mercredi 31 décembre 2008

Les voeux du Maestro Luis Alposta [Jactance & Pinta]

Dans Barrio de Tango, j’ai eu déjà l’occasion et le plaisir de vous présenter ce poète, qui se double aussi d’un historien averti tant du tango que du lunfardo (cf. les articles rassemblés sous son nom, voir les mots-clés sous le titre ou le lien dans la colonne de droite partie basse, et en particulier l’Ode à la Pizza, les extraits de El Jubilado et de Frankenstein).

Le 4 décembre, Luis a envoyé à ses amis et connaissances les voeux que je vous traduis ci-dessous (avec son accord, of course) :



En 2009, puisses-tu connaître toute réussite...

Oui, je sais, j’ai vraiment l’air d’en prendre à mon aise avec le texte original... Pourtant je vous assure que je suis fidèle à l’esprit sinon à la lettre, en tout cas autant qu’on peut l’être lorsqu’il s’agit de traduire des expressions idiomatiques, par définition intransférables d’une langue à l’autre...

Et j’ai les preuves de ce que j’avance (vous imaginez bien que je ne pars pas sans biscuit).
Ci-après une petite communication historique que Luis nous a adressée le 12 septembre dernier, toujours via sa liste de diffusion mail, au sujet de Carlos Gardel et dont j’avais eu une version orale le 28 août dans une des plus jolies confiterías de Buenos Aires (elle est d’ailleurs classée parmi les Bares Notables de la Ciudad) : Las Violetas, esq. Rivadavia y Medrano, en plein Almagro (à l’autre bout de la ville pour Luis Alposta). Ne loupez pas l’endroit, si vous allez à Buenos Aires.

Il y a quelques années, au grand dam de tous les Portègnes et des touristes, Las Violetas avait fermé puis quelqu’un a racheté le local et le nom et Las Violetas a réouvert il y a un peu plus de deux ans, au même endroit, dans le même bâtiment très élégant, comme cela arrive souvent le cas à Buenos Aires avec des enseignes prestigieuses qui restent en jachère des années avant de renaître de leurs cendres un beau jour. A Las Violetas, tout est un vrai concentré de portégnitude : le décor, la carte, le service, les garçons (mozos) en grande tenue, les clients (parroquianos) en grande conversation, l’ambiance...
Entrez par Medrano pour prendre un café et par Rivadavia pour acheter des pâtisseries. L’entrée qui fait l’angle n’est plus en service.

Vous pouvez également trouvé le texte de cette communication sur les pages que Todo Tango consacre à Carlos Gardel.

Algunas de las originalidades de Gardel
Quelques unes des originalités de Gardel

Fue nuestro primer cantor nacional.
Il a été notre premier chanteur (1) national.

En nuestro canto popular, el primero en adoptar técnicas del Bel canto.
Dans notre art populaire du chant, le premier à adopter des techniques du Bel Canto.
El primero en grabar “Mi noche triste”, el primer tango-canción.
Le premier à enregistrer Mi noche triste, le premier tango-canción. (2)

Fue quien creó la manera de cantar el tango.
Il a été celui qui créa la façon dont le tango se chante.

Fue el primer gran melodista que tuvo el tango.
Il a été le premier grand mélodiste qu’a connu le tango. (3)
Actuó en los primeros “cortos” con banda sonora, filmados en el país.
Il a joué dans les premiers courts-métrages sonores, tournés dans ce pays.
Fue, como intérprete, en dichos “cortos”, precursor del videoclip.
Comme interprète dans les courts-métrages en question, il a été le précurseur du vidéo-clip. (4)
Fue el primer artista argentino que, en roles protagónicos, filmó en Estados Unidos.
Il a été le premier artiste argentin qui a tourné aux Etats-Unis en tenant les premiers rôles.
Por primera vez en la historia de la cinematografía, y en más de una sala, los operadores se vieron obligados, a pedido del público, a rebobinar la cinta y emitir nuevamente la canción.

Pour la première fois dans l’histoire du cinématographe, et pas que dans une seule salle, les projectionnistes se sont vus obligés, à la demande du public, de rembobiner la pellicule pour repasser la chanson. (5)

El primer artista argentino que ha logrado trascender a nivel mundial.
Le premier artiste argentin qui a réussi à briller à l’échelle du monde.
El primero en cantar por radio en dúplex, en vivo (él en EEUU y sus guitarristas en Buenos Aires).
Le premier à chanter à la radio en duplex et en direct (lui aux Etats-Unis, ses guitaristes à Buenos Aires).
Fue el primero en grabar a dúo consigo mismo.
Il a été le premier à s’enregistrer en duo avec lui-même. (6)

Ha sido el único argentino al que se le adjetivó el apellido. Adjetivación hecha como sinónimo de excelencia.
Il a été le seul Argentin dont on a fait du patronyme un adjectif. Adjectif qui est devenu synonyme d’excellence. (7)
Y algo más, en lo que también ha sido él el primero:
Et autre chose en quoi il a là aussi été le premier :

Del 2 al 5 de octubre de 1992, la Alianza Francesa, con el título “El encuentro de dos mundos”, organizó una muestra de humor gráfico de Francia y Argentina, realizada en el Centro Cultural Recoleta.
Du 2 au 5 octobre 1992, l’Alliance Française, sous le titre La rencontre de deux mondes, a organisé une exposition d’humour visuel de France et d’Argentine, qui s’est tenue au Centre Culturel Recoleta.
Se expusieron obras de la Fundación Museo “Severo Vaccaro” y se realizó el primer intercambio por fax entre dibujantes de ambos países, habiendo sido un retrato de Gardel el primero en llegar a Francia, vía fax. Se trata de un dibujo de mi autoría, cuyo original se encuentra en el Museo de la Caricatura y una única copia autentificada en la Galería del Café Tortoni.
Luis Alposta

Y furent exposées des oeuvres de la Fondation Musée Severo Vaccaro et il y a eu le premier échange par fax entre dessinateurs des deux pays. Et c’est un portrait de Gardel qui est arrivé le premier en France, par fax. Il s’agit d’un dessin que j’ai signé, dont l’original se trouve au Musée de la Caricature et une seule copie authentifiée à la Galerie du Café Tortoni.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

C’est cette caricature de Gardel, datée de 1985, qui illustre les voeux de Luis Alposta pour 2009. Ce même portrait illustre également la couverture (toute jaune, bien pulenta) du numéro 9 que la collection Historia del Tango a consacré à Carlos Gardel (Editions Corregidor).

Aujourd'hui, Luis Alposta a tiré de son coffre à merveille (qu'ont dû lui laisser un jour un des Rois Mages avant de remonter sur son chameau) un enregistrement rare de Carlos Gardel dans un morceau qui s'appelle Un año más (un an de plus). ¡Bárbaro! comme on dit là-bas (superbe).

(1) Cantor : chanteur populaire. Le chanteur classique (à l’opéra, dans un choeur, etc.) est un cantante. Le mot cantor n’est pratiquement pas utilisé en Espagne. Et en Argentine, c’est un substantif sans féminin. Pour désigner la chanteuse de tango, on parle aujourd’hui de cantante (comme en Espagne). Dans les années 30, on parlait surtout de cancionista (cf. le spectacle d’hommage monté par Gabriel Soria : El retorno de las cancionistas). Lucrecia Merico et Valeria Shapira disent d’elles-mêmes qu’elles sont des cancionistas, parce que leur travail artistique les conduit à faire revivre aujourd’hui ce répertoire particulier que fut celui des cancionistas.
(2) Mi noche triste de Samuel Castriota a été composé en 1915 ou 1916 et Pascual Contursi y a déposé des paroles (très belles) en 1916. C’est le premier tango qui raconte une histoire et dont l’écriture présente des qualités artistiques qui transcendent le temps. Pascual Contursi a apporté cette chanson à Carlos Gardel qui, alors, ne chantait que du folklore mais qui, enthousiasmé par ce morceau, l’a aussitôt inscrit à son répertoire. Il a obtenu un réel succès auprès du public et l’a donc enregistré dès l’année suivante. De l’interprétation de Mi noche triste date la conversion de Gardel au tango. Pascual Contursi avait déjà écrit (et chanté) plusieurs textes de très belle facture mais qui n’accédèrent à une certaine célébrité qu’après la re-création de Mi noche triste par Gardel. D’où le repère de ce tango pour dater le début du tango-canción en opposition aux vers de mirliton et aux textes particulièrement lestes qui faisaient tout le répertoire du tango chanté jusqu’en 1916, réduisant cette partie du tango à un répertoire de salle de garde à quoi Gardel n’a jamais prêté sa voix (pas plus que Pascual Contursi d’ailleurs, qui s’ingéniait de son côté à créer des textes un peu plus structurés et substantiels). A noter que Luis Alposta adresse son texte à des personnes bien versées dans la culture du tango et qu’il n’éprouve donc pas le besoin d’expliquer ni ce qu’est Mi noche triste ni ce qu’est un tango-canción.
(3) Allusion à l’oeuvre de compositeur de Carlos Gardel. Vous connaissez Volver ou Tomo y obligo.
(4) C’est d’ailleurs sous ce nom de vidéo clips que sont vendus deux DVD de Solo Tango qui rassemblent tous ces petits courts-métrages montrant et faisant entendre Gardel (Los mejores clips de Carlos Gardel).
(5) La mère de Gardel, après la mort de celui-ci, a été plus d’une fois témoin de ces scènes d’enthousiasme populaire. Elle allait une fois par semaine au cinéma pour revoir son fils vivant. Et elle voyait se déchaîner le public, menaçant de tout casser dans le cinéma, si le projectionniste ne s’exécutait pas dans la minute même. Elle l’a racontée dans une lettre à sa cousine Marilou, une lettre qui nous a été conservée.
(6) Le mail de Luis (celui du 4 décembre) est accompagné de cet enregistrement-là. L’effet sonore obtenu est très étrange. L’idée est déjà là et bien là, mais musicalement et avec les moyens techniques de l’époque, on sent que ce n’est pas complètement abouti et on a parfois la sensation d’un écho mal maîtrisé plus que d’un duo. Bien des années plus tard, Piazzolla, autre grand ouvreur de pistes inédites, s’est amusé à enregistrer l’un de ses morceaux en duo avec lui-même, en jouant deux voix différentes sur le même bandonéon et en mixant ensuite les deux bandes.
(7) D’où ma traduction des voeux. Je vous disais bien que je ne m’étais pas embarquée sans biscuit !