mercredi 10 décembre 2008

25 ans après le retour de la démocratie, une découverte macabre [actu]


L’équipe argentine d’anthropologie criminelle (Equipo Argentino de Antropología Forense) vient de découvrir un charnier sur le lieu supposé d’un ancien centre de détention et de torture du temps de la dernière dictature (que nous appelons, nous, en français, la Dictature Militaire). L’équipe a découvert quatre puits contenant 10 000 fragments d’ossements humains calcinés et un mur, de 10 mètre de long, sur lequel on a relevé environ 200 impacts de balles.

Cette découverte, rendue publique aujourd’hui, confirme les dires de plusieurs témoins de l’affaire Etchecolatz, un tortionnaire condamné au retour de la démocratie (pour 91 cas de torture avérés et le changement d’identité d’un enfant de disparus) puis amnistié aux termes de la loi Obediencia Debida en 1987 puis à nouveau condamné en 2006 (1) après que les lois Obediencia Debida et Punto Final furent été déclarées inconstitutionnelles (2). Miguel Etchecolatz était en 1976-1977 un des hauts responsables de la police de la Province de Buenos Aires et c’est bien dans un domaine dépendant aujourd’hui encore par la Police de la Province de Buenos Aires que la sinistre découverte a été faite. Les recherches, dans ce qui n’était alors qu’un cimetière de voitures accidentées et de deux roues inutilisables, ont commencé en février dernier, sur commission rogatoire d’un juge de La Plata (capitale de la Province de Buenos Aires) soucieux de vérifier les dires de témoins dans le procès dit "pour la Vérité" (Juicio por la Verdad). Ces témoins affirmaient que la Police procédait à la crémation clandestine des corps des assassinés pour faire disparaître leurs traces et les traces des meurtres.

L’EAAF a d’abord procédé au déblaiement des lieux. Elle a ensuite pu repérer 4 bouches de puits. Les premiers ossements ont été découverts le 16 avril dans le premier des puits explorés, dans les couches supérieures de ce puits. Derrière le mur qui fermait cette cour, les enquêteurs ont découvert un deuxième patio, encombré lui aussi de carcasses de voiture. C’est en le dégageant qu’ils ont vu le mur et le témoignage des fusillades.

Ce lieu était un lieu de détention clandestin, comme l’était aussi à la même époque l’ESMA à Buenos Aires, censée être l’école supérieure des mécaniciens de la marine...

L’information est révélée le jour où partout, dans toutes les villes, dans toutes les Provinces, mais en l’absence de la Présidente en voyage officiel à Moscou, un nombre incalculables de cérémonie se tiennent tout au long de la journée..



(1) Au terme d’un parcours judiciaire très complexe, dû aux jeux des changements de loi et des diverses mesures d’amnistie, Miguel Etchecolatz a pu être rejugé et définitivement écroué parce qu’il détenait chez lui une arme à feu, ce qui était contraire à son statut de prisonnier aux arrêts domiciliaires. Son procés en 2006 a tenu en haleine le pays tout entier pendant plusieurs mois et c’est pendant ce procès qu’un témoin-clé, victime des tortures infligées par Etchecolatz, a disparu sans laisser de trace sur le chemin qui le conduisait au tribunal où il devait témoigner. Cet homme s’appelle Jorge Julio López, et si vous allez à Buenos Aires vous verrez un peu partout encore aujourd’hui des affichettes réclamant "su reaparición con vida" (qu’il réapparaisse en vie).
(2) Obediencia debida : obéissance due. Punto final : point final. La loi Obediencia debida (1987) protégeait de toute future poursuite les officiers subalternes et les soldats qui s’étaient rendus coupables d’actes de torture, d’enlèvements, de séquestrations, etc. parce qu’ils en avaient reçu l’ordre de leurs supérieurs. Un certain nombre de cas étaient explicitement écartés du bénéfice de cette loi, pour tenir compte du précédent du procès de Nuremberg et ne pas voir débouler en Argentine tous les auteurs de lèse-humanité et autres nazillons répandus dans le monde.

La loi de Punto final mit fin, quant à elle, dès 1986, à tous les procès, y compris ceux qui étaient encore en cours d’instruction et qui touchaient les crimes politiques perpétués sous la Dictature militaire. Le Président d’alors, Raúl Alfonsín, auquel ces lois sont amèrement reprochées par un large secteur de l’opinion politique, estimait qu’il fallait mettre un terme à l’épuration, tout à la fois pour des raisons symboliques (il y a toujours un moment où il faut se remettre à revivre ensemble, où il faut cicatriser, au besoin par la cautérisation, les plaies d’une guerre civile) et pour des raisons pratico-réalistes, les mêmes qui à la Libération de la France poussèrent De Gaulle à refuser toute épuration dans la fonction publique et la magistrature : comment dépouiller tout un pays de l’ensemble de ses fonctionnaires, nécessairement tous impliqués à des degrés divers dans les exactions de la Dictature précédente ? En France, le procès de Maurice Papon, brillant fonctionnaire et même ministre de la République compromis dans des crimes contre l’humanité comme Préfet aux ordres du Gouvernement de l’Etat Français (1940-1944) ne commença qu’en 1981, après l’arrivée au pouvoir de Mitterand. En Argentine, en 2003, 20 ans après la fin de la Dictature, au début de la Présidence de Néstor Kirchner, mari de l’actuelle présidente, le renouvellement des générations dans la fonction publique, aux niveaux fédéral et provincial, a permis de déclarer inconstitutionnelles ces lois d’impunité et de reprendre le processus d’épuration, avec tout ce que cela entraîne de sentiment d’injustice et de défiance envers un Etat versatile, tant chez les victimes que chez les bourreaux. Du coup, les Kirchner apparaissent aux yeux de leurs électeurs comme les premiers qui ont le courage (et de fait on ne peut pas le leur dénier totalement) de faire ce travail qui consiste à vider l’abcès, à dénoncer les cadavres dans les placards et à rechercher ce que sont devenus et les disparus et leurs enfants en bas âge adoptés par des familles proches de la Junte au pouvoir. La situation historique et politique est bien sûr beaucoup plus complexe.