vendredi 12 décembre 2008

Fernando Suárez Paz au Gran Rex pour el Día Nacional del Tango [à l’affiche]


A l’occasion de la Fête Nationale du Tango, le cinéma Gran Rex, situé tout près de l’Obélisque, sur la Avenida Corrientes, a organisé un nouveau concert de la série El Café de los Maestros, rassemblant quelques uns des grands maîtres et vieux tangueros que présente l’homonyme documentaire de Gustavo Santaolalla (cf. article dans Barrio de Tango du 30 juillet 2008). Et entre autres maîtres sur scène, hier, au Gran Rex, il y avait le plus jeune des artistes du film (un cadet né en 1941, à l’heure où les autres étaient déjà au sommet de leur gloire !), le violoniste Fernando Suárez Paz, qui travailla de longues années dans l’orchestre de Osvaldo Pugliese et puis dans le Quinteto de Astor Piazzolla et qui se consacre désormais à faire connaître l’oeuvre de ce dernier et à défendre l’héritage musical reçu de lui, le plus connu mondialement de tous les compositeurs de tango, donc le plus joué (surtout une vingtaine de morceaux, toujours les mêmes) et par conséquent pas toujours le mieux compris ni le mieux servi...
Clarín profite de l’occasion pour interviewer le violoniste et lui faire raconter quelques petites anecdotes festives sur Astor Piazzolla, dont Suárez Paz n’a pas eu l’occasion de parler dans le film de Santaolalla, un musicien argentin -mais de rock- qui voulait surtout, à travers ce documentaire et ce double CD, rendre hommage au tango des années 40. Or quand Piazzolla est apparu comme compositeur et chef d’orchestre dans l’univers du tango à la fin des années 40, il a surtout suscité de l’hostilité, par sa personnalité (pas vraiment diplomate, comme garçon !) et par son style musical, trop novateur, trop iconoclaste et indansable. Il fallait être Horacio Ferrer pour comprendre en 1947 qu’il était le génie que la suite reconnut ! Fernando Suárez Paz lui-même ne rejoignit Piazzolla qu’en 1978 et à la demande du compositeur pour tenir la partie du violon, dont Piazzolla disait qu’elle était la vedette de son quintette, lui-même tenant la partie du bandonéon. Et Fernando Suárez Paz resta avec Astor Piazzolla jusqu’à la mort de celui-ci, le 4 juillet 1992, à l’âge de 71 ans.

Le 15 août, alors qu’après l’inauguration de la plaque des 150 ans sur la façade du Tortoni, au rez-de-chaussée, j’attendais dans l’entrée de la Academia Nacional del Tango que le Maestro Horacio Ferrer aient la disponibilité pour me recevoir, j’ai eu la bonne fortune (entre autres fortunes de ce jour-là !), avec une petite poignée d’autres chanceux, d’assister à l’une des dernières répétitions de la réplique de l’orchestre de Piazzolla de Paris en 1955.

Pour le 10ème Festival de Tango de Buenos Aires, le directeur du Festival, le Maestro Gustavo Mozzi, avait eu l’idée de constituer quelques uns des orchestres qui avaient marqué l’histoire du genre et de présenter leur style, dans la veine d’inspiration qui a donné naissance en 2000 à la Orquesta Escuela de Tango dite aujourd’hui Emilio Balcarce. Et l’orchestre parisien de Piazzolla de 1955 est l’un de ceux-là.

En 1955, Astor Piazzolla était installé à la Cité Internationale des Arts grâce à une bourse d’étude pour la musique classique (il étudiait le quatuor à cordes). A toutes fins utiles, il avait emporté avec lui son bandonéon, qu'il ne touchait plus depuis 5 ans. C'était au cas où il aurait fallu, pour une raison ou une autre, pallier des difficultés matérielles (il aurait joué dans un café ou quelque chose dans ce genre). Et il décida de prendre des cours de composition supplémentaires auprès de Nadia Boulanger, très grande dame de la musique classique et de la composition au 20ème siècle. Malgré les mensonges de Piazzolla, elle repéra très vite qu’il ne venait pas de l’univers classique et réussit, un jour, à lui faire avouer un passé de tanguero dont à l’époque il avait honte. Sur le champs, elle l’obligea à lui jouer au piano un tango de sa composition. Il s’exécuta à reculons. Il joua Triunfal (cliquez ici pour l’entendre dans l’interprétation qu’en donne le Quinteto Suárez Paz dans le CD Por Amor a Astor).

Après le dernier accord, à cet élève qui s’acharnait à composer de la musique classique qu’elle trouvait bien léchée mais sans véritable cachet personnel, elle déclara : "Mais vous ne comprenez donc rien ! Le vrai Piazzolla, il est là !" Et c’est ainsi que, quelques mois plus tard, Piazzolla se retrouvait à la tête d’une formation composée de musiciens de l'orchestre de l’Opéra de Paris (des musiciens de formation classique, comme Fernando Suárez Paz) pour enregistrer un 33 tours de 16 tangos, dont 14 de lui, composés à Paris même juste après l’oracle de Nadia Boulanger. Parmi ces 14 tangos, Nonino, dédié à son père, qui avait toujours rêvé de faire de son fils unique le successeur de Pedro Maffia et de Pedro Laurenz (ici dans un enregistrement de 1961 par le Quinteto Astor Piazzolla).

Dans la réplique 2008 de cet orchestre mythique, Fernando Suárez Paz (en bleu sur la photo ci-jointe) jouait en ce jour d’ouverture du Festival dans "la fila de los violines" (dans le rang des violons), lui, l’autorité morale et discrète parmi des musiciens plus jeunes que lui. Tous ces instrumentistes, dont un seul bandonéoniste bien sûr (de dos au centre de la photo), des violonistes, des altistes, des violoncellistes, un contrebassiste (près de la fenêtre), un pianiste...., s’entassaient tant bien que mal dans la petite pièce mitoyenne du bureau présidentiel, baptisée el Rincón de los Académicos (le Recoin des Académiciens) avec toutes ces couvertures de partitions originales couvrant les murs et son drapeau sur sa hampe, près des fenêtres donnant sur la Avenida de Mayo. Et tout ce beau monde travaillait d’arrache-pied dans un mélange de sérieux, de rigolade et d’émotion qui était palpable... Grand souvenir pour moi, en vérité...

Fernando Suárez Paz est membre de la Academia Nacional del Tango. Il a son propre quintette avec lequel il fait connaître les compositions inédites ou mal connues d’Astor Piazzolla. Il a son propre site Web sur lequel vous pouvez écouter et même télécharger en Mp3 et Mp4 divers morceaux, plus que des morceaux de vrais bijoux (joyitas, en tanguero porteño dans le texte). Fernandosuarezpaz.com.ar abrite aussi les liens vers les sites des enfants du maître, son fils et sa fille, eux mêmes musiciens de tango. Fernando Suárez Paz, chef de son propre quintette ou violon dans celui de Piazzolla, a à son actif une discographie en or (consulter la liste sur le site).