Jorge Rafael Videla, l’auteur du coup d’Etat du 23 février 1976 (ci-contre en costume bleu, au premier rang du boxe des accusés, photo Clarín), a renversé le gouvernement constitutionnel (mais pas tout à fait irréprochable) d’Isabel Perón. Il est jugé à nouveau à Córdoba; au milieu de 31 accusés, pour l’assassinat par fusillade de 31 prisonniers politiques dans les prisons de cette ville entre avril et octobre 1976.
Jorge Videla a déjà été condamné à la prison à perpétuité, à la dégradation et à la perte définitive de ses droits civiques, en 1985, pour son action à la tête de la Junte militaire mais il a été amnistié, comme beaucoup d’autres criminels, par les lois d’amnistie votées à la fin de la première présidence du retour de la Démocratie, et appliquée au coup par coup, pour les personnes déjà condamnées et détenues, par Raúl Alfonsín puis Carlos Menem, son successeur. La mesure est aujourd’hui très contestée mais, à cette époque-là, elle était peut-être indispensable à la remise du pays en état de marche. Il faut bien que le processus d’épuration s’arrête un jour pour laisser place à nouveau à la vie d’un Etat organisé avec tous ses corps constitués. Néanmoins les découvertes ultérieures d’autres crimes puis l’abolition des lois d’amnistie permettent à la justice argentine de mettre ou remettre en prison un bon nombre de hauts responsables impliqués dans les exactions du régime.
Videla est donc en prison depuis 12 ans. Il a 85 ans aujourd’hui et hier, au cours de la première phase de l’audience où les accusés peuvent s’exprimer, il a entièrement assumé son action tout au long de sa présidence anticonstitutionnelle (presidencia de facto) : “Asumo mi responsabilidad en la guerra interna librada contra el terrorismo subversivo, mis subordinados se limitaron a cumplir mis órdenes como comandante en jefe” (J’assume ma responsabilité dans la guerre interne livrée contre le terrorisme subversif, mes subordonnés se sont limités à accomplir mes ordres de commandant en cher [des Armées], traduction Denise Anne Clavilier). Je vous laisse apprécier le vocabulaire très typique des dictatures sud-américaines, cloné à partir de celui de la CIA dans les années du maccarthisme (les années 50).
C’est la première fois que Videla s’exprime depuis 25 ans. Mais c’est peut-être aussi la dernière : de sa voix tremblante et désormais mal assurée, il a rejeté le tribunal qui ne serait pas selon lui compétent pour le juger (il estime incompétent tout tribunal civil, mais la justice militaire n’a jamais accepté d’instruire ni d’organiser son procès) et il a annoncé qu’il refusait de participer aux débats (declarar). Pour lui, les faits ont déjà été jugés en 1985, or on ne revient pas sur la chose jugée (ce qui est vrai dans un état de droit, si tant est que ces faits étaient bien contenus dans l’acte d’accusation de 1984).
En même temps, l’actuelle Présidente, Cristina Fernández de Kirchner, avocate de formation et militante des droits de l’homme, rendait hommage au CELS (Centro de Estudios Legales y Sociales) à un journaliste argentin, décédé le 10 février dernier, Eduardo Kimel, écroué après le retour à la démocratie pour avoir dénoncé un juge qui avait été complice de l’assassinat de cinq religieux sous la Dictature. Jusqu’à il y a peu, en effet, ce type de propos tombait sous le coup d’une loi dite de calomnie et d’injures, qui a, récemment, été abolie (voir mon article du 19 novembre 2009 sur les changements intervenus dans le code pénal argentin).
Un tribunal international des Amériques avait, en mai 2009, condamné l’état argentin pour cette peine infligée au journaliste, puisqu’elle violait le principe international de liberté d’expression de la presse. La cérémonie d’hier est la réponse institutionnelle de l’Argentine à cet arrêt de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme et la Présidente y a solennellement réaffirmé son engagement de consolider les droits de l’homme dans le pays et s’est félicitér qu’il n’y ait jamais eu plus grande liberté de la presse qu’aujourd’hui dans le pays, malgré des progrès qui restent à faire sur la liberté d’expression, pour laquelle l’obstacle majeur est, selon elle, l’existence d’une concentration monopolistique de la presse (elle vise là le groupe Clarín).
Alors bien sûr, selon la couleur politique du jounal, vous ne trouverez pas le même type d’analyse de la réunion au CELS sous la plume du journaliste. A commencer par Clarín, qui n’en fait même pas mention...
Pour en savoir plus sur le procès de Videla et consorts :
Lire l’article de Clarín
Sur la réception au CELS :