lundi 13 octobre 2008

Puchero de gallina de Mama Berta : Semaine du Goût - 1

La Semaine du Goût (Semana del Sabor) est une campagne nationale française de sensibilisation du grand public à la gastronomie, mise en place à l’initiative du Collectif du Sucre (agrupación de los productores y distribuidores de azucar) et à laquelle se joignent aujourd’hui de nombreux acteurs de l’économie agro-alimentaire et gastronomique. C’est la 19ème édition cette année et la campagne a lieu du 13 au 19 octobre.

Je saisis donc l’occasion pour donner aux lecteurs francophones européens quelques notions de gastronomie rioplatense. Et à tout seigneur, tout honneur, je commence par ce qui était, aux dires de beaucoup qui l’ont bien connu, le plat favori de Carlos Gardel, celui que sa Maman lui préparait avec amour, le puchero de gallina (de poule, ou de n’importe quoi d’autre d’ailleurs, du moment que ça calait l’appétit du fiston, et Dieu sait s’il avait un solide coup de fourchette).

Le puchero criollo, le puchero argentin, est une sorte de pot-au-feu : un plat roboratif de viandes et de légumes bouillis dérivé du puchero espagnol.

La recette ci-après n’est pas celle de Doña Berta (la pauvre femme n’a pas connu la mode des livres de cuisine à tout va) mais ça ne doit pas être très loin de ce qu’elle mitonnait à Carlitos avec ou sans sa bande de copains affamés. Je la tire du livre du cordon bleu vedette du petit écran argentin, Choly Berreteaga (La cocina de nuestra tierra, Ed. Atlantida).
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Pour 6 personnes, vous aurez besoin d’une poule (ou un poulet), de 2 kg de falda non désossée (en Europe, prenez du plat de côte), deux branches de céleri, 3 épis de maïs frais, 1 oignon, un petit choux vert très dense, 3 grosses carottes, 6 pommes de terre moyennes (choisissez une variété qui supporte la cuisson à l’eau), un zapallo criollo (eu Europe, prenez un pâtisson ou un morceau de courge pour une quantité de 1 kg) et 1 tasse de riz.

Dégraissez la viande ou demandez à votre boucher de le faire.

Remplissez d’eau un récipient à pot-au-feu et salez au gros sel. Faites bouillir avec les deux branches de céleri. Dansl’eau bouillante, ajoutez le poulet et la viande que vous laisserez cuire pendant 20 mn en écumant de temps en temps pour clarifier le bouillon. Incorporez ensuite les épis de maïs, l’oignon et le choux coupé en deux. Faites cuire encore 10 mn. Ajoutez ensuite les pommes de terre pelées et la courge. Laissez cuire jusqu’à ce que les pommes de terre et la courge soit tendres.

Prélevez trois tasses de bouillon (utiliser la mesure avec laquelle vous avez évalué la quantité de riz, lequel doit être cuit à l’eau dans une proportion de 3 à 1). Faites cuire le riz à part dans le bouillon.

Servez dans un plat en disposant à votre convenance les viandes et les légumes. Servez le riz à part.

Et pour accompagner ça, rien de mieux qu’un petit tango. En l’occurrence, je vous ai choisi Pucherito de gallina (je fais dans la facilité ce soir), un petit-chef d’oeuvre de Roberto Medina (paroles et musique) qui raconte la vie désoeuvrée et faussement follichonne d’un jeune homme qui vient rôder du côté de la esquina Corrientes y Maipu, en quête de gloire, de conquête et d’argent faciles sans aboutir à rien de bien concret... Voici le refrain :

Cabaret... "Tropezón"...,
era la eterna rutina.
Pucherito de gallina, con viejo vino carlón.
Cabaret... metejón...
un amor en cada esquina;
unos esperan la mina
pa' tomar el chocolate;
otros facturas con mate
o el raje para el convoy.

Le cabaret ... Le Tropezón... (1)
C’était le train-train quotidien.
Un puchero de poule, avec un bon vieux Carlón (2).
Le cabaret... Un flirt...
Un amour à chaque coin de rue.
Il y en a qui attendent leur copine
(3)
Pour prendre un chocolat
Et d’autres des viennoiseries avec un mate
Ou qui se barrent jusqu’à leur conventillo. (4)

Traduction Denise Anne Clavilier

Une interprétation qui a fait date... 1958, rien que des guitares et la voz de Edmundo Rivero (grand défenseur et promoteur du lunfardo)....

(1) Tropezón, faux pas, chute, quand on trébuche sur un pavé un peu réhaussé... C’était le nom d’un restaurant (assez célèbre sans être chic) où Carlos Gardel aimait aller manger un puchero criollo, quand ce n’était pas Maman qui le lui préparait ou qu’il n’avait pas envie de lui ramener un régiment de braillards à la maison.
(2) vino Carlón : vin argentin dont la qualité a longtemps été très médiocre. C’est ici le picrate du peuple. La viniculture ayant fait de notables progrès ces dernières années en Argentine, certaines bibines sans intérêt à la grande époque de la Década de Oro du tango (les années 30 et 40) sont aujourd’hui des breuvages fort appréciables et plus vraiment à la portée de n’importe quel pékin venu...
(3) la mina (lunfardo) : une fille. Ici il s'agit d'une milonguera, hôtesse-danseuse employée par les cabarets pour faire danser les hommes et se faire inviter à leur table pour les inciter à consommer (les hommes venaient seuls au cabaret ou accompagnés de leur maîtresse, jamais avec leurs épouses, le cabaret était un lieu mal famé mais cher). Les milongueras ne pouvaient pas quitter leur travail avant la fermeture du cabaret (4h du matin après 1936, 6h avant). Leur petit ami, quand elles en avaient un, les attendait à la sortie du turbin pour prendre le petit déjeuner avec elle dans un café du quartier.
(4) convoy (lunfardo) : le conventillo, logement précaire et incommode. A Buenos Aires, les conventillos poussaient comme des champignons pendant la grande phase migratoire entre 1880 et 1930. Il fallait bien que se logent les immigrants qui arrivaient en grand nombre dans la ville et s’y établissaient (les frontières avaient en fait été ouvertes pour peupler la campagne et l’arrière-pays... où il y avait encore moins de travail pour les nouveaux venus qu’à Buenos Aires et sur la côte. Donc ils restaient à Buenos Aires et sur la côte du Río de la Plata). Carlos Gardel et sa mère ont vécu une vingtaine d’années dans un conventillo, devenu aujourd’hui un garage, dans la rue Uruguay au n° 160 ou 162. Pour avoir une idée de ce qu’était le conventillo, il nous suffit de penser à nos immeubles délabrés à Paris, à Lyon, à Marseille, à Lille, que squattent des familles souvent nombreuses et toujours étrangères inscrites depuis 10 ans comme bénéficiaires urgentes sur les listes d’attente du logement social...