mardi 23 décembre 2008

Hommage à Enrique Santos Discépolo

La partition de Uno, dans le Pasaje Enrique Santos Discépolo à Buenos Aires

Le 23 décembre 1951, en toute fin de journée, un grand poète du tango, un écrivain de théâtre, un compositeur, un grand acteur, surtout comique, de cinéma et de théâtre, quittait cette vallée de larmes (et Dieu si elle fut en effet pour lui une vallée de larmes) : Enrique Santos Discépolo. Il n'avait pas encore 51 ans...

Ci-dessous, l'affiche de son dernier film, sorti en avril 1951 (et disponible en DVD)





Uno (1) busca lleno de esperanzas
el camino que los sueños
prometieron a sus ansias...
Sabe que la lucha es cruel
y es mucha, pero lucha y se desangra
por la fe (2) que lo empecina...
Enrique Santos Discépolo (1943)
(musique de Mariano Mores)


Tout un chacun cherche plein d'espoir
le chemin que les rêves
ont promis à ses désirs...
Il sait que le combat est terrible
et long, mais il combat et perd son sang
pour l'utopie que lui colle à la peau..
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Soy, yo soy
Soy un niño antiguo parecido al tango
soy un pensamiento bailable y tristón
soy Buenos Aires, tan mía
ciudad de los claros capullos de misterio,
soy el clown
que triunfó en el templo sin saber la misa
soy mi risa en llamas, yo... ¡morí de amor!
[...]
Yo viví cien años con sólo cincuenta
[...]
Horacio Ferrer
prologue de la biographie : Discepolín, Poeta del hombre que está solo y espera, de Horacio Ferrer et Luis Sierra, édition augmentée, Editorial Sudamericana, Buenos Aires 2004.


Je suis, c'est moi
Je suis un enfant vieux qui ressemble au tango (3)
je suis une pensée dansable et tristouille (4)
je suis Buenos Aires, si mienne,
ville des clairs cocons de mystère,
je suis le clown
qui triompha à l'église sans savoir la messe (5)
je suis mon rire qui brûle, moi... Je suis mort d'amour !
[...]
J'ai vécu 100 ans et je n'en ai eu que 50
[...]
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Uno, interprété ici par Libertad Lamarque en 1943, et interprété par Edmundo Rivero en 1959.




(1) Uno : un pronom intraduisible en français. C'est typique de l'expression portègne. C'est à la fois un sujet impersonnel (on) et une première personne du singulier dissimulée. Les interviews d'Aníbal Troilo en sont remplies.
(2) la fe : autre terme idiosyncratique. Lire mon explication dans les notes de la traduction de Para un feliz 2009 d'Héctor Negro (entrée du 18 décembre dernier).
(3) Enrique Santos Discépolo a eu une enfance très triste. Très tôt orphelin, de père, puis de mère, il vécut un temps chez une tante très aisée chez qui il fut particulièrement malheureux. Il est connu de tous qu'il n'a quasiment jamais connu de jouer, toujours dans une grande solitude, malgré de nombreux frères et soeurs beaucoup plus âgés que lui.
(4) Reprise d'une définition très célèbre du tango qu'on doit à Enrique Santos Discépolo : "el tango es un sentimiento triste que se baila" (le tango est une pensée triste qui se danse).
(5) Enrique Santos Discépolo, fils d'un contrebassiste classique natif de Naples, n'eut jamais l'occasion d'apprendre le solfège. Il n'en était pas moins un grand compositeur (mais totalement oral : il avait besoin d'amis musiciens pour mettre ses mélodies sur la portée et effectuer orchestration et arrangements). Ceux qui l'ont connu, notamment Luis Sierra, assuraient qu'il jouait très bien du piano et était capable de diriger un orchestre de tango. A ma connaissance, nous n'avons aucun témoignage audio de ces prestations musicales. Son piano est exposé au musée de la Sadaic.