberry arrive loin derrière avec une fourchette entre 17 et 20 % et Pablo Mieres récupère quelques miettes, avec entre 3 et 4% des intentions de vote.
Les sondages, qui, là-bas comme ici, vendent la peau de l’ours avant de l’avoir tué (1), obtiennent des projections aux tendances contradictoires sur un deuxième tour (balotaje) entre les deux favoris, le duo (formula) de gauche composé de Mujica et son candidat vice-président Danilo Astori, de Asemblea Uruguay (le parti social-démocrate intégré au Frente Amplio), et le duo de droite, composé de Lacalle et Jorge Larrañaga, tous deux du Partido Nacional. Selon l’un de ces sondages, Mujica-Astori obtiendraient entre 40 et 43% des voix et Lacalle-Larrañaga entre 52 et 55%. Selon l’autre de ces sondages, celui commandé par le Partido Nacional lui-même, les résultats seraient inverses : entre 38 et 42,5% pour la formule du Frente Amplio et entre 35,5 et 39% pour la formule "blanca". Allez vous y retrouver ! Lacalle clame que le deuxième tour est une affaire acquise tandis que Mujica et Astori s’annoncent déjà vainqueurs du premier tour dans leurs derniers meetings de campagne.
En tout cas, la situation s’est très clairement compliquée pour le duo du FA puisqu’on a vu avant-hier Tabaré Vázquez, qui avait pris ses distances à plusieurs reprises avec Pepe Mujica, une première fois avant même les primaires au sein du PS et du Frente Amplio (2) puis tout récemment après l’interview contestée (et contestable) de Mujica à La Nación (lire mon article à ce sujet), on a vu donc Tabaré Vázquez, pourtant très peu démagogue pour un homme politique d’une démocratie représentative, apporter le soutien de son immense popularité à son (ex)-camarade de parti et de lutte à grands coups d’accolades et d’embrassades chaleureusement applaudies sur le port de Montevideo (ci-contre photo publiée par La República). Et tous les deux de commenter à la presse réunie qu’ils ont toujours été les meilleurs copains du monde et se sont toujours trouvé d’accord sur l’essentiel. C’est notoirement faux mais en campagne électorale, tout le monde fait semblant d’y croire, une partie de la presse de gauche y compris. Et Mujica en rajoute une couche en multipliant au cours de ses meetings les compliments dithyrambiques sur la gestion nécessairement admirable du Président sortant (qui est aussi le tout premier président de gauche de l’histoire uruguayenne et, à en croire là encore les sondages, le plus populaire de cette même histoire).
Enfin, Luis Alberto Lacalle de son côté, dont la cote de popularité a bigrement grimpé ces derniers temps, avait commencé par laisser entendre qu’il envisageait un accord de gouvernement avec Mujica à l’issue du scrutin de dimanche. Il aime maintenant à rappeler qu’il a soutenu à plusieurs reprises les propositions sociales du Président sortant et promet différentes inflexions sociales dans son programme de politique générale. Cherche-t-il à "ratisser large" en espérant capter l’électorat hésitant du Frente Amplio ou la petite frange de citoyens encore vraiment indécis ? Continue-t-il à croire qu'il a perdu la partie ou croit-il au contraire à la justesse du sondage publié par le Parti qu’il dirige ? A-t-il analysé que l’avenir du pays, et donc la prospérité de son parti, se dessinait à gauche pour les cinq ans à venir ? En tout cas, le Partido Blanco a toujours eu une politique sociale plutôt en avance par rapport aux pratiques des autres pays de la région (voir à ce sujet le Vademecum historique, dans la rubrique Petites Chronologies, en partie médiane de la Colonne de droite).
On verra bien lundi matin comment aura tourné la journée électorale...
Pour en savoir plus : cliquez sur les noms de Vázquez ou de Mujica pour lire mes articles relatifs à ces deux caciques de la gauche uruguayenne et sur le mot-clé Uruguay pour toute l’actualité de ce pays dans Barrio de Tango au-dessus de l’article (bloc Pour chercher, para buscar, to search).
Pour aller plus loin :
Lire l’article de El País (quotidien uruguayen) sur les sondages
Lire l’article de El País sur les positions de Lacalle
Lire l’article de El País sur les positions du duo Mujica-Astori
Lire l’article de El País sur le discours louangeur de Mujica envers Vázquez.
(1) vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué : proverbe issu d’une fable de La Fontaine (1621-1695), L’Ours et les Deux Compagnons (lien avec le texte français de la fable sur Wikipedia). Signifie faire des projets sans être assuré d’en avoir la capacité ou envisager l’avenir sur des bases imaginaires.
(2) au point qu’il avait même démissionné du PS pour ne pas avoir à choisir entre Mujica et son poulain (Danilo Astori) pour la représentation du PS à la désignation du candidat du Frente Amplio, lors des primaires intervenues le 28 juin dernier.