mercredi 10 décembre 2008

Une page menémiste se tourne [actu]

Avec la mise en place du nouveau régime universel de retraite par répartition, logé dans une ANSeS (Administration Nationale de Sécurité Sociale) reformatée pour qu’elle dispose des moyens d’une mission très élargie, c’est une page des années Menem (1989-1999) qui se tourne.
Années de folies néo-libérales, de rêves de casinos boursiers et d’importations en tous genres qui, sous prétexte de développer les marchés en les libéralisant, creusèrent le déficit de la balance des paiements et fragilisèrent la production nationale, elles aboutirent sous le mandat de Fernando de La Rúa à la catastrophe monétaire, financière et économique connue sous le nom de Corralito (enfermement, coinçage) en décembre 2001. Après une année de difficultés économiques et financières sans nombre, le gouvernement argentin décida du jour au lendemain (en tout cas, c’est comme cela que ce fut perçu par le commun des mortels) de bancariser par contrainte toute l’économie en interdisant toute sortie d’argent en espèce afin d’éviter au pays la ruine de son système bancaire. Toutes les opérations privées furent de fait gelées, dans un pays où une grande partie de l’économie reste aujourd’hui encore souterraine, improvisée et opportuniste et où tout le monde a donc besoin en permanence de liquidités. L’argent déposé et ainsi gelé artificiellement dans les banques, qui n’étaient plus en état d’honorer les demandes croissantes de retrait de leurs clients, leur permit de se maintenir en vie, en dépit de leur trop grande exposition à la dette publique, elle-même surdimensionnée, et d’une convertibilité du peso au dollar américain qui ne reposait sur aucune réalité de l’économie nationale.

L’institution de fonds de pension boursiers en lieu et place de l’universalisation du système embryonnaire et, de ce fait difficilement viable, du régime de retraite par répartition, fut l’une des mesures prises par le gouvernement Menem sur les conseils et les pressions des grands systèmes financiers internationaux, au premier rang desquels le FMI. En 14 ans d’existence, ces fonds de pension ont amplement prouvé leur inefficacité, la fragilité de leurs résultats économiques et leur incapacité à assurer aux cotisants des niveaux de retraite décents. La suppression du système a donc été annoncée le 21 octobre dernier par la Présidente de la République, le processus législatif a pris fin le 4 décembre avec la promulgation de la loi adoptée par le Sénat le 20 novembre (1) et les 3 décrets d’application viennent d’être publiés : en créant le SIPA (sistema integrado previsional argentino, système intégré de prévoyance argentin), ils permettent le transfert de tous les fonds détenus au titre de la retraite principale par les Caisses de retraite par capitalisation (AFJP) à un Fonds de Garantie des Retraites, redimensionné et géré par l’ANSeS, c’est à dire par l’Etat et non par une instance paritaire, établissent le transfert des droits en date du 1er décembre 2008 et réorganisent l’ANSeS pour qu’elle soit en mesure de gérer un nombre d’affiliés et des sommes dont cette administration n’est pas familière...

Concrètement, pour les anciens cotisants des AFJP aujourd’hui retraités, cela va se traduire en décembre par le versement d’une mensualité de retraite qui pourra dans de nombreux cas augmenter de 22% par rapport à la mensualité moyenne qu’ils percevaient des AFJP en 2007.

Pendant tout le processus parlementaire, les débats institutionnels, les récriminations sans vergogne des dirigeants des AFPJ de droit privé, trépignant de rage comme des gamins capricieux à qui on interdirait un énième tour de manège, et les enquêtes journalistiques ont fait apparaître au grand jour les aberrations du feu système : pertes abyssales en capital au regard des montants déposés, commissions léonines (35 à 40%) prélevées sur les dépôts des cotisants par les organismes de gestion (AFPJ), salaires plus que modestes de l’immense majorité des employés des AFJP (au moins 70% d’entre eux), émoluments de nabab consentis aux dirigeants et fondés de pouvoir des AFPJ inversement proportionnels aux pertes des cotisants, interprétation tortueuse de la fiscalité argentine sur les bénéfices des sociétés de la part d’une AFPJ détenue à 100% par une holding espagnole et gestion nettement plus vertueuse (au regard de la morale) mais tout aussi catastrophique sur le plan boursier de l’AFPJ du Banco de la Nación dont les dirigeants, salariés de la Banque d’Argentine selon un barème de secteur public bien inférieur à celui du privé, ne recevaient aucune rémunération liée à l’exercice de leurs fonctions d’administrateurs de l’AFPJ Nación...

A suivre dans la presse et sur la durée les aventures ubuesques tant des AFPJ que d’Aerolineas, dont le cauchemar va lui aussi bientôt prendre fin (2), on comprend mieux la froide et sainte colère d’Alejandro Szwarcman dans sa récente fable en prose, Lo que sopla en el viento, que je vous ai traduite il y a quelques semaines.

(1) à noter que la loi a remporté les 2/3 des votes dans l’une et l’autre assemblées élues.
(2) Le projet de loi expropriant les actions d’Aerolineas (et des ses 4 filiales à 100%) détenues par le groupe espagnol Marsans vient d’obtenir un avis favorable (dictamen favorable) de la part des Commissions sénatoriales Affaires constitutionnelles et Transports qui l’examinaient hier. Le vote définitif du Sénat devrait intervenir mercredi prochain et, sauf coup de théâtre, l’obtention d’une large majorité de oui semble acquise.