Rosa Gómez Aquino vient de publier chez Editorial del Nuevo Extremo un livre intitulé La voz del muro (la voix du mur). Elle y dresse l'inventaire photographique des peintures murales que l'on voit un peu partout à Buenos Aires et qui sont autant de témoignages, d'illustrations et de réflexions politiques ou sociales sur la réalité que vivent les Argentins ou les Portègnes.
Rosa Gómez Aquino est diplômée de l'Université de Buenos Aires où elle a étudié les sciences de la communication et où elle a un poste d'enseignante en sémiotique (1).
Página/12 lui a consacré un article entier dans son édition d'aujourd'hui et l'interviewe longuement sur ce livre et son contenu.
Extraits :
Rosa Gómez Aquino vient de parler de la genèse de son livre, de la manière dont elle s'est mise à parcourir la ville avec son appareil photo pour s'entraîner à capter la réalité qui l'entourait en vue d'utiliser plus tard le savoir-faire ainsi constitué lors de ses voyages...
Y en esos recorridos porteños en los que empiezo a descotidianizar lo cotidiano comienzo a “ver” algo a lo que no le prestaba mucha atención: murales, stencils, collages, graffiti, etc., todo un abanico de lo que se conoce como street art o arte urbano de una calidad increíble. Todo un material riquísimo y dispuesto a ser fotografiado y, por lo tanto, preservado en un soporte distinto. Me entusiasmó mucho la idea de hacer ese registro fotográfico y comencé a sacar las fotos y a buscar zonas de alta concentración de cantidad y calidad de arte urbano para hacer las tomas.
Rosa Gómez Aquino, dans Página/12
Et au cours de ces parcours dans Buenos Aires où je commence à déquotidianiser le quotidien, je me mets à voir quelque chose à quoi je ne prêtais pas beaucoup d'attention : des peintures murales, des stencils, des graffitis etc., tout un éventail de ce qu'on connaît comme l'art de la rue ou l'art urbain d'une qualité incroyable (2). Tout un matériel très bon et prêt à être photographié et, par là-même, préservé sur un support différent. L'idée de réaliser cet inventaire photographique m'a beaucoup enthousiasmée et j'ai commencé à prendre les photos et à chercher des endroits de forte concentration d'art urbain, en quantité et en qualité, pour faire les prises.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
- Sorprende la gran calidad de estas pintadas, ¿cómo es posible que no se sepa de su existencia?
- Me parece, en principio, que está la cuestión de lo cotidiano, de lo que está naturalizado, incorporado a la mirada y, por lo tanto, de tan cercano ya se torna invisible o, al menos, imperceptible. Además, en una ciudad como Buenos Aires, con un entramado tan denso de estímulos y mensajes visuales, o sea, tan contaminada visualmente [...], los sentidos tienden a anestesiarse aún más y en ese contexto toda pintada que no se distinga claramente por alguna de sus variables (color, tamaño) está casi condenada a pasar inadvertida. Pero también es cierto que muchas áreas de gran riqueza de murales (por ejemplo, la de la subestación eléctrica de Colegiales) están en zonas bastante escondidas de la ciudad, donde, por ejemplo, prácticamente no pasa ningún colectivo.
Página/12
- On est surpris par la grande qualité de ces peintures. Comme est-il possible qu'on ne connaisse pas leur existence ?
- Il me semble d'abord qu'il y a le problème du quotidien, de ce qui est comme devenu natuel, incorporé dans notre regard et du coup, d'aussi près, ça devient invisible ou, à tout le moins, imperceptible. En plus, dans une ville comme Buenos Aires, avec un treillis aussi dense de stimuli et de messages visuels, ou disons plutôt, [une ville] aussi polluée visuellement (3) [...], les sens ont tendance à s'anesthésier encore plus et dans ce contexte, toute peinture qui ne se distingue pas clairement par une variable quelconque (couleur, taille) est presque condamnée à passer inaperçue. Mais en même temps, c'est sûr, beaucoup de zones très riches en peintures murales (par exemple, celle du sous-poste électrique de Colegiales) se trouvent dans des coins plutôt cachés de la ville, où; par exemple, ne passe pratiquement aucun bus.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
- Hay pocos con texto, ¿se debe a una elección suya o es una tendencia?
- Lo que pasa es que yo elegí básicamente murales y en general no suelen tener texto lingüístico o lo tienen en muy poca cantidad, y están más focalizados en lo icónico. Por ahí, si me hubiera inclinado por los graffitis políticos o futboleros, lo predominante sería lo lingüístico. Pero ése sería otro libro, con menos riqueza icónica, menos “belleza” en el sentido tradicional del término y seguramente, más rico en otros aspectos que, por supuesto, siguen haciendo a la producción de sentido de una ciudad.
Página/12
- Il y a peu [de peintures] avec du texte. Est-ce dû à un choix de votre part ou est-ce une tendance ?
- Ce qui se passe, c'est que j'ai choisi essentiellement des peintures murales et en général elles n'ont pas de texte verbal ou alors en très petite quantité et elles sont davantage centrées sur l'image. De l'autre côté, si je m'étais penchée sur les graffitis politiques ou footballistiques, ce qui prédominerait, ce serait le verbal. Mais ce serait alors un autre livre, avec moins de richesse picturale, moins de "beauté" au sens traditionnel du terme et pour sûr plus de richesses dans d'autres aspects, qui, bien entendu, continuent de contribuer à la production de sens dans une ville.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Le reste de l'interview, je vous invite à aller le lire directement dans l'article de Página/12 en vous appuyant, si besoin est, sur l'outil de traduction en ligne qu'est Reverso (lien dans la rubrique Cambalache casi ordenado, en partie inférieure de la Colonne de droite).
En 2003, Horacio Ferrer a publié lui aussi un livre sur le même sujet mais il s'agit d'un livre de poète : Salón Buenos Aires, Rimas y murales, Horacio Ferrer sobre fotos callejeras de Roberto de Luca, Editorial El Ateneo, Buenos Aires 2003.
Cette année-là, le photographe était étudiant à la Academia Nacional del Tango. Il suivait les cours du Liceo superior del Tango.
A côté des photos, le livre comporte des poèmes d'Horacio Ferrer. A la page 66, le Maestro a déposé un poème en hommage à son ami, le chanteur Gustavo Nocetti (1959-2002) (4), qui venait de trouver la mort tragiquement dans un accident de voiture à Montevideo. Le poème fait face à un superbe portrait de lui, photographié sur un mur où il est exécuté sans doute au stencil et où son visage est salué par deux vers de Libertango, qu'il a si bien chanté, deux vers qui disent :
Mi libertad me ama
y todo el ser le entrego
Horacio Ferrer, dans Libertango (musique de Astor Piazzolla)
Ma liberté m'aime
et tout mon être, je le lui livre
(traduction Denise Anne Clavilier)
Dans ce livre, on trouve aussi (p 64) le poème qu'Horacio Ferrer a dédié à Jorge Muscia (5), El Fileteador, face à une photo de l'enseigne (qu'on doit à Jorge bien sûr, et elle porte sa signature) de El Federal à San Telmo, à moins qu'on ne soit encore à Monserrat, esquina Perú y Carlos Calvo :
Populares arco iris
con virtud de humano amor,
maquillaje de muñecas
de romántico impudor.
Vamos, almas de las líneas
a saber del girasol,
caracol renacentista
con lección del mago de Oz.
Horacio Ferrer, dans El Fileteador (musique de Raúl Garello)
Populaires arcs-en-ciel
Qui ont la vertu de l’amour humain ;
Maquillage de poupée
D’impudeur romantique.
Allons, âmes des lignes
Au goût de tournesol,
Escargot de la Renaissance
avec une leçon du Magicien d’Oz.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
(1) la sémiotique est l'étude des relations entre le contenu du message et la forme du support, que ce support soit verbal ou visuel (discours, dessin, logo, vidéo etc.)
(2) il faut vraiment être Portègne pour ne pas s'en rendre compte. Mes amis, là-bas, sont toujours surpris lorsque je leur parle de cet aspect-là de leur ville : eux ne le voient pas, ils n'en voient pas les richesses artistiques invraisemblables alors qu'un Européen ne peut pas ne pas voir la différence avec les villes d'ici.
(3) la publicité est partout à Buenos Aires et sans aucune règle urbanistique. Les panneaux et les enseignes lumineuses gâchent parfois des perspectives somptueuses ou symboliques. Essayez donc de prendre en photo l'Obélisque sans capter en même temps les panneaux publicitaires, je vous souhaite bien du plaisir et de la souplesse. Il va falloir adopter des postures acrobatiques pour y parvenir !
(4) Gustavo Nocetti, vous le retrouvez sur le disque Melopea, distribué en cadeau avec mon livre, Barrio de Tango : il y chante La Guita, de Horacio Ferrer et Raúl Garello, extrait de l'album Homenaje a Woody Allen, 1992, chez Melopea.
(5) Jorge Muscia est aussi l'auteur de la couverture de Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, ed. du Jasmin, et je suis heureuse de parler de ce tango que lui ont dédié Ferrer et Garello, ne serait-ce que parce que son travail artistique pour Barrio de Tango rencontre ici l'adhésion du public, comme j'ai pu le constater sur les salons auxquels j'ai déjà assisté depuis la parution, toute récente, du bouquin...