Depuis une semaine, on n’a plus vu le quotidien Crítica de la Argentina dans les kiosques argentins. Tout a commencé par un conflit social lorsque les 178 salariés du journal ont réclamé le paiement de leurs arriérés de salaire. Le journal connaît depuis plusieurs mois de sérieuses difficultés de trésorerie, car il doit faire face à de mauvais payeurs et se voit privé de trop nombreuses rentrées d’argent publicitaire.
D’après La Nación, journal de droite et d’opposition en Argentine, cette faillite serait due au refus du gouvernement de faire bénéficier ce nouvel organe de presse de ses campagnes d’information (particulièrement nombreuses en cette année du Bicentenaire) et à la pression qu’il aurait exercée sur un certain nombre d’annonceurs privés pour qu’ils boycottent Crítica de la Argentina. Selon La Nación, Crítica était trop fidèle à son nom et critiquait trop bien la politique actuelle du pays, en en révélant les scandales relatifs à l’administration kichneriste en place.
La Nación, qui dit regretter la disparition d’un confrère indépendant, en profite pour régler quelques comptes avec certains députés de la majorité, accusés de jouer les Judas, et qui seraient pour beaucoup, d’après elle, dans les difficultés, visiblement insurmontables, rencontrées par Crítica.
Crítica, comme tout le monde l’appelait, avait sorti son premier numéro il y a deux ans. Par un coup de génie du marketing, le journal avait repris, en y ajoutant un complément du nom ("de la Argentina") mais tout le monde n’utilisait que le premier mot, le titre d’un très grand journal disparu dans les années 50, Crítica (tout court), où avaient travaillé de très grandes plumes comme Carlos de la Púa, dit aussi el Malevo Muñoz, un des très grands poètes du lunfardo, Raúl González Tuñón et l’ineffable Barquina, ami de tout le gratin du tango, de Gardel, avec qui il tenait d’interminables conversations en verlan, à Aníbal Troilo et Homero Manzi... On doit à Carlos de la Púa un recueil de poèmes dans lequel vont puiser aujourd’hui des musiciens comme Melingo et Tata Cedrón. La même chose est vraie de González Tuñón. Quant à Barquina, qui est cité par Cátulo Castillo dans A Homero, un tango de Aníbal Troilo dédié à Homero Manzi, dix ans après sa mort, il a lui-même signé plusieurs tangos, dont le plus célèbre est sans doute NP, appelé aussi No place, un tango qui raconte l’amour déçu d’un propriétaire pour un cheval de course minable, perdant systématique.
L’apparition de Crítica de la Argentina dans les kiosques il y a deux ans, cela avait été comme si un passé désormais mythique resurgissait, avec ce projet fort d’une presse indépendante qui aurait pu dénoncer les couacs dans tout le pays...
Pour aller plus loin :
Lire l’éditorial (non signé) publié aujourd’hui dans La Nación.