jeudi 22 juillet 2010

Macri met son mandat en jeu [Actu]

Depuis la fin de la semaine dernière, comme le savent les fidèles lecteurs de ce blog, la justice argentine a validé l’inculpation de Mauricio Macri, prononcée à la mi-mai, dans le dossier des écoutes illégales, désormais connu comme l’espionnage de l’AMIA (voir mon article du 18 juillet 2010 sur le sujet).

La Legislatura Porteña, assemblée législative compétente pour la Ville Autonome de Buenos Aires, où le chef du Gouvernement en fonction n’a pas de majorité absolue mais une opposition déterminée à lui faire rendre gorge (voir mon article du 30 juin 2009 sur les résultats des élections de mi-mandat en juin 2009), s’est aussitôt emparée de cette occasion en or pour lancer une procédure de destitution dont l’envie la démangeait depuis de nombreux mois, tant le feu couve entre Macri et elle depuis la prise de fonction du premier (10 décembre 2008) et l’avalanche de scandales, tous plus énormes les uns que les autres, qui a suivi sans solution de continuité depuis.

A Buenos Aires, la procédure de destitution doit passer par ce que les Argentins appellent un procès politique (juicio político) qui, à Buenos Aires, doit être engagé par 45 députés (1) sur les 70 que compte la Legislatura Porteña et il faut pour cela l’accord de 30 de ces 45 députés. Dans un deuxième temps, il faut que le Chef du Gouvernement mis en cause comparaisse devant une Commission de jugement (sala juzgadora), composée de 15 députés, dont 10 siègent aujourd’hui dans les rangs de l’opposition. Ce qui signifie que si la procédure passe, la destitution est très vraisemblable. Or la procédure, lancée par l’opposition avant-hier, a été mise en échec dès sa première étape : les députés du PRO (macristas) ont tous voté contre.

Et à la surprise de tout le monde, en un vrai coup de théâtre qui reste difficile à comprendre, contre le vote exprimé quelques heures auparavant par les députés qui lui sont acquis, Mauricio Macri vient de demander lui-même, au cours d'une conférence de presse, sa mise en jugement politique, devant les instances de la Legislatura. Sans doute espère-t-il ainsi sortir politiquement blanchi, ce qui lui laisserait les mains libres face à son opposition (qui aurait alors bien du mal à être audible) et lui donnerait (peut-être) un petit avantage psychologique devant les magistrats dans la procédure pénale entamée contre lui, qui sera maintenue quel que soit le résultat de la procédure à la Legislatura.

Tous les observateurs sont abasourdis : il prend un risque qui paraît énorme dans une affaire où il y a vraiment un faisceau d’indices contre lui et tout un passé de dossiers très troubles (voir mes articles sur la vie politique au niveau de la Ville en cliquant sur le mot-clé GCBA dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus, sous le titre du présent billet).

Ses adversaires et ses partisans se départagent avec seulement 4 voix de différence et ces 4 voix sont des voix d’appui, d’alliés et non de partisans soumis à une discipline de parti (ou de courant). Deux de ces députés sont des fidèles de Francisco de Narváez, du PRO comme lui mais contre lui depuis que Macri a annoncé, cet été, son intention de se présenter à l’élection présidentielle (2), et les deux autres sont des fidèles de Elisa Carrió, une opposante viscérale au couple Kirchner qui a jusqu’ici soutenu la politique et les arguments de Macri parce qu’il est l’opposant en chef des Kirchner sur Buenos Aires mais lundi, elle s’est soudain désolidarisée de lui (à la plus grande jubilation des titreurs et des graphistes du quotidien de gauche Página/12) en lui donnant un très spectaculaire coup de pied de l’âne. En se rapprochant ostensiblement d’un allié jusqu’alors indéfectible de Macri mais qui venait de le lâcher (3), elle a affirmé que l’arrêt qui confirme l’inculpation était un arrêt impeccable, ce qui était peu cohérent avec ses propos précédents.

A Página/12, on interprète le changement radical de stratégie de Mauricio Macri comme un abandon à son sort judiciaire du Ministre de la Justice portègne, Guillermo Montenegro, lui aussi dans le collimateur des magistrats, et de ses subordonnés de la Policia Metropolitana, un ministre que Macri a pourtant soutenu jusqu’à l’arrêt de confirmation et qu’il serait en train de lâcher maintenant pour lui faire porter le chapeau, en sa qualité de supérieur du Directeur de la Sécurité, en prison préventive depuis plusieurs mois, après son inculpation comme ordonnateur effectif des écoutes (4).

La décision de Mauricio Macri ressemble aussi à un désaveu de ses propres avocats qui étaient d’avis jusqu’ici de laisser se dérouler la procédure pénale en évitant les vagues inutiles et d’aviser au fur et à mesure, ce qui paraissait le plus raisonnable. Sauf que les délais de justice risquaient bel et bien de placer les audiences en pleine campagne électorale.

Si les choses se passent comme prévu, on va assister dans les heures qui viennent, si ce n'est déjà fait ou en cours, à un spectacle surréaliste : l’enclenchement de la procédure de destitution par les députés du PRO, qui vont faire l’inverse de ce qu’ils ont fait au cours du dernier scrutin. Comme un énorme coup de dé qu’un Mauricio Macri imberbe de fraîche date (5) a présenté dans sa conférence de presse, entouré de tous ses ministres, qui font tout de même tous une drôle de tête (6), comme une preuve suprême de transparence démocratique de sa part.

Qui vivra verra. La précédente et unique procédure de destitution a eu lieu en 2006 contre Aníbal Ibarra pour des malversations diverses et variées. Elle avait abouti. La procédure lancée par Mauricio Macri contre lui-même sera la seconde depuis que Buenos Aires jouit d’un statut de Ville autonome, avec un Gouvernement et une Chambre Législative (Legislatura) -et non plus un maire et un conseil municipal comme avant 1994- et une Constitution qui la dote des mêmes attributions qu’une Province.

Affaire à suivre dans la presse argentine, dont un certain nombre de titres sont présents parmi les liens de la rubrique Actu, dans la partie basse de la Colonne de droite de ce blog…

(1) qui forme la Commission d’accusation (sala acusadora).
(2) à laquelle De Narváez ne peut de jure se présenter car il est Argentin par naturalisation et non par naissance (comme l’exige la constitution fédérale) mais dont il veut être le décideur au sein du PRO, qu’il dirige.
(3) Felipe Solá, un ancien Gouverneur de droite de la Province de Buenos Aires, aujourd’hui député de la Ville de Buenos Aires (siégeant à la Legislatura), qui a écarté publiquement l’hypothèse jusqu’alors unanimement soutenue par la droite portègne que l’inculpation venait d’une manœuvre politique inavouable des Kirchner pour se débarrasser de leur plus dangereux adversaire politique à la prochaine élection présidentielle.
(4) Personnellement, j’ai été très frappée du ton, plutôt inhabituel, des informations sur la 2 x 4 mardi matin, il y a donc deux jours (je n’ai pas eu l’occasion d’écouter depuis). La 2 x 4 est le fidèle reflet du pouvoir portègne. Radio publique directement administrée par le Gouvernement, elle porte la voix de cette instance dans ses analyses politiques, tout comme le site Internet de la Ville. Or mardi, le ton des journalistes n’était pas particulièrement macriste et ils ne se faisaient pas vraiment l’écho des arguments développés par Mauricio Macri dans sa défense pro domo.
(5) Cela le rend plus difficile à croquer pour les caricaturistes qui vont devoir attendre que le public se soit habitué à cette nouvelle tête pour le reprendre et le débarrasse d’un petit point en commun avec Hitler, un peu risqué par les temps qui courent. Mais allez donc regarder la une de Página/12 d’aujourd’hui, vous allez constater que l’opposition a facilement contourné l’obstacle en appelant à la rescousse les photographes de presse (la rédaction a sélectionné un impitoyable trio de clichés) et pour la moustache, Daniel Paz a joué avec celle du premier ministre national, Aníbal Fernández, plus fournie et qui ne fait courir aucun risque d’aucune comparaison fâcheuse à son propriétaire.
(6) Et encore ! la photo est extraite du Portail de la Ville de Buenos Aires, tout acquis au Chef du Gouvernement, auquel il obéit au doigt et à l’œil, avec ou sans moustache…