samedi 28 mars 2009

Journée nationale du Fromage... en France [Coutumes]


A cette époque de l'année, pour enrichir un peu la rubrique coutumes de ce blog hautement interculturel, j'avais le choix entre sacrifier à la tradition du poisson d'avril mercredi prochain ou m'étaler sur cette neuvième Journée Nationale du Fromage, de l'Association des Fromages de Terroirs (comprenez producteurs de fromages au lait cru), acte de militance intelligente contre la tendance à l'industrialisation et à la standardisation qui menace l'ensemble du secteur, la qualité gastonomique et organoleptique de nos fromages, la richesse sociale et cultuelle que leur immense variété représente (on dit depuis De Gaulle qu'il y a en France 300 fromages).

Mais il se trouve que je n'avais pas beaucoup d'idées pour le poisson d'avril même si j'aurais pu en puisser dans les vraies-fausses nouvelles de Fractura Expuesta (voir mes articles du raccourci Radio, dans la rubrique Tangoscope, sur la droite de votre écran) (1) alors que l'enjeu culturel, économique, social que représente aujourd'hui l'avenir de notre gastronomie, de nos producteurs agricoles et de nos campagnes, de nos métiers de bouche me paraît d'une grande importance...

L'Association des Fromages de Terroirs a monté aujourd'hui quelques dégustations dans les restaurants, les fromageries et les caves de production AOC (Appellation d'Origine Contrôlée). 1001 supermarchés de l'enseigne de grande distribution Carrefour (bien connue des Argentins mais aussi de tous les Européens et jusqu'aux Chinois) s'associent à cette Journée dans leur rayon de fromages à la coupe. Une fromagerie de Lyon, Le Fil à Beurre, organise même la projection du documentaire Ces fromages qu'on assassine. Il s'agit d'un film-enquête et road-movies à travers les grandes régions AOC laitières, qui aurait dû faire l'objet d'une mise sur le marché sous forme de DVD après sa diffusion, sur France 3, le 26 décembre 2007, et que la chaîne a dû renoncer à éditer pour ne pas perdre quelques annonceurs industriels (Lactalis en tête) très présents sur ses tranches de publicité de 6h à 20h (bientôt la publicité sera totalement proscrite sur les 5 chaînes de la télévision publique française, France Télévision).

Sous ce lien, voici la page que France 3 consacre à ce documentaire et qu'elle a agrémenté, sur la droite de l'écran, d'un extrait de 5 mn et 30 secondes d'un extrait du film. A consulter pour voir ses belles images du Massif Central et entendre l'accent jovial et passionné du journaliste gastronomique Périco Légasse. On trouve aussi quatre autres extraits sur You Tube, partie 1 (58 secondes), partie 2 (3 mn 7 secondes), partie 3 (3 mn 49 secondes) et partie 4 (2 mn 2 secondes).
Et franchement, si vous aimez le français, si la musique de cette langue vous intéresse, si vous aimez ce parler de tous les jours de la France au quotidien, avec différents accents régionaux, allez voir ces extraits, vous allez être servi !

Le film a été tourné à un moment de grande tension dans le secteur fromager, tant pour les producteurs que pour les consommateurs et les commerçants de détail, un moment où les industriels (Lactalis pour ne pas les nommer) faisaient pression sur le gouvernement pour obtenir un assouplissement des règles d'AOC et pouvoir continuer à vendre sous étiquette AOC (les consommateurs apprécient ce label de qualité) des fromages fabriqués à la chaîne avec du lait thermisé (brièvement passé à 70° pour tuer toutes les bactéries et pouvoir réensemencer artificiellement après) ou pasteurisé (porté à 100°) et non plus du lait cru. En effet le lait cru est un produit délicat, qui doit être travaillé dans un délai très court incompatible avec la collecte du lait à grande échelle et grande distance nécessaire aux quantités industrielles imposées par les cadences des usines laitières. Depuis, les petits producteurs ont gagné cette bataille, les règles de l'AOC ont été maintenues. L'industriel Isigny-Ste-Mère, très longtemps chef de file de la qualité gastronomique dans l'industrie agro-alimentaire, s'interroge même actuellement sur l'opportunité commerciale de renouer avec la production au lait cru. L'abandon du label AOC, il y a deux ans, lui a valu une perte de chiffre d'affaires en France.

Bref, cette Journée nationale du fromage est une opération en direction de l'opinion publique pour promouvoir des pratiques artisanales ancestrales de terroir, au bénéfice des petits producteurs, de la diversité gastronomique, de celle des paysages, du dynamisme des campagnes où l'agriculture se meurt sous le poids des géants de l'industrie agro-alimentaire ou de la grande distribution (dont Carrefour, d'ailleurs) et même au bénéfice de la santé publiques, car c'est l'équilibre et la diversité alimentaire qui construisent les défenses immunitaires chez les êtres humains...

En tout ce que je viens de tenter d'exposer, vous voyez que la lutte des producteurs de fromages au lait cru ressemble beaucoup au combat des artistes argentins en faveur de l'existence d'une culture propre qui puisse résister au rouleau compresseur de l'industrie du disque, de la télé et du cinéma des Etats-Unis et de leurs affidés du show-business (quand le deuxième mot l'emporte sur le premier)...

Cette année, la Journée Nationale du Fromage met en vedette 11 AOC, à découvrir sur le site de l'Association, qui propose aussi des recettes de saison (difficiles à réaliser en Amérique du Sud où nos fromages authentiques, provenant de France, coûtent les yeux de la tête). Une seule bizarrerie, sur ce site très bien fait : la géographie administrative française est un peu confuse. Ainsi on retrouve classé en Région Midi-Pyrénnées le Laguiole (prononcer Laïole), ce fromage auvergnat, auquel pourront peut-être goûter les spectateurs du concert que donnent demain Daniel Perez et Marie Crouzeix dans la salle Poly de Montferrand (l'article sous ce lien). Mais c'est bien connu, les Français sont nuls en géo, même et parfois surtout quand c'est celle de leur pays !

Quoi qu'il en soit de nos lacunes nationales en géographie, j'ai estimé que ce combat du pot de terre (le travail du lait cru ne représente que 10% de la production fromagère totale) contre le pot de fer (de Lactalis et consorts) avait sa place dans ces colonnes, surtout avec une affiche pareille, et je renvoie donc le lecteur curieux, qu'il soit européen, sud-américain, japonais ou nord-américain (ça arrive, et ils sont les bienvenus), vers le site de la manifestation (entièrement et exclusivement en français). Et en plus demain, à Buenos Aires, c'est "el día de los ñoquis" (le jour des gnocchis, comme tous les 29 du mois. Allez farfouiller dans les raccourcis Coutumes ou dans Gastronomie, sous la mention Quelques rubriques thématiques, dans la Colonne à droite sur votre écran : vous allez trouver de quoi il s'agit).

Or donc bonne lecture et régalez-vous bien des yeux, des neurones et des papilles...

(1) "Poisson d'avril" : se llama así cualquier noticia falsa que uno puede anunciar para engañar a los amigos, los compañeros de trabajo, los lectores del periodico (si es un periodista). Es una tradición del día 1 de abril. Tradición antiquisima, muy de risa. Trataré de tener una idea para el 1 de abril del 2010. Me falta solo un año para buscarla...