Photo de Marcelo Gómez pour La Nación
Après le vote des élus uruguayens qui avaient il y a deux ans dépénalisé l'avortement (1), ce qui avait constitué une grande première quant à l'évolution des moeurs en Amérique du Sud, voici que la Chambre des Députés argentins vient de voter une loi qui ouvre aux homosexuels le droit de se marier. Depuis de nombreux mois, le débat agite le monde politique argentin et une partie de l'opinion publique. Le magistère catholique n'a pas ménagé ses efforts ni ses arguments pour dénoncer cette évolution, si contraire à la conception éthique et anthropologique de la société que défend l'Eglise catholique et romaine. Ces derniers jours, alors que la date du vote s'approchait, le quotidien Página/12, fervent partisan du projet de loi, a même déterré de vieilles histoires datant de la Dictature militaire dans le but évident de déconsidérer le cardinal Bergoglio, archevêque de Buenos Aires et primat d'Argentine, qui a pris la tête de la lutte contre ce projet de loi (2).
Le vote positif de la Chambre doit encore être suivi par un vote positif au Sénat. Nul doute que, dans les jours qui viennent, les blagues vont pleuvoir, en particulier dans les pages de Página/12, sur ce que pourrait être dans quelques jours ou quelques semaines le vote éventuel de Julio Cleto Cobos, Vice président de l'Argentine et Président du Sénat, qui avait voté non sur un autre grand projet de loi de la majorité gouvernemental (voir mon article du 19 juillet 2008 sur ce sujet). Il va falloir surveiller de près les humoristes Daniel Paz et Rudy d'une part et Miguel Rep d'autre part. Et je ne vous parle pas des gros titres, les jeux de mots risquent de passer en rafales...
En tout cas, on sait que parmi les députés qui ont voté oui, il y avait Néstor Kirchner (et ça se voit bien sur la photo que j'ai extraite du site de La Nación et placée en illustration de mon article : Néstor Kirchner est au deuxième rang, le troisième à partir de la gauche). Or Néstor Kirchner n'est pas n'importe qui. Néstor Kirchner n'est autre que l'ancien Président de la République, le mari de l'actuelle Présidente de la République, le chef du parti de la majorité (partido justicialista, autrement connu chez nous comme parti péroniste) et hier, il a même été élu par les chefs d'Etat de toute la région Président de l'UNASUR, l'Union des pays d'Amérique du Sud. Il y a quelques mois, sa candidature avait été pourtant repoussée par l'ancien Président uruguayen, Tabaré Vázquez, qui entendait ainsi faire pression dans le cadre de la dispute frontalière autour de la papeterie Botnia, dont la cause passait alors en jugement au Tribunal International de La Haye (voir mon article sur le jugement de La Haye, il y a quelques jours). Hier, l'opposition uruguayenne a été levée par le nouveau président, José Mujica, qui veut apaiser ce conflit et rapprocher l'Uruguay et l'Argentine, lui qui, pendant sa campagne électorale, avait pourtant tenu des propos très peu diplomatiques sur le couple Kirchner (lire mon article du 28 septembre 2009 sur cette interview à La Nación qui avait fait scandale l'année dernière).
C'est donc un double et très beau coup politique que réussit le Gouvernement argentin en l'espace de vingt-quatre heures : imposer son candidat à la tête de l'UNASUR, ce qui n'a pas été une sinécure, et réalise une première retentissante et plus que symbolique à l'échelle du continent, en ce mois où le pays célèbre le bicentenaire de son indépendance, indépendance dont la lutte armée avait été marquée du sceau de la libération des moeurs et des consciences. L'un des premiers actes des révolutionnaires de Mayo 1810 avaient été d'expulser le Grand Inquisiteur qui officiait à Buenos Aires comme dans toutes les autres capitales de tous les vice-royaumes de l'Empire colonial espagnol...
Il faut maintenant attendre le vote au Sénat. N'en doutons donc pas : sur ce point, la lutte n'est pas finie entre les forces catholiques et la majorité péroniste K qui gouverne aujourd'hui le pays.
Pour aller plus loin :
Lire l'article de Clarín(1) cependant la loi n'a pas été sanctionnée par le pouvoir exécutif. Le président de la République, qui a aujourd'hui quitté le pouvoir, Tabaré Vázquez, avait apporté son veto, comme la constitution lui en donnait le droit. Voir mon article du 14 novembre 2008 sur ce vote et ce veto présidentiel.
(2) Le prélat a été accusé, dans les colonnes de Página/12, d'avoir dénoncés aux pouvoirs publics de l'époque des prêtes qui dépendaient de son autorité écclésiastique et de les avoir livrés à la prison et aux bourreaux. Je n'ai pas rendu compte dans ce blog parce que pour le moment, je pense que ce scandale est peut-être monté de toutes pièces et pourrait relever d'une manipulation de l'opinion publique pour un enjeu de société qui n'a rien à voir avec les crimes de la Dictature. Mais vous pouvez bien sûr aller regarder tout ça dans les archives de Página/12 dont vous avez le lien dans la rubrique Actu, en partie basse de la Colonne de droite.