mardi 9 décembre 2008

Double anniversaire pour les Droits de l’Homme [actu]


Cérémonie en l'honneur de Raúl Alfonsín à la Casa Rosada le 1er octobre 2008 au lancement des fêtes du 25ème anniversaire de la Démocratie. Raúl Alfonsín et Cristina de Kirchner









Tandis qu’en France nous fêtons le 60ème anniversaire de la signature, à Paris, au Palais de Chaillot, le 10 décembre 1948, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’Argentine se souvient qu’il y a 25 ans, Raúl Alfonsín prêtait le serment constitutionnel devant le Congrès après de nombreuses années de troubles et de violences civiques de toute sorte (1955-1973) dont huit d’une sanglante dictature militaire (1976-1983) qui venait de se dissoudre après la cuisante défaite militaire des Malouines, non sans avoir pris la précaution, auparavant, de s’auto-amnistier (on n’est jamais assez prudent) et de liquider tous les prisonniers politiques dont les familles étaient sans nouvelle (los desaparecidos) encore en vie avant le lancement du processus électoral démocratique.

Ces élections se tinrent le 30 octobre 1983. Raúl Alfonsín, candidat à l’élection présidentielle pour l’UCR (Unión Cívica Radical), veille force de gauche anti-péronniste de toujours, fut élu avec 50% des voix, tandis que le candidat péronniste n’en recueillait que 40. Le nouveau Congrès quant à lui se composait d’une Chambre des Députés à majorité radicale et d’un Sénat à majorité péronniste, les deux grands partis formant la gauche argentine à vocation gouvernementale depuis 1945.

Le nouveau président entreprit immédiatement d’annuler les mesures d’amnistie prises par la Junte militaire et de faire dresser un procès équitable aux principaux artisans de la Dictature. Ce procès, qui s’est tenu du 22 avril au 14 août 1985, a condamné à la prison à perpétuité et déchu de tous leurs titres militaires les dictateurs Videla (celui de la Coupe du Monde de football en 1978) et Massera et à des peines moins lourdes plusieurs autres hauts responsables de la Junte militaire. Videla n’a tout d’abord purgé que 5 ans de prison, il a été gracié en décembre 1990 par le président Carlos Menem un an après sa prise de fonction, sous prétexte d’oeuvrer à la réconciliation nationale (encore une des incroyables incohérences politiques du bonhomme !). Videla a été de nouveau arrêté en 1998 pour d’autres crimes dénoncés lors de procès ultérieurs portant sur des cas de disparition. Il a ensuite bénéficié du régime des arrêts domiciliaires (dans son appartement du quartier de Belgrano dans le nord de Buenos Aires) en raison de son âge et de son état de santé jusqu’en octobre de cette année, où il été à nouveau incarcéré sur décision d’un juge qui estime que la gravité des actes pour lesquels il a été condamné ne pouvait s’accommoder d’un tel régime d’application de la peine. Son sort n’a pas encore été définitivement arrêté par les autorités judiciaires.

Son co-condamné, Emilio Massera, co-auteur du coup d’Etat de 1976 et directeur de l’ESMA, transformée en centre de détention et de torture entre 1976 et 1983, bénéficia de la même grâce présidentielle fin 1990, retourna en prison en 1998 pour les mêmes raisons et dans les mêmes circonstances (nouvelles accusations dans les procès sur les disparitions). En 2002, il a eu un grave accident cérébral dont il ne s’est jamais rétabli et la justice a reconnu chez lui en 2005 un état de démence qui éteint toute action publique contre lui.

Ce 10 décembre 1983 a donc ouvert une période inédite dans les deux cents ans de l’Argentine indépendante (depuis le 25 mai 1810) : c’est la plus longue période que le pays ait connu à ce jour sans coup d’Etat, sans guerre civile, sans censure, sans interdiction d’aucun parti politique (1) avec le maintien, sans solution de continuité, d’une authentique liberté de vote et d’expression publique.

C’est donc la première fois dans l’histoire argentine qu’une génération entière arrive à l’âge adulte en n’ayant jamais connu que le régime démocratique.


(1) Le parti justicialiste (fondé par Perón) a été souvent interdit entre 1955 et 1973 et les anarchistes, les communistes et les socialistes ont souvent pourchassés depuis 1902 jusqu’au rétablissement de la démocratie en 1983