La fête nationale du tango (il faut entendre ici "nationale" de deux manières : au sens officiel argentin du terme, à savoir une fête que tout le pays célèbre mais hors jour férié, faut pas exagérer ! et au sens d’une fête pour les gens du tango, tous ceux qui aiment cette culture, quelque soit leur nationalité et leur lieu de résidence, quelque chose que l’un des slogans de la 2x4 dit très bien : "la Radio de la República del Tango", et la confusion n’est pas possible avec la 2x4 qui est certes une radio publique mais de la ville de Buenos Aires, en aucun cas du Gouvernement fédéral.... Il n’y a qu’à écouter ses éditorialistes politiques pour s’en convaincre : ils passent Cristina au vitriol, tous les matins, avec le maté du petit-déj !).
La Fête Nationale du Tango, revenons dons à nos moutons, a été instituée il y a de longues années par le Secrétariat d’Etat fédéral à la Culture (on dit là-bas "Secretaría de Cultura, Presidencia de la Nación", parce que le mot "federal" a pris au cours du 19ème siècle un autre sens, celui de "combattant fédéraliste" pendant la guerre civile qui a immédiatement suivi la guerre d’indépendance).
La Fête Nationale du Tango est l’initiative d’un grand monsieur du tango, un éditeur de musique, Ben Molar, honorable membre de la Academia Porteña del Lunfardo et de la Academia Nacional del Tango. Ben Molar a été avec León Benaros le promoteur d’une rencontre extraordinaire, qui a donné lieu à un livre et à un disque tous deux de légende, 14 con el Tango, où ils ont fait travailler ensemble 14 des meilleurs poètes, peintres et musiciens autour du tango (Piazzolla compris: ce qui prouve qu’ils n’avaient pas les oreilles dans la poche, les deux papys !). Il est aussi à l’origine du monument à Carlos Gardel, dans le quartier de l’Abasto, face à l’entrée du restaurant de cena-show Esquina Carlos Gardel (établi dans ce qui n’était dans les années 1910 qu’un boui-boui populo où Gardel venait casser la croûte avec les copains et où il a commencé à chanter en imitant les chnateurs d’opéra qu’il entendait au Teatro Colón où pour quelques sous il aidait les machinistes en coulisse puis allait, toujours pour quelques sous, faire la claque dans la salle). Ce petit momument, moins impressionant que la tombe du cimetière de la Chacarita, se trouve à l’extrêmité de la cortada Pasaje Carlos Gardel, sur le flanc est du bâtiment de El Abasto (aujourd’hui galerie marchande et que Gardel ne connut pas : il a été construit en 1934, pendant que Carlitos faisait ce qui était sans qu’il le sache sa dernière tournée mondiale). D’un strict point de vue esthétique, on aime ou on n’aime pas la statue qui se dresse là mais c’est déjà pas mal que ce monument existe (c’est la Academia Porteña del Lunfardo qui a lancé la souscription populaire et rassemblé les fonds nécessaires à l’érection du monument).
Or donc un beau jour de décembre 1964, le 11 exactement, Ben Molar était en chemin pour le domicile de Julio de Caro (11 décembre 1899-11 mars 1980), grand violoniste et grand compositeur de la Guardia Nueva. Il était invité à l’anniversaire du Maestro. Et ne voilà-t-il pas que sur ce chemin... "Bon sang, mais c’est bien sûr, comme aurait dit Raymond Souplex (1), aujourd’hui ce serait aussi l’anniversaire de Carlos Gardel, s’il était encore de ce monde !".... Et prend forme dans son cerveau une de ces idées aussi difficiles à concrétiser qu’audacieuses et géniales : instituer en l’honneur de ces deux musiciens, le violoniste et le chanteur, tous les deux grands compositeurs du genre, et en faveur du tango une fête d’envergure nationale qui pourrait déborder les frontières et unir tous les passionnés du tango dans le monde entier... (Les tangueros de ley (2) prennent le tango pour une espèce de religion dont ils sont tous et tous ensemble, à un titre ou à un autre, à la fois les fidèles, les prêtres et carrément les fondateurs... Tant qu’on y est !)
S’ensuivit une lutte de onze longues années avec tour ce que la municipalité de Buenos Aires (ce n’était pas encore un gouvernement) et le Secrétariat d’Etat à la Culture (Presidencia de la Nación) comptaient d’autorités politiques et de sous-chefs de division, de service et de bureau, pour obtenir un décret qui fut finalement signé le 29 novembre 1977 (donc pendant la Dictature Militaire, on se demande comment il a réussi son coup !). C’est cette année-là que fut célébré pour la première fois el Día Nacional del Tango, l’anniv’ de Gardel comme l’ont insolemment baptisé Marina Baigorria et ses complices de La Biyuya (en passant aux oubliettes le pauvre De Caro... Pourvu que ça fasse pas du vilain, là haut !)
¡Feliz Día Nacional del Tango!
Bonne Fête Nationale du Tango, à tous ceux qui aiment cette musique, cette danse, cette poésie, cette culture unique au monde, à travers toute la planète et particulièremenent dans les pays francophones où l’on peut lire Barrio de Tango.
Petit hommage en musique à Julio De Caro : Mala Junta
Petit hommage en musique à Carlos Gardel : Al mundo le falta un tornillo
(toujours d'actualité, 70 ans et des poussières plus tard)
(1) Raymond Souplex, comédien français très populaire dans les années 50 et 60 qui tint pendant de très nombreuses années le rôle d’un commissaire de police qui résolvait toujours l’affaire dans les 5 dernières minutes et les cinq dernières minutes en question commençaient toujours par cette exclamation qu’il prononçait en se frappant le front : "Bon sang, mais c’est bien sûr", ce que ce génie d’Archimède avait d’avance traduit par sa célèbre exclamation ΕΥΡΗΚΑ (Eureka !).
(2) Tanguero de ley (argentin familier) : tanguero authentique (celui qui respecte toutes les exigences de la loi et a donc le droit de porter le label. On pourrait dire un tanguero AOC en France).