Le dessinateur de presse et peintre Miguel Rep qui officie tous les jours sur la une du quotidien de gauche Página/12 (image ci-contre)vient de publier un ouvrage qui "péronise" l’histoire de l’Argentine des pieds à la tête : 200 años de peronismo (200 ans de péronisme). Un clin d’oeil plus qu’appuyé aux célébrations du Bicentenaire du pays, dont j’ai déjà eu l’occasion de vous parler : elles se sont tenues pour l’essentiel autour de la fête nationale du 25 mai dernier (voir dans la rubrique Petites Chronologies, dans la partie médiane de la Colonne de droite, le feuilleton historique que j’ai rédigé du 18 au 25 mai dernier, pour suivre les événements révolutionnaires fondateurs de 1810).
Dans ce livre, dont il dit qu’il est un biographie non autorisée de l’Argentine (1), Miguel Rep retrace l’ensemble des grands faits qui ont marqué l’histoire du pays, à commencer par la découverte du Nouveau Monde, comme s’ils étaient le fait de Juan Perón. Au point de transformer et d’uniformiser les noms des grands héros, un peu à la manière de Peyo qui uniformise tous les verbes et beaucoup de substantifs dans les Schtroumpfs.
Ce faisant, il a de fortes chances d’incommoder à peu près tout le monde. Les péronistes, qui peuvent mal supporter que leur héros soit ainsi mis à toutes les sauces, mêmes les moins convenables pour sa dignité, notamment de sa vie privée avec Evita, "la Milagrosa", comme l’appelait Enrique Santos Discépolo (2). Comme les anti-péronistes, qui haïssent toujours à l’heure actuelle, le couple Perón, pour sa capacité à défendre l’indépendance de l’Argentine sur tous les plans, politique, stratégique et économique.
Le propos de Rep est de mettre en cause les images d’Epinal de l’histoire officielle, celle qu’on apprend dans les écoles (depuis la Generación del 80, à partir de 1883, année de l’instauration de l’école obligatoire jusqu’à 14 ans), celle qui marque tous les esprits et imprime chez les Argentins une vision de l’histoire toute faite, monolithyque et sans nuance.
Rep a été formé dans les années 60 et 70, quand les Etats-Unis régnaient sur l’Argentine et empêchaient tout à fait le surgissement d’une pensée historique nationaliste et critique face à cette histoire officielle dessinée par l’élite économique du pays, de mèche avec la puissance commerciale nord-américaine. Il s’est rendu compte que le monde évoluait autour de l’Argentine et que le discours intérieur restait identique, comme une réalité figée et anhistorique.
A l’occasion de la sortie de son livre, il répond dans le supplément Cultura y Espectaculos de Página/12 à sa collègue et consœur Silvina Friera, où il se montre à la fois admiratif et critique sur cette phase cruciale de l’histoire de l’Argentine que fut le Gouvernement Perón, de 1946 à 1955, avant et après la disparition d’Evita, en 1952.
Pour ceux que ces questions intéressent :
Allez lire l’interview de Miguel Rep sur le site de Página/12
Reportez-vous à mon Vademecum historique, dont vous trouverez le lien dans la rubrique Petites Chronologies, en partie médiane de la Colonne de droite.
Reportez-vous aussi à cette autre vision très personnelle d’Evita Perón que nous a offerte le dramaturge et metteur en scène Alfredo Arias au Théâtre du Rond Point à Paris cet hiver (le spectacle sera repris au printemps, en avril 2011, dans le même théâtre).
(1) Dans le monde anglo-saxon, on parle d’authorised biography lorsque le livre a été accepté par l’intéressé ou ses ayant-droits. La unauthorised biography est généralement un ouvrage qui à tout le moins égratigne l’image publique de la personne concernée, révèle des faits, vrais ou faux, que celle-ci ne veut pas rendre publique.
(2) La miraculeuse. Discépolo a tenu ces propos dans une série de monologues qu’il a écrits et dit à la radio en 1951, dans le cadre de la campagne électorale où Perón briguait un second mandat présidentiel consécutif.