jeudi 11 décembre 2008

Le duo Daniel Pérez et Marie Crouzeix hier et aujourd’hui [à l’affiche]

Le guitariste et compositeur argentin Daniel Pérez et la flûtiste française Marie Crouzeix, qui ont fondé leur duo en avril de cette année, alors que Daniel était dans le centre de la France, à Clermond-Ferrand, en Auvergne, pour le festival de cinéma latino-américain organisé dans cette ville, jouaient hier à la Peña del Colorado (Güemes 3657, Buenos Aires), à 21h30 (entrée 20$).

La Peña del Colorado est une salle du quartier de Palermo (1) qui se consacre à l’identité argentine, coutumes et musique, maté, tango et folklore. Elle porte un nom qui s’enracine dans le passé rosiste du quartier, de 1829 à 1852, quand l’Argentine était déchirée entre deux visions d’avenir, le fédéralisme et l’unitarisme (en France, on parlerait de jacobinisme), cette querelle qui renvoie à une Argentine criolla, rurale, d’avant la grande vague d’immigration qui changea la face du pays et son destin...

Hier soir, Daniel Pérez, qui est le guitariste des Minas del Tango Reo, et Marie Crouzeix ont donné un concert de musique française, argentine et sud-américaine. Marie joue de plusieurs types de flûtes : flûte traversière, flûte de Pan, quena (une flûte indienne de 50 cm de longueur très appréciée dans la musique populaire de l’intérieur de l’Argentine)...

Ils seront ce soir, tous les deux, parmi les invités de Lucrecia Merico et Valeria Shapira, las Minas del Tango Reo, à Clásica y Moderna, à 22h, pour le concert qu’elles donneront à l’occasion del Día Nacional del Tango.

Ils sont présents sur My Space où vous pouvez faire connaissance avec leur musique et seront prochainement à nouveau en France. J’attends de plus amples informations pour vous donner les détails de leur tournée. A l’heure qu’il est, nous réfléchissons à la meilleure façon de les présenter à Paris.

Pour suivre l’actualité de la Peña del Colorado, voir le site.

(1) Palermo : ce quartier situé au nord de Buenos Aires et qui longe le fleuve (Río de la Plata) est le plus vaste quartier parmi les 48 qui composent la capitale argentine d’aujourd’hui. Il comporte de très nombreux espaces verts comme le Parque 3 de Febrero, le jardin zoologique, le jardin botanique, le jardin japonais, la Roseraie, l’hippodrome argentin, le terrain de polo et le Stade Monumental, où réside l’équipe de foot professionnelle River Plate (ça sonne tellement plus chic en anglais !), l’éternelle et hautaine rivale du Boca Juniors, l’équipe faubourienne de la Bombonera, dans le quartier populaire de La Boca, à l’autre extrémité de la ville.
Jusqu’en janvier 1852, Palermo était, pour la quasi-totalité de son immense superficie, la confortable et vaste propriété privée de Juan Manuel de Rosas qui gouverna Buenos Aires et sa région d’une main de fer de 1834 à 1852. Rosas était un fédéraliste (en vocabulaire révolutionnaire français, on parlerait de Girondin) et fut le premier à tenter une décolonisation économique sinon de l’Argentine dans son ensemble du moins de la Province de Buenos Aires, en favorisant le développement local d’activités artisanales de transformation, activités qui n’existaient évidemment pas du temps de l’Empire Colonial, le propre d’une économie coloniale étant de ne produire que des matières premières (en ce qui concerne l’Argentine, du cuir, si précieux alors pour toutes les armées du monde) que la métropole seule peut transformer et vendre à SON profit. Ce que les Argentins exposent en une formule lapidaire : "Nous produisons le cuir et les Espagnols nous vendent les chaussures". Pour mener à bien cette politique novatrice qui le rendit immensément populaire jusqu’à nos jours, Juan Manuel de Rosas (Buenos Aires 1793- Southampton 1877) ne s’embarrassa guère de scrupule : il fit sans sourciller assassiner ses opposants unitaristes (généralement des libéraux, plus ou moins dans la veine de José de San Martín) et tous ceux qui faisaient mine de remuer une oreille et il confisqua au profit de Buenos Aires tout le commerce international arrivant en Argentine (tous les bateaux devaient décharger dans le port de Buenos Aires, où ils acquittaient de lourdes taxes, et c’était Buenos Aires qui réalisait les opérations commerciales vers l’intérieur du pays). Ce qui ne plut ni aux Britanniques ni aux Français (allez savoir pourquoi, ils montèrent successivement deux blocus contre Rosas, dans les années 1840) et n’eut pas non plus la bénédiction des gouverneurs des provinces intérieures, complètement étranglées et coupées du reste du monde, notamment celles situées le long des deux grands cours d’eau que sont le Paraná qui part vers le nord-ouest, et l’Uruguay, qui permet de remonter vers le nord. Rosas connut donc une déroute militaire complète, le 3 février 1852, du fait d’une coalition de la Province d’Entre-Rios (entre Uruguay et Paraná) et de l’Uruguay, fraîchement indépendant (1830). Pour éviter la mort (il aurait été fusillé ou pendu sans procès), il s’enfuit le jour même avec sa fille vers l’Angleterre, qui l’accueillit et où il mourut, en simple fermier d’un riche propriétaire des environs de Southampton à plus de 80 ans. Aussitôt après sa fuite, ses propriétés de Palermo furent confisquées. Sa belle demeure plus seigneuriale que patricienne fut convertie en Ecole Militaire, puis rasée 20 ans plus tard, pour laisser place en 1874, donc du vivant de Rosas, à un vaste parc d’agrément, avec lacs artificiels et petits bois imitant le Bois de Boulogne à Paris, sous le nom de Parque 3 de Febrero ! Vae victis !