mardi 30 décembre 2008

El sueño del pibe, les voeux del Maestro Chilo Tulissi [Jactance & Pinta]

C’est avec ce tableau (que je vous laisse regarder à votre guise, dans sa résolution d’origine, il suffit d’un click sur l’image) et cette légende que Chilo Tulissi, un peintre du quartier de San Cristobal à Buenos Aires, un ami personnel que j’embrasse avec affection en cette avant-veille de Nouvel An, nous souhaite qu’en 2009 nous réalisions (hagas realidad) le rêve de notre vie (tu sueño del pibe) et que nous en ayons un nouveau (tengas uno nuevo).


El sueño del pibe (littéralement le rêve du môme) est une expression portègne toute faite et invariable : toujours du singulier, toujours deux articles définis (en espagnol, possessif et défini sont interchangeables), jamais d’article indéfini et toujours les deux mêmes substantifs : sueño et pibe.

Ce n’est donc pas l’équivalent de notre expression la plus apparemment proche : rêve d’enfant. Non pas parce que notre expression est variable en tout, en nombre (elle passe du singulier ou pluriel sans changer de sens), en articles, défini ou indéfini (le, un, les, des), en niveau de langage (enfant, môme, gosse, gamin, enfance...) : un rêve d’enfant, mes rêves d’enfance, des rêves d’enfant, ce rêve de môme que j’avais à 15 ans... Mais parce que l’expression française se rapporte effectivement à un désir que la personne avait pendant son enfance : je suis pompier, j’ai réalisé un rêve d’enfant (parce que j’y pensais quand j’avais 8 ans). J’ai rencontré Untel, j’ai réalisé mon rêve de gamine (parce que je désirais cette rencontre depuis mes treize ans)...

El sueño del pibe n’a qu’accidentellement à voir avec les jeunes années en tant que telles. L’expression désigne plus essentiellement l’ambition de se réaliser, le désir de vaincre l’adversité pour advenir, l’énergie mise à réussir sa vie dans une société où domine toujours, depuis la grande vague migratoire des années 1880-1930, l’obsession de la réussite sociale, l’obsession première de tout immigrant, cette obsession atavique qui s’est transmise de génération en génération depuis lors. Le Portègne rêve toujours d’améliorer son sort, que son fils réussisse mieux que lui-même (mi hijo, el doctor : mon fils, qui est un Monsieur), et ce dans une société où l’ascenseur social n’a jusqu’à présent pas vraiment répondu à l’attente de ce rêve collectif (d’où la gloire -immense- de ceux qui ont réalisé ce rêve : Gardel, Maradona, Evita et Perón eux-mêmes...).

Comme le montre très bien Chilo Tulissi avec ce marmot charbonnier isolé dans cette nuit étoilée (c’est loin, les étoiles), ce poulbot très pauvre et mal fagoté, qui, rêvant à l’avenir, se voit en élégant séducteur (c’est important pour un Argentin, l’élégance ! La pinta ça s’appelle en lunfardo.)

Si vous écoutez un jour le disque fabuleux de ce concert que Piazzolla a donné en mai 1982 au Regina (un théâtre de Buenos Aires), vous l’entendrez annoncer : "y ahora... Pues es el sueño del pibe. El quinteto Astor Piazzolla tiene el honor de recibir a Roberto Goyeneche" (Et maintenant... Ça c’est le rêve de ma vie... Le quintette Astor Piazzolla a l’honneur de recevoir Roberto Goyeneche) et on entend alors le public du Regina applaudir à tout rompre pour accueillir ce chanteur immensément populaire et qui va se lancer dans une Balada para un loco qui va durer plus de 6 minutes (parce qu’à la demande de la salle, il bisse le second couplet + le refrain). Piazzolla était né en 1921 à Mar del Plata. Goyeneche en 1926 à Buenos Aires dans le quartier de Saavedra. Il est donc peu vraisemblable que tout enfant, tout au nord, dans son cher New York, à mille miles de tout rêve de tango et de cette Buenos Aires où il n’avait encore jamais mis les pieds, Piazzolla ait aspiré à partager un jour la scène avec Goyeneche... Ce disque En vivo en el Regina est disponible dans la collection Edición Crítica, qui est la réédition par la Fondation Astor Piazzolla (dirigée par sa troisième et dernière femme) de toute la discographie Phillips du musicien, à des prix vraiment très accessibles.

En voilà, un vrai sueño del pibe... Allez, bonne fête de fin d’année !