Fin du cauchemar et de 18 années d’une gestion privée humainement (et économiquement) calamiteuse pour Aerolineas Argentinas, la compagnie aérienne de bandera argentine (battant pavillon argentin).
Ce vote du Sénat argentin, qui confirme et valide le 1er vote, celui de l’Assemblée des Députés il y a quelques semaines, exproprie, dès publication de la loi au journal officiel de la République argentine, la société Marsans, détentrice jusqu’alors de 94,41% du capital d’Aerolineas et de 98% d’Austral, sa filiale à 100%, la première desservant les lignes internationales et intercontinentales du Cono Sur (1), la seconde les lignes intérieures d’un pays immense.
Bien entendu, Marsans a immédiatement émis une protestation officielle contre ce qu’il estime être une confiscation de ses actions et répète qu’il va porter l’affaire devant un tribunal, probablement international. Qui, espérons-le, reconnaîtra que l’actionnaire avait d’abord à respecter la loi du pays où était immatriculée sa société, en l’occurrence l’Argentine, dont Marsans a allègrement foulé les règles fiscales et le code des sociétés.
C’est fin septembre que le Congrès a décidé de prendre en charge le règlement du litige, excédé par les finasseries de Marsans, destinées, selon toute apparence, à éviter coûte que coûte un accord financier avec le Ministère des Transports argentin sur le transfert de l’entreprise à l’Etat, comme Marsans en avait accepté le principe à la mi-juillet (2) et soucieux de soulager le Gouvernement qui menaçait de s’enferrer dans la vilaine tournure diplomatique que prenaient les choses entre l’Espagne, le seul soutien de Marsans, et l’Argentine. Ainsi le Gouvernement peut dire : c’est pas moi, ce sont les représentants du peuple, et rétablir avec l’Espagne, dont le Gouvernement, lui aussi à gauche, pourra jouer la même comédie, des relations diplomatiques apaisées.
Au Sénat, le débat a duré 5 heures. A noter que le seul désaccord que l’opposition a revendiqué avec la loi d’expropriation telle que rédigée était de forme et non de fond (l’UCR en particulier estime qu’il aurait fallu exproprié les actifs et non le capital, solution que le parti radical estimait moins onéreuse pour les finances de l’Etat et que la majorité estimait irréaliste puisque le passif d’Aerolineas dépasse aujourd’hui ses actifs et entame sérieusement son capital).
Tout le Sénat était donc, de fait, favorable à la renationalisation de la compagnie. La loi a été votée telle quelle, sans aucun changement, par une majorité éclatante (42 pour, 22 contre) et à l’issue du scrutin, les représentants syndicaux des personnels d’Aerolineas, présents dans les tribunes, ont éclaté en applaudissements.
La procédure d’application de la loi va durer un petit mois. Ce sera alors le Gouvernement qui prendra en charge la négociation auprès des différents créanciers de la dette colossale accumulée par Aerolineas, singulièrement depuis la prise de contrôle par Marsans en 2001. Il est vrai aussi que la nouvelle équipe dirigeante a su, depuis 6 mois, réduire considérablement les pertes d’exploitation (en coupant dans le vif des coûts de location... pour des matériels immobilisés et non exploités) et améliorer la qualité du service aux voyageurs en limitant les retards endémiques sur l’aéroport d’Ezeiza...
(1) El Cono Sur : surnom de l’Argentine (le Cône Sud). Comme en Europe on dit la Botte, l’Hexagone ou le Plat Pays.
(2) Vu le piètre état dans lequel Marsans a mis la compagnie aérienne en terme d'exploitation et de capital, il est probable qu’un tel accord ne lui aurait pas permis de se payer sur la bête et d’empocher une plus-value considérable, à laquelle il a prétendu jusqu’à l’extrême limite des pourparlers avec le Gouvernement, tout comme il est probable que les pouvoirs publics argentins viennent de faire de facto capoter une manoeuvre de longue haleine pour transformer la compagnie aérienne en une simple coquille vide dont le groupe espagnol se serait servi plus tard, pour développer autrement ses activités touristiques.