vendredi 4 juin 2010

La petite juge ne s'en laisse pas conter [Actu]

Dans l’affaire de la recherche des origines familiales des enfants adoptifs Marcela et Felipe Noble Herrera, la juge, malgré la procédure de récusation à son encontre entamée il y a deux jours par les avocats de la mère adoptive (voir mon article précédent), vient d’ordonner la réalisation des analyses ADN sur des échantillons prélevés sur les deux jeunes gens, considérés comme les victimes dans ce dossier.

En effet, pour qu’elles aient une valeur scientifique, il faut que les analyses soient effectuées dans les deux mois qui suivent le prélèvement. Les analyses devraient donc être réalisées lundi à la Banque Nationale de Données Génétiques dont c’est la mission légale.

La juge a rejeté la procédure intentée par les avocats de la défense en argumentant, comme Abuelas et le CELS avant-hier, qu’elle n’était qu’une tentative dilatoire de la part de la mère adoptive (qui agit en défense). Sur cette procédure qu’on lui oppose, elle s’en est remise à la Chambre fédérale qui a pouvoir de saisir ou dessaisir les juges en cas d’accusation de partialité

Désormais de deux choses l’une : ou bien la Chambre se prononce dans les vingt-quatre heures, auquel cas ou la juge est démise (et les analyses ne seront pas faites) ou la juge est maintenue sur l’affaire et les analyses seront faites, ou bien la Chambre ne se prononce dans plus de 24 heures, auquel cas ou la juge est démise et les analyses, qui auront été réalisées, sont ipso facto annulées pour vice de procédure, ou la juge est confirmée et les analyses, qui auront pu être réalisées dans les délais, seront validées, livrant ainsi des résultats fiables et mettant (enfin) un terme (sauf appel) à un procès qui dure depuis maintenant huit ans.

On saura alors si oui ou non ces deux jeunes gens sont issus d’une de ces familles d’opposants à la Dictature militaire qui recherchent des enfants de moins de 5 ans qui leur ont été volés.

Parmi les familles que rassemble l’association Abuelas de Plaza de Mayo (Grands-Mères de la Place de Mai) (1), il y en a dont les enfants étaient encore à naître lors de l’arrestation des parents. Qui ne savent donc pas s’il faut rechercher une fille ou un garçon ou des jumeaux ou si la maman n’a pas fait une fausse couche dans sa prison.

Pour en savoir plus :
Lire l’article de ce jour sur le site de Página/12

(1) A l’intention des internautes qui cherchent le sens ou la signification des dénominations Mères ou Grands-Mères de la Place de Mai, Madres ou Abuelas de Plaza de Mayo, quelques explications de base.
Plaza de Mayo (Place de Mai en français) est un lieu de Buenos Aires qui symbolise l’indépendance du pays, sa liberté et la souveraineté du peuple argentin. Plaza de Mayo est présidée par plusieurs bâtiments qui abritent des services d’Etat, tout d’abord à l’ouest le Cabildo, ancien siège du pouvoir colonial et aujourd’hui Musée de la Révolution de Mai qui vit le début de l’indépendance du pays en 1810, et face à lui, à l’est, à l’autre extrémité de la place, la Casa Rosada (la Maison Rose), siège de l’actuel Gouvernement républicain argentin. Sur la place, sont aussi situés plusieurs ministères, le siège de la Banque de la Nation (Banco de la Nación) et la Cathédrale Métropolitaine, dans un pays où l’Etat et l’Eglise ne sont pas séparés en droit (même s’ils le sont de plus en plus en fait et dans la pratique politique courante). Dans les années de plomb, pendant la Dictature militaire de 1976-1983, Plaza de Mayo est le lieu où se font tous les rassemblements à forte vocation politique, qu’ils soient une protestation véhémente contre une dérive du pouvoir fédérale (la manifestation pro-Perón du 17 octobre 1945 par exemple) ou que ce soit la ronde des Mères le jeudi après-midi, manifestation régulière qu’elle entamèrent sous le balcon de la Casa Rosada, alors occupée par la Junte au pouvoir. Pourquoi la Plaza de Mayo : parce que c’est là que le peuple s’est réuni le 25 mai 1810 pour réclamer la destitution du Vice Roi et la nomination d’un collège gouvernemental, que l’histoire a baptisé Primera Junta (lire mes articles sur la Semaine de Mai 1810, publiée pendant la semaine du Bicentenaire, du 18 au 25 mai 2010). Madres de Plaza de Mayo (aujourd’hui scindée en deux associations politiquement distinctes) recherche des opposants disparus pendant la Dictature, à l’âge adulte, et dont on sait aujourd’hui qu’ils sont morts. Madres veut savoir où, quand et comment et veut aussi que les corps soient rendus aux familles. Madres est une initiative d’un certain nombre de mères des disparus, d’où son nom, dont plusieurs leaders parmi les fondatrices ont elles mêmes été exécutées par la Junte. Sur le plan judiciaire, les deux associations suivent essentiellement les procès des bourreaux, militaires (appartenant souvent à la Marine), policiers et officiers de renseignement, qui ont procédé à des tortures, à des arrestations arbitraires et à des assassinats d’opposants. Abuelas de Plaza de Mayo recherche de son côté des personnes disparues en bas âge, supposées toujours vivantes aujourd’hui, car ces enfants n’ont pas été tués mais la plupart du temps donnés en adoption plénière, avec des papiers falsifiés, à des familles qui soutenaient le régime, souvent des familles de militaires, de policiers et d’officiers de renseignement. Abuelas de Plaza de Mayo intervient essentiellement dans les procès d’apropiadores (en droit argentin, on appelle apropiador l’adoptant qui connaissait l’origine clandestine de l’enfant et l’a tenue secrète). Le droit pénal argentin les tient pour criminels et les exposent à des peines de prison assez sévères pour enlèvement d’enfant et faux et usage en faux en vue de dissimuler l’état-civil d’un mineur. Dans les deux cas, les procès sont longs, pour ne pas dire interminables, et les deux associations, qui sont elles-mêmes habilitées à faire déclencher des poursuites, se font systématiquement insulter pendant les audiences par la défense, sans que les juges soient en mesure d’y mettre bonne fin. L’injure, là-bas, fait partie du débat judiciaire contradictoire.
Pour en savoir plus, vous pouvez accéder à mes autres articles sur ces questions douloureuses en cliquant sur le mot-clé JDH (initiales de Justice et Droits de l’Homme) dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessous (sous le titre de chaque article).