mardi 27 juillet 2010

Hier, l’Argentine péroniste a rendu hommage à Evita [Actu]

Eva Perón est décédée le 26 juillet 1952, quelques mois après la réélection de son mari à la magistrature suprême du pays. En cette année du Bicentenaire de l’Argentine, il était normal que la mouvance péroniste, au niveau politique, syndical et social, célèbre cet anniversaire, tant la personnalité de cette ardente militante nationaliste a marqué l’histoire du pays.

Eva Perón, ou plutôt Evita comme aiment l’appeler ses admirateurs, fut l’instigatrice du droit de vote des femmes, la promotrice d’une législation plus souple sur le divorce, dans un pays où le poids de l’Eglise catholique était beaucoup plus important qu’aujourd’hui (1), l’initiatrice d’une loi qui donna des droits équivalents au père et à la mère dans l’exercice de l’autorité parentale. Ces deux dernières conquêtes du féminisme furent supprimées par la Revolución Libertadora, nom du régime qui suivit la destitution de Perón en septembre 1955. Eva Perón est aussi à l’origine du réseau socio-sanitaire du pays avec ses nombreux hôpitaux et ses centres culturels et sociaux très nombreux dans toutes les villes, même assez petites. Beaucoup d’entre eux portent aujourd’hui son nom. Beaucoup sont gérés par des personnalités morales fidèles à la mouvance péroniste (CGT, Movimiento Evita et autres). Bien entendu, le péronisme est loin d'être universel en Argentine mais c'est sans doute aujourd'hui le mouvement politique qui a la plus grande visibilité, parce qu'il est sans doute le mieux armé dans cet art de se montrer, peut-être parce qu'au cours des 50 dernières années il a été celui qui a subi le plus de persécutions (parce que le plus attractif pour la population, grâce ou à cause au charisme de Evita et de Perón)

La Présidente hier, au cours d’une cérémonie à la Casa Rosada, a répété ce qu’elle avait déjà dit lors de son discours inaugural devant le Congrès le 10 décembre 2007 : qu’Evita aurait largement mérité d’être chef d’Etat. En cette année qui est aussi une année pré-électorale, alors que les élections s’annoncent sous des auspices particulièrement orageux (voir mes articles des jours précédents, notamment sur la situation de Buenos Aires, dirigée par le prétendant n° 1 de l’opposition), c’était le moment ou jamais d’utiliser la figure mythique pour galvaniser les forces favorables au Gouvernement actuel. Et ça n’a pas manqué comme en témoigne la une aujourd’hui du quotidien de gauche péroniste Página/12.

Par ailleurs, et d’une manière plus éclairante pour nous les Européens que les grands meetings retentissants de mots d’ordre tout faits, le journal publie aujourd’hui un billet d’opinion sur les arguments des anti-Evita et la nature de la controverse qui exista et continue d’exister autour d’elle. Le billet s’intitule Esa mujer (cette bonne femme-là, que vous pouvez entendre au sens laudatif comme au sens péjoratif) est signé d’un historien de l’Université de Buenos Aires (UBA), le professeur Sergio Wischñevsky qui passe en revue toutes les formes de haine qui s’exprimèrent, dans les différents milieux sociaux, de son vivant et après sa mort, notamment sous la Revolución Libertadora, qui fut généreuse en outrages contre les deux figures du péronisme récemment vaincu, lui et elle. A lire pour tous ceux qui ont eu la chance par exemple de voir le spectacle de Alfredo Arias autour des figures d’Evita et du chanteur espagnol Miguel de Molina ou qui auront la chance de le voir en avril prochain, toujours à Paris et toujours au Théâtre du Rond-Point, à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire en général et à tous ceux qu’interrogent les engagements politiques de grands poètes du tango comme Homero Manzi ou Enrique Santos Discépolo qui luttèrent de toutes leurs forces pour le projet politique porté par Perón, dans une Argentine prise dans les tenailles de la guerre froide.

Yo sabía que en muchos lugares
que no eran los de mi alrededor,
la discutían.
Y sabía que tenía un rostro de muchacha
y una forma de hablarnos
que nos hacía quererla.
También sabía que (por lo menos)
se había acordado de nosotros.
Y que eso
fue lo que algunos no le perdonaron.
Lo demás no lo sabía
y quizás todavía no lo sepa del todo.
Pero los míos la lloraron como nunca vi que
lloraran a nadie.
Héctor Negro
Cuando murió Evita

Je savais qu’en maints endroits
Qui n’étaient pas dans mes alentours
Elle était contestée.
Je savais qu’elle avait un visage de jeunette
Et une façon de nous parler
Qui nous faisait l’aimer.
Je savais aussi (c’est le moins qu’on puisse dire)
Qu’elle ne nous avait pas oubliés
Et que ça
Ce fut ce que quelques uns ne lui pardonnèrent pas.
Le reste, je ne le savais pas
Et peut-être je ne le sais toujours pas tout à fait.
Mais les miens l’ont pleurée comme jamais je ne les
ai vus pleurer personne.
(Traduction Denise Anne Clavilier) (3)

Pour aller plus loin :
Lire le billet de Sergio Wischñevsky dans Página/12 aujourd’hui
Lire l’article de Página/12 d’hier sur les différentes cérémonies qui se tenaient dans tout le pays
Cliquez sur le mot-clé Evita dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus, pour accéder aux autres articles sur la figure d’Evita dans Barrio de Tango, blog en français consacré au tango et à la culture populaire du Río de la Plata…

(1) Seul un catholique pouvait alors accéder au mandat de Président de la République. Cette restriction confessionelle a été supprimée il y a quelques années seulement. Plus de 90% des Argentins se reconnaissent catholiques, même si le taux de pratique religieuse est de très loin inférieur à cette proportion et se rapproche sensiblement, surtout en ville, des taux existant en Europe.
(2) comme vous le laisse deviner cette dénomination pour le moins paradoxale, le coup d’Etat du 6 septembre 1955, qui fit plusieurs centaines de morts à Buenos Aires et mit fin au mandat, pourtant constitutionnel, de Perón, avait été opéré en sous-main par les Etats-Unis qui, pendant la guerre froide et jusqu’à il y a peu de temps encore, passaient leur temps à libérer à toute force des peuples qui ne leur avaient jamais rien demandé. Un peu comme l’Union Soviétique d’ailleurs, mais dans le sens contraire et avec une répression inférieure de quelques degrés dans la violence (mais seulement de quelques degrés).
(3) Extrait d'un poème qui paraîtra en version bilingue dans la revue Triages, en décembre 2010, aux Editions Tarabuste (rue du Fort, Saint-Benoît-du-Sault, Indre)