samedi 25 avril 2009

Anna Saeki en Europe : retour "sans image" [Disques & Livres]


Anna Saeki à la Academia Nacional del Tango, Buenos Aires, 18 août 2008 (X° Festival del Tango de BsAs)


Il sera dit qu'Anna Saeki m'aura fait rompre toutes les règles que je m'impose dans Barrio de Tango pour pouvoir faire vivre ce blog dans le court délai des 24 heures que compte la journée terrestre. L'une de ces règles est en effet de ne parler que des artistes argentins et uruguayens menant carrière chez eux (1). Or Anna Saeki est japonaise. Ce qui n'empêche pas qu'elle soit une très grande chanteuse de tango argentin et, de vous à moi, une des plus impressionnantes qu'il m'ait déjà été donné de voir sur scène. Et puis, dans Barrio de Tango, quand je fais un retour sur un concert déjà annoncé (lire l'article), c'est pour faire un retour sur images. Or je n'ai pas une seule photo du concert d'hier. On ne peut pas photographier le spectacle : les flashes déconcentrent tout le monde, les artistes et le public. Alors je vais tout de même mais sans image vous faire retour sur ce récital, parce qu'il y a vraiment beaucoup de choses à en dire.

D'abord sur le programme que l'artiste a choisi et qui sera peu ou prou le même sur le reste de la tournée. Le concert dure une heure et demie, que l'on ne voit pas passer, et se constitue de deux parties sans entracte.

1ère partie : La Cumparsita (Si supieras, la letra de Pascual Contursi) (lire l'article sur l'histoire de cet hymne du tango), Sin palabras, Che Bandoneón, Parlez-moi d'amour (en japonais), Alfonsina y el mar, Yo vengo a ofrecer mi corazón, Dejá la vida volar, Todo cambia (ces trois derniers étant des créations nouvelles, tirées de son dernier disque).

La coupure entre les deux parties est un temps de musique instrumentale où le Quinteto El Después, qui l'accompagne dans sa tournée, joue sa propre musique, c'est-à-dire celle de ses deux membres argentins que sont le bandonéoniste Victor Hugo Villena et le guitariste Alejandro Schwarz. Leurs deux morceaux s'appellent Efecto Tango 2 et Anna de San Telmo (une milonga camdombe). Hier, j'ai nettement ressenti qu'à partir de ce moment-là, les musiciens se sont enfin lâchés. Dans la première partie, où leurs arrangements sont pourtant excellents, j'avais l'impression d'un quintette cantonné à un rôle de faire-valoir, comme écrasé, volontairement ou non, par la partie vocale (qui en impose).

La deuxième partie est entièrement consacrée au duo Astor Piazzolla-Horacio Ferrer. Le quintette ne se contente plus d'accompagner mais devient partie prenante du concert au même titre que la chanteuse. L'introduction instrumentale qu'ils ont faite pour Balada para un loco est très originale. D'ordinaire, ce tango n'a pas d'introduction (c'est même un de ses traits distinctifs) mais pour un public linguistiquement hétérogène, qui ne peut pas goûter pleinement le récitatif de début, l'idée de faire entrer le spectateur dans la folie du personnage et de cette histoire par la musique et la danse, légèrement flamenca, que nous offre Anna Saeki, est une vraie idée théâtrale. A la voir dans cette deuxième partie, on croirait qu'Anna Saeki est née pour le répertoire Piazzolla-Ferrer. A moins que ce ne soit l'inverse. Dans cet univers artistique, esthétique, musical et poétique singulier, elle revèle un faste vocal et une justesse de jeu à la mesure des joyaux de théâtre dont elle se pare sur les planches.

Cette dernière partie comporte 5 pièces, deux très connues et trois beaucoup moins : Chiquilín de Bachín, Oblivion (en japonais), Las Ciudades, Balada para un loco (avec le récitatif du début essentiellement en japonais et un couplet repris aussi en traduction), Balada para mi muerte et Preludio para el año 3001.

L'ensemble du tour de chant est très structuré avec une montée en puissance de la chanteuse, de la musique et de l'émotion, qui se ressentait même dans cette salle à forte culture japonaise, tellement plus retenue et disciplinée qu'un public latin. J'ai pour ma part rarement vu un récital de tango aussi émouvant que la deuxième partie de ce spectacle.
A voir absolument.
Au besoin, déplacez-vous en Allemagne, partez à Tokio, retenez votre avion pour Lima ou pour Buenos Aires mais surtout ne ratez pas cette chanteuse. Elle passe régulièrement en France mais il nous faudra attendre au moins l'année prochaine pour la revoir...

En Allemagne où sa tournée va prochainement la mener (lire l'article), le programme du tour de chant sera, je suppose, adapté et il y a fort à parier que Parlez-moi d'amour (qui fait plaisir aux Français) fera place à Lily Marlène... sans doute en japonais là aussi. Les traductions nippones du tour de chant sont musicalement excellentes (et c'est une intégriste de la VO en tout et surtout dans le tango qui l'écrit !). J'ignore évidemment à quel point ces versions sont fidèles aux textes originaux (2) mais Anna Saeki réussit cet exploit de chanter des textes japonais qui sonnent comme les originaux. Il est vrai aussi que la langue japonaise le permet puisqu'elle ne se compose que de phonèmes qui existent dans les langues latines et que le rythme et la modulation de la parole n'y sont pas incompatibles avec ceux de l'espagnol. L'effet serait très différent avec du mandarin, du vietnamien, du tamoul ou une langue sémite.

Les équipes locales qui accueillent la chanteuse, l'association AKJW à Paris, vendent ses disques à l'entrée et à la sortie du concert. 5 disques sont disponibles. Deux sont destinés au marché extrême-oriental (tout est écrit en japonais) et trois sont des disques accessibles aux Occidentaux idéographiquement illettrés dans mon genre.

Canto de sirena, chez Rentrak Japan 2001, présente principalement du Piazzolla avec différents letristas : Los pájaros perdidos, Peludio para el año 3001, Vuelvo al sur, La ciudades, Oblivión, Balada para un loco. L'album compte en tout 11 pistes et est vendu au prix de 20 € (à Paris).

Anna Saeki, tango clásico y moderno, chez Oriente Musik (un label allemand), double CD de 21 pistes + 2 bonus vidéo, vendu à Paris au prix de 25 €. Quelques titres : Sin palabras, Malena (qui fait aussi le bonus vidéo), Azabache (qui est le bis du récital actuel), La Cumparsita, María, Sur, El Día que me quieras (en version originale puis en version japonaise) pour le disque Clásico et trois Piazzolla-Ferrer pour Moderno : Chiquilín de Bachín, Balada para mi muerte (qui fait aussi le bonus vidéo) et La última grela (comme Las ciudades, c'est un morceau peu chanté et peu enregistré depuis la création par Amelita Baltar et Astor Piazzolla, au début des années 70).

Et chez Moon Music, en 2009, Yo vengo a ofrecer mi corazón (je viens offrir mon coeur), le plus récent de ses disques, qu'elle a monté et enregistré l'année dernière avec la grande chanteuse de folklore argentine qu'est la Maestra Mercedes Sosa (70 ans). Lorsque la lumière s'éteint dans la salle, la projection d'un petit clip vidéo, résumant les séances d'enregistrement et montrant les Maestras Mercedes Sosa et Teresa Parodi, aux côtés de Anna Saeki, précède d'ailleurs l'entrée en scène du Quinteto el Después. Dans ce disque, plusieurs créations spécifiques : Los Hermanos (la chanson du clip d'ouverture), Todo cambia, Yo vengo a ofrecer mi corazón (qui forme deux pistes, l'une en espagnol, l'autre en japonais), Deja la vida volar. En tout 17 pistes (vendu à 20 €, donc des prix raisonnables pour des disques produits dans le Primer Mundo, comme disent les Argentins, c'est-à-dire dans l'hémisphère nord, au niveau de vie plus élevé qu'au sud de notre planète).

Pour la France, c'est donc l'association AKJW qui s'occupe d'accueillir Anna Saeki. Ce sont eux qu'il faut contacter pour vous procurer ces disques, si vous ratez le second et dernier concert qu'elle donne dans l'Hexagone, ce soir, à la Maison de la Culture du Japon à Paris (quai Branly, au pied de la Tour Eiffel et au bord de la Seine).

Pour en savoir plus : le site d'Anna Saeki elle-même (sans document audio ni vidéo mais en 5 langues) et le site de AKJW.

Pour vous faire une idée de la voix d'Anna Saeki, lire mes articles la concernant en cliquant sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, en haut de l'article, sous le titre.

(1) Il est en effet impossible à un seul rédacteur de rendre compte de tout ce qui se passe de bon dans le monde en matière de tango, qui connaît un succès mondial. Des pays comme le Japon, la Finlande, les Pays-Bas, l'Espagne, le Brésil, les Etats-Unis, la France abritent d'excellents artistes de tango, argentins ou autochtones.
(2) En japonais, je ne connais qu'un seul mot : aligato. Ce n'est pas lourd. Mais, pour le coup, la qualité l'emporte sur la quantité...