Comme j'ai eu l'occasion de le raconter dans ces colonnes, le chef du Gouvernement Portègne, Mauricio Macri, a été inculpé dans l'affaire des écoutes illégales des victimes de l'AMIA et cette inculpation a été confirmée par la Chambre de contrôle qu'il avait aussitôt saisie espérant faire valoir des vices de forme et s'affranchir ainsi de ce procès dont il réclame à présent la tenue très rapide, en espérant limiter le risque que les audiences aient lieu alors que la campagne électorale battra son plein : depuis l'été, Mauricio Macri ne cache plus en effet son intention de se présenter à l'élection présidentielle d'octobre 2011.
Jusqu'à cet arrêt en appel, les représentants à Buenos Aires de l'opposition au Gouvernement national s'étaient bien gardé de se désolidariser de lui, certains allant même jusqu'à dire que cette inculpation était le fruit d'une manigance de la Casa Rosada et du parti majoritaire, le partido justicialista, les péronistes (1). Depuis l'arrêt qui confirme l'inculpation, cette belle solidarité vole en éclat. Même les plus proches soutiens de Macri émettent désormais l'idée qu'il n'y a pas de fumée sans feu et que, pour que la justice maintienne ainsi ses accusations, il faut bien que le chef du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires se soit sali les mains dans ce scandale.
Il se trouve qu'aujourd'hui l'Argentine et l'Uruguay célèbrent la Fête des Amis (Día del Amigo). Vous imaginez bien que les deux humoristes de la une de Página/12 n'allaient pas laisser passer si belle occasion de tomber à bras raccourcis sur celui qu'ils considèrent comme leur pire adversaire politique de l'heure...
Ce qui donne ce dessin, aussi cruel que langagièrement habile (les deux sont liés, bien évidemment) :
La pancarte de Macri : Un ami, c'est celui qui est toujours là pour t'écouter.
Le spectateur au loin : Macri essaye de profiter de la fête des amis pour se débarrasser de l'affaire des téléphones piégés (2)
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Ce type d'humour est très typique des premières années du tango-canción, dans les années 20 et 30 alors qu'une censure très vigoureuse obligeait les auteurs à jouer sur les mots et sur les concepts pour renvoyer au patronat ses arguments et ses moeurs dans les gencives sans que celui-ci s'en rende vraiment compte. Ce qui fait des tangos de ces années-là des textes passionnants pour leurs nombreux niveaux de lecture et qui a enraciné dans la culture locale cette manière de s'exprimer qui est très proche de l'humour juif, lui aussi, un humour des sans-voix (d'ailleurs Rudy revendique sa judéïté et ce n'est pas pour rien...)
(1) Contrairement à ce qui se passe en Europe, la culture politique de l'Argentine ne porte pas les hommes politiques à fuir le confrère inquiété par la Justice. Au contraire. C'est une occasion pour accuser la justice d'être au service d'intérêts autres que ceux du pays et de la loi. Résultat d'une longue tradition de corruption évidente de l'appareil judiciaire depuis très longtemps et en particulier depuis 1880, que les dictatures successives n'ont évidemment pas aidé à corriger...
(2) littéralement l'expression parle de téléphones pincés (pinchar).