4ème épisode du feuilleton de Barrio de Tango sur la Semana de Mayo, qui précipita la Révolution fondatrice de l’Argentine...
Après que le dernier Vice Roi, le médiocre, tyrannique et velléitaire Baltasar Hidalgo de Cisneros, a cédé, la veille au soir, aux pressions de quelques notables portègnes, déterminés et menaçants, et accepté, à son corps défendant, d’organiser un Cabildo Abierto le mercredi 22 mai, le siège du pouvoir colonial à Buenos Aires, le Cabildo, qui est alors un majestueux bâtiment de 11 arcades autour d’un corps de logis central, seul vestige parvenu jusqu’à nous, reprend ses activités quotidiennes comme si de rien n’était.
Mais plusieurs centaines d’hommes armés se regroupent très tôt ce matin-là sur la Plaza Mayor, dite aussi Plaza de la Victoria, qu’on appelle aujourd’hui Plaza de Mayo, face au Cabildo. Ils sont environ 600, ce qui, dans ces années-là, représente un impressionnant rassemblement dans une petite ville comme Buenos Aires. Ils se sont attribué le titre de Légion Infernale, ils brandissent un portrait du roi Fernando VII, le roi légitime désigné comme successeur par Carlos IV lors de l’abdication forcée de Bayonne, sous la pression de Napoléon. En signe de fidélité à l’Espagne des Bourbons et à l’unité entre Criollos et Espagnols, ils arborent sur leur poitrine un ruban blanc.
Ils crient leur défiance à l’égard du Vice Roi, dont des notables ont exigé la veille la démission, et réclame à grands cris la tenue du Cabildo Abierto, institution prévue par les usages coloniaux pour que l’élite de la capitale d’un vice-royaume se réunisse avec les autorités en place pour des prises de décision consensuelles dans des situations graves qui ne permettent pas d’attendre des consignes du Gouvernement royal de Madrid. Or la situation est grave puisque la dernière autorité légitime de l’Espagne a été renversée par le pouvoir napoléonien à la fin de janvier 1810. La nouvelle a atteint Buenos Aires, une semaine auparavant, le 14 mai, et elle a été confirmée et diffusée partout en ville le 18 mai.
Leiva, l’un des conseillers du Vice Roi, tente de calmer la foule en l’assurant de la tenue le lendemain du Cabildo Abierto mais il ne parvient pas à la faire se disperser. Le Colonel du Régiment de Patricios, Cornelio Saavedra, intervient alors et promet aux agitateurs d’appuyer la tenue du Cabildo Abierto, par les armes s’il le faut. Cornelio (ou Corniglio) Saavedra est l’un des grands notables qui, la veille, ont arraché au Vice Roi la décision de réunir le Cabildo Abierto (Cabildo Ouvert, puisque d’ordinaire, on n’entre au Cabildo qu’en montrant patte blanche). La foule se le tient pour dit et se retire sans avoir exercé de violence mais sur un grand malentendu politique.
La Légion Infernale entend en effet maintenir le lien entre tous les blancs, les Américains et les Européens, comme en témoignait le ruban blanc sur les poitrines. Saavedra, Belgrano et les autres grands notables de Buenos Aires sont, eux, déjà fermement décidés à couper les ponts entre la Métropole et les provinces du Río de la Plata. Bien entendu, la présence spontanée de cette foule devant le Cabildo démontre que la partie n’est pas gagnée. Les chefs de Mai tiendront donc un discours très prudent et très ambigu durant les premières années de la Révolution et prétendront toujours vouloir détacher la future Argentine non pas de l’Espagne en tant que telle mais de l’Espagne de Joseph Bonaparte. Ils s’efforceront pendant près de quatre ans de maintenir l’apparence légaliste et légitimiste d’une fidélité politique à l’Espagne des Bourbons, un mythe qui volera en éclat quelques mois après que ceux-ci auront repris leur trône à Joseph Bonaparte, qui n’aura régné que cinq ans et demi sur la Péninsule, du 6 juin 1808, date de son intronisation, alors qu’il demeure encore des enclaves de souveraineté espagnole, jusqu’au 11 décembre 1813, le début de la fin du Premier Empire.
La Légion Infernale entend en effet maintenir le lien entre tous les blancs, les Américains et les Européens, comme en témoignait le ruban blanc sur les poitrines. Saavedra, Belgrano et les autres grands notables de Buenos Aires sont, eux, déjà fermement décidés à couper les ponts entre la Métropole et les provinces du Río de la Plata. Bien entendu, la présence spontanée de cette foule devant le Cabildo démontre que la partie n’est pas gagnée. Les chefs de Mai tiendront donc un discours très prudent et très ambigu durant les premières années de la Révolution et prétendront toujours vouloir détacher la future Argentine non pas de l’Espagne en tant que telle mais de l’Espagne de Joseph Bonaparte. Ils s’efforceront pendant près de quatre ans de maintenir l’apparence légaliste et légitimiste d’une fidélité politique à l’Espagne des Bourbons, un mythe qui volera en éclat quelques mois après que ceux-ci auront repris leur trône à Joseph Bonaparte, qui n’aura régné que cinq ans et demi sur la Péninsule, du 6 juin 1808, date de son intronisation, alors qu’il demeure encore des enclaves de souveraineté espagnole, jusqu’au 11 décembre 1813, le début de la fin du Premier Empire.
Le jour même, le 21 mai 1810, le Cabildo de Buenos Aires établit une liste de 450 invités parmi les notables riches et instruits. Les lettres d’invitation (esquelas) sont confiées à l’imprimerie de Agustín Donado, un proche des meneurs de la Légion Infernale, qui décide d’en imprimer beaucoup plus que prévu et les distribue largement dans toute la ville à des Criollos d’un rang social bien moindre que les 450 hommes désignés par le Cabildo. A ce moment-là, le terme criollo désigne les habitants nés sur le sol américain, par opposition aux habitants nés en Espagne, ou ailleurs en Europe, et venus s’installer adultes, temporairement ou définitivement, dans le Nouveau Monde.
Dans l’Empire colonial espagnol, le Cabildo Abierto est une instance très élitiste, à laquelle on participe à la discrétion du Vice Roi selon des modes de désignation très arbitraires mais qui ont longtemps fait à peu près consensus. C’est à cet arbitraire d’Ancien Régime, devenu inacceptable avec les idées nouvelles venues des Etats-Unis et de France, que le peuple entend mettre fin. De là, l’initiative de l’imprimeur qui élargit de son propre chef l’éventail social et politique des participants à de nombreux hommes blancs, libres et nés sur le continent mais pas toujours ni très riches ni très instruits. Les femmes, les Indiens, les noirs (alors esclaves) et les métisses restent exclus de ce Cabildo, comme d'habitude (même à la veille d'une révolution, les hommes doivent raison garder !). Ce jour-là, l’invitation arrive chez des artisans et des petits commerçants, des tenanciers de pulperías (gargottes) et autres épiciers, savetiers ou sous-officiers de tel ou tel régiment, toutes gens qui se sont battus, et vaillamment, en 1806 et en 1807, lors des deux tentatives d’invasion anglaise sur les deux rives du Río de la Plata.
Fac-similé de la convocation historique du Cabildo Abierto du 22 mai 1810
Dans l'invitation au Cabildo Abierto, le protocole fait dire à Cisneros, avec les formules ampoulées toujours en usage dans le vocabulaire institutionnel espagnol :
El Excmo. Cabildo convoca á Vd. para que se sirva asistir, precisamente mañana 22 del corriente, á las nueve, sin etiqueta alguna, y en clase de vecino, al cabildo abierto que con avenencia del Excmo. Sr. Virrey ha acordado celebrar; debiendo manifestar esta esquela á las tropas que guarnecerán las avenidas de esta plaza, para que se le permita pasar libremente.
Le Très Haut Cabildo Vous invite à assister, demain 22 courant, à neuf heures, sans aucune étiquette et en votre qualité d’habitant de la ville, au cabildo abierto dont, dans sa bienveillance, Son Excellence Monsieur le Vice Roi a concédé la tenue. Vous devrez produire ce document aux troupes qui garniront les avenues de la place pour qu’il vous soit permis de passer librement.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour en savoir plus :
Consulter le site (en espagnol) sur le Bicentenaire, proposé parle Ministère de l’Education argentin.
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