L’une des co-fondatrices de l’association alors unitaire Madres de Plaza de Mayo (mères de la place de Mai), qui recherche les disparus adultes, arrêtés arbitrairement et assassinés par la Dictature entre 1976 et 1983, a été faite Ciudadana Ilustre par la Legislatura Porteña.
L’expression pourrait se traduire en français par Citoyenne illustre, ce qui ne correspond à rien en Europe, où il existe bien une citoyenneté d’honneur mais elle est accordée à des personnalités qui ne sont justement pas citoyennes de fait de la ville concernée. En Argentine comme en Uruguay, on peut être Ciudadano Ilustre d’une ville quelque soit le lieu où l’on habite vraiment. Il s’agit d’une distinction honorifique qui a le même statut qu’une décoration. Et comme vous le voyez, cette décoration relève bel et bien du pouvoir politique, Assemblée législative puisqu’il s’agit ici de la Ville Autonome de Buenos Aires, conseil municipal ailleurs.
Josefina García de Noia fait partie du premier groupe à avoir manifesté autour de la Pyramide de la Place de Mai, pyramide qui n’en est d’ailleurs pas une mais plutôt une colonne à section rectangulaire au sommet de laquelle se dresse la statue de la République Argentine. La Pyramide se trouve juste en face du balcon central de la Casa Rosada et depuis 1977, des femmes tournent autour tous les jeudis après-midi pour réclamer des informations sur le sort de leurs enfants disparus.
Josefina García fait partie du groupe initial de 15 femmes qui s’étaient donné rendez-vous à la Pyramide le 30 avril 1977, en ayant pour seul point commun d’être sans nouvelle de leurs enfants, arrêtés ou enlevés pour leur militance en faveur des droits de l’homme après le coup d’Etat qui avait renversé la Présidente Isabel Perón, le 23 février 1976, coup d’Etat mené à bien par le chef d’Etat-Major de l’Armée, le Général Videla, aujourd’hui en procès à Córdoba pour l’assassinat par fusillade de 31 prisonniers politiques. Ce 30 avril 1977 était un vendredi. Un policier, en voyant le groupe, leur a demandé de "circuler" (señoras, circulen). Alors elles ont obéi. A leur façon : elles se sont mises à marcher en cercle (circulo) autour de la Pyramide et elles ont décidé de se donner rendez-vous au même endroit la semaine suivante. Et pour s’éviter d’être apparentées par la dictature à des sorcières, dont on sait qu’elles font leur sabbat le vendredi soir, elles ont abandonné le vendredi et choisi le jeudi. Mais la réaction de la Junte fut peut-être pire encore que celle qu’elles craignaient : les généraux les qualifièrent de locas de Plaza de Mayo, les putes de la place de Mai (1).
Josefina García de Noia, ancienne ouvrière textile de Castelar, a perdu la trace de sa fille, Lourdes, qui était professeur de psychologie à l’Université de Morón (dans la banlieue sud-ouest de Buenos Aires) après l’arrestation de celle-ci le 13 octobre 1976. Josefina García a eu 89 ans hier et c’est à cette occasion que la Legislatura lui a rendu hommage.
Aujourd’hui, Josefina García a rejoint les rangs de l’Association Madres de Plaza de Mayo linea fundadora qui s’est séparée il y a plusieurs années de Madres de Plaza de Mayo, pour des raisons politiques (Madres de Plaza de Mayo est très majoritairement péroniste, c’est aussi l’association la plus médiatique, celle qui est la plus engagée dans la vie politique au sens large du terme et la vie sociale et culturelle du pays).
La cérémonie d’hier s’est déroulée comme toujours au Salón Dorado de l’Assemblée Portègne, dans la rue Perú, en présence d’environ 200 invités, devant lesquels la vieille dame a brandi sa médaille et son diplôme d’honneur en clamant : "30 000 disparus ! Présents !"
Parmi les fondatrices de Madres de Plaza de Mayo, quatre femmes ont elles-mêmes été assassinées par le régime, dont une, Noemi Gianetti de Molfino est la grand-mère d’un des petits-enfants récemment identifiés par l’autre association, Abuelas de Plaza de Mayo (les grands-mères). Voir mon article du 4 novembre 2009 sur cette identification et l’histoire de la grand-mère martyre dont le corps a été retrouvé dans un hôtel dans l’Espagne tout nouvellement revenue à la démocratie.
Les trois autres s’appelaient Azucena Villaflor, María Bianco et Ester De Careaga. Elles ont été arrêtées en décembre 1977 (en plein été). Et on a retrouvé leur corps plusieurs mois plus tard sur la plage de Santa Teresita. Elles avaient été jetées vivantes dans la mer depuis l’un des avions des vols de la mort, avec la religieuse française Léonie Duquet.
Pour en savoir plus :
Lire l’ensemble de mes articles sur Madres de Plaza de Mayo en cliquant sur le mot-clé Madres dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus (le même mot-clé rassemble les articles sur Madres de Plaza de Mayo et Madres de Plaza de Mayo linea fundadora) ou l’ensemble des articles portant sur les questions de droits de l’homme et donc de répression pénale des bourreaux des deux dictatures, en Argentine et en Uruguay, en cliquant sur le mot-clé JDH (pour Justice et Droits de l’Homme).
Lire aussi l’article de La Prensa d’hier soir.
(1) Il y a quelques jours, à l’occasion de l’ouverture du procès de Videla, j’ai entendu sur l’une des chaînes publiques de France Télévision un journaliste employer à nouveau cette affreuse expression des Folles de la Place de Mai (en confondant allègrement, qui plus est, Madres de Plaza de Mayo et Abuelas de Plaza de Mayo, qui mènent deux combats complémentaires mais différents). Il ne faut jamais les appeler ainsi : cette expression n’est pas un hommage à leur témérité, comme le croient si facilement les journalistes français. C’est une insulte et de la plus basse espèce. Le langage qui est employé là est bien sûr la langue d’Argentine, et non pas l’espagnol d’Espagne, où cet adjectif n’a bien entendu pas la même acception.