lundi 8 décembre 2008

Ouverture du 5ème Festival International Tango Danza Teatro [à l’affiche]













Aujourd’hui, 8 décembre (jour férié en Argentine, c’est la fête de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, en Espagne c’est pareil, on bosse pas). Ce lundi commence donc la 5ème édition du Festival International Tango Danza Teatro, plus connu sous le nom de Cambalache (entendez "grand bazar" ou "souk"), du nom d’un célèbre tango d’Enrique Santos Discépolo écrit en 1933 et qui a lui-même donné son nom à la principale salle où se déroule la manifestation : Espacio Cultural Cambalache, Alsina 2764 à quoi s’adjoint la salle presque voisine de El Cubo (le cube), dans la petite rue Zelaya (on dit cortada dans ce cas-là) située à quelques cuadras, entre le Centre Commercial de l’Abasto et le Museo Casa de Carlos Gardel, toutes les deux dans le quartier de Balvanera (en fait à la frontière entre Balvanera, Almagro, Recoleta et Palermo).

Le Festival se déroulera toute la semaine et se conclura dimanche prochain. Il est l’oeuvre de deux danseurs, Pablo Inza et José Garófalo, et d’un metteur en scène de théâtre, Alberto Goldberg. Il s’intéresse à l’exploration de tous les arts de la scène organisés autour d’une colonne vertébrale, le tango, sous toutes ses formes.

24 troupes du monde entier, y compris argentines, y participent cette année. L’Argentine est représentée par des spectacles de Buenos Aires, de Río Negro et de Mendoza et les autres spectacles représenteront la Belgique, la France, Cuba, les Etats-Unis et la Russie. Le Festival se compose de spectacles, répartis sur 5 jours consécutifs, de divers ateliers et de stages d’enseignement à quoi s’ajoute cette année une section arts visuels avec aujourd’hui même, jour de l’ouverture, une session de body painting confiée au Maestro Jorge Muscia, fileteador de grand talent, au pinceau duquel tous ceux qui le veulent pourront confier leur peau (il fait à nouveau très chaud en ce moment à Buenos Aires, les petits tshirt sans manche, les dos-nus, les shorts et les mini-jupes sont de sortie). L’atelier de Jorge, qui peut se visiter sur rendez-vous et où il organise (toujours sur rendez-vous) des séances d’initiation au fileteado pour des petits groupes de touristes (et pour des groupes scolaires) se trouve à San Telmo, à deux pas de la Plaza Dorrego, et à trois de l’atelier du compositeur Néstor Tomassini et j’ai l’honneur de les compter tous les deux parmi mes amis (1). Alors j’essayerai, malgré la difficulté de la période, d’obtenir qu’il me raconte un petit quelque chose de l’aventure pour vous (mais je ne vous promets rien : le mois de décembre est infernal pour Jorge, c’est la fin de l’année, il faut tout boucler avant le calme plat qui commence irrévocablement la veille de Noël : et hop, tout le monde à la plage pour deux mois !)

Comme vous pouvez aller lire (je vous y encourage vivement) l’interview des trois responsables du Festival dans l’article que leur consacre Página/12 de ce jour et dont je viens de vous donner le lien, je vais profiter de l’occasion pour vous rappeler (2) que Jorge est donc fileteador (si vous ne savez pas ce qu’est le fileteado, c’est le moment d’aller visiter son site, il est en libre service permanent dans la colonne de droite, partie basse, à la rubrique Les peintres !), qu’il est membre de la Academia Nacional del Tango depuis sa fondation, qu’il en a dessiné le logo (ce pierrot de pleine lune sorti tout droit de la Comedia del' Arte avec deux bandonéons ouverts en guise de fraise et de couvre-chef et que vous pouvez voir en illustration de certains des articles de Barrio de Tango sur les activités académiques, dont très récemment celui sur La Gran Milonga Nacional de samedi soir) et confectionné le Libreto Fundacional qui fut présenté au Président Carlos Menem pour lui arracher la décision de créer la Academia (livret que vous pourrez admirer dans la dernière vitrine du Salón de los Angelitos au Museo Mundial del Tango - sauf que la Academia Nacional del Tango ferme entre Noël et la fin du Carnaval fin février), qu’il est chargé de l’enseignement des arts plastiques et de leur relation au tango à la même Academia nacional etc et qu’enfin vous avez son profil gauche (à gauche gauche de la photo) dans mon article sur le banquet façon Petit village gaulois qui a conclu mes vacances à Buenos Aires cet été (non, este invierno !).
Jorge Muscia est aussi scénographe, a ce titre il travaille beaucoup avec les théâtres pour concevoir et réaliser de décors. Il est aussi l’auteur d’un hommage à Carlos Gardel que vous pouvez voir à Toulouse (il a été installé en grande pompe en décembre 1998 par Dominique Baudis himself, alors Maire de la Ville Rose, et en présence de descendantes de Paul Lassere, supposé père naturel de Carlos Gardel, mais en fait, on n’a aucune certitude). Ce Totem gardélien est l’une des rares oeuvres sculpturales consacrées à Carlos Gardel (il n’y a que deux statues de Gardel dans tout Buenos Aires, une à l’Abasto, devant la Esquina Carlos Gardel, et une sur sa tombe au Cimetière de la Chacarita, alors que les portraits peints sont légions). Le Totem exécuté par Jorge est le premier hommage plastique rendu à Gardel par sa ville natale. Ce qui vaut au fileteador d’être titulaire d’un diplôme d’honneur de la Capitale occitane. Dans l’oeuvre artistique de Jorge, ce Totem prend place dans une série, qu’il a baptisée Totems Porteños, travaux consacrés à différents grands symboles de Buenos Aires sous la forme d'un habillage en fileteado d’une maquette de 7 mètres de haut de l’Obelisco de Plaza de la República, cet obélisque de 30 mètres, tout blanc, tout nu, bien anguleux, qui se dresse à l’intersection des avenues Corrientes et 9 de Julio et qui commémore les grandes dates fondatrices du pays (double fondation de Buenos Aires en 1636 et en 1680, double déclaration d’indépendance le 22 mai 1810 d’abord et le 9 juillet 1816 ensuite : l’histoire compliquée racontée aux passants simplement !)

Vous trouverez sur le blog de Jorge (auquel vous accédez facilement via son site) beaucoup de très belles réalisations de fileteado. Le blog n’a pas été mis à jour depuis novembre 2007, c’est normal : Jorge a eu les pires ennuis techniques avec l’informatique tout au long de l’année 2008. Cependant, avant que son ordinateur et toutes ses connexions tombent complètement en rade, il a eu le temps de poster sur ce blog plusieurs reproductions d’oeuvres de body painting (dont les photos ci-dessus) sur des filles plus sculpturales les unes que les autres et quelques bons moments bien tangueros mettant Horacio Ferrer en scène et en vedette (tous les deux sont très amis, Horacio Ferrer a même co-signé avec Raúl Garello un tango dédié à Jorge et dont je vous ai déjà dit que vous pouviez le trouver sur le CD ou le DVD Diálogos de poeta y bandoneón, ed. Pichuco Records pour le disque et Aguila Taura pour le DVD). Vous pouvez en lire le texte sur la deuxième page du site de Jorge (muscia.com) en cliquant sur l’onglet Biografía. Quand je lis ce texte, j’entends la diction impeccable du Maestro Ferrer, avec ces voyelles qu’il sait faire sonner comme personne...
Populares arco iris
con virtud de humano amor
maquillaje de muñecas
de romántico impudor... (3)
La dédicace manuscrite sera peut-être plus difficile à déchiffrer avec ses m minuscules qui ressemblent vaguement à des w et les g qui pourraient passer pour des y, mais si Horacio Ferrer oublie les barres sur les t, il met bien les points sur les i et aussi sur les j (4). Une fois transcrit, ça donne :
Para Jorge Muscia, el mejor,
con mi multicolor admiración y mi gran cariño (5)

(1) non, en fait, c’est le contraire : c’est eux qui me font l’honneur de me compter etc.
(2) en fait, je vous l’ai en effet déjà dit ailleurs, cf. le lien les Peintres dans Barrio de Tango : s’y orienter, dans la partie supérieure de la colonne de droite
(3) On va tricher un peu (ne le répétez à personne), je vous souffle la solution :
"arco iris" = "arc en ciel". "muñeca" = "poupée".
Vous apprenez les quatre vers par coeur et au réveillon de la St-Sylvestre, le roi ne sera pas votre cousin (le roi n'est pas mon/son cousin : darme/se dique frente a los demás). Vous épaterez tout le monde en prouvant que vous êtes capable de lire du Ferrer dans le texte. Vous pouvez déjà tenter le coup à Noël mais en général, le paon, sous nos latitudes, c’est plutôt à la Saint Sylvestre qu’il est de sortie (faire le paon : darse dique). A Noël, c’est plutôt les enfants qui font les intéressants (faire son intéressant : darse dique) avec les beaux joujoux tout neufs... Vous êtes pas d’accord ?
(4) Mettre les barres sur les t et les points sur les i (et sur les j aussi) à quelqu’un : aclarar algo a alguien con enojo, casi gritandole.
(5) Non "cariño", je ne vous le donne pas. Vous allez chercher dans le dictionnaire. Faut pas exagérer quand même ! Je vous accorde qu’avec le vocabulaire dont il dispose, l'auteur aurait pu trouver un terme plus international pour dire la même chose, un truc comme "amistad", "afecto" ¿qué se yo? (ç’aurait été compréhensible du premier coup !). Mais bon, il s’adresse à un Portègne, ce texte, alors...