En 1991, Oscar del Priore et un groupe d'artistes confirmés dans le domaine du tango ont fondé ce qui s'appelait alors la Universidad del Tango, avec la bénédiction du Secrétaire à l'Education de la Ville de Buenos Aires de l'époque, Daniel Filmus (aujourd'hui sénateur kichneriste et ancien candidat malheureux au poste de Chef de Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, lors des élections de juin 2007). Le Maestro Héctor Negro a fait partie des tout premiers enseignants qui ont construit cette institution qui s'appelle maintenant Centro Educativo del Tango et qui propose des cours gratuits comme il y en a beaucoup dans Buenos Aires (voir mon article sur le programme de cette année). Cependant leur financement a spectaculairement baissé dès l'arrivée au pouvoir de Mauricio Macri, en décembre 2007, ce qui correspond d'ailleurs plus ou moins au programme électoral qu'il avait affiché pendant toute la campagne. Héctor Negro y a donné de nombreux cours sur maints aspects du tango et de son histoire pendant de nombreuses années, avant son départ en retraite en 1997. Néanmoins, jusqu'à décembre dernier, le grand poète a continué de partager avec les élèves de ce centre son expérience, son immense connaissance du genre, son talent de poète et sa formidable chaleur humaine.
Cette année, le Ministre de l'Education du Gouvernement de Buenos Aires vient de lui annoncer qu'il lui ne renouvelait pas son contrat. La raison en est simple : Héctor Negro est retraité et le Gouvernement portègne estime qu'il n'a pas à faire émarger à son budget des retraités qui cumule pension et emploi (cumul parfaitement légal en Argentine, dans certaines limites et dans le cadre d'une procédure administrative donnée). La même décision a été prise à l'encontre d'un autre intervenant de la même génération, Raúl Ivancovich. Tous les deux ensemble tout mouillés coûtent 700 $ par mois à la Ville de Buenos Aires, qui dépense en ce moment des sommes un peu plus importantes pour des broutilles somptuaires (900 000 $ pour un panneau gigantesque représentant une jeune fille endormie sur l'un des bâtiments officiels de la ville, sans doute sous couvert de mécénat !).
De nombreux artistes prennent à leur compte la colère et le dégoût exprimés par le Maestro Negro dans son blog (le message est même en train de faire le tour des popotes et, comme vous le voyez, va jusqu'à traverser l'océan). Un parlementaire de la Ville de Buenos Aires a aussi pris le dossier en main. Ce parlementaire s'appelle Enrique Olivera. Ce député de Coalición Cívica, la droite non macriste, est avocat de formation et professionnellement il a principalement occupé de très hautes responsabilités dans le secteur bancaire public et privé, jusqu'à être nommé même Président du Banco de la Nación, la banque centrale d'Argentine. Il aussi été ensuite été élu président de l'Association argentine des Banques avant d'être renommé à la tête de la banque centrale en 2002 (juste après le Corralito). Ce n'est donc pas vraiment un joyeux gauchiste pas les pieds par terre et bêtement en guerre contre le capital ou le patronat privé représenté par Mauricio Macri ! Le tout se passe d'ailleurs alors que le 19 mars, la Legislatura (l'Assemblée de la Ville) a voté, à l'unanimité des présents, une loi qui permet de promouvoir, sur fond public, la musique vivante ("en vivo") de tous les genres mais hors des institutions officielles (donc au-delà des programmes montés par la Ville elle-même). Devant les coupes claires pratiquées dans l'univers culturel et le monde de l'enseignement par le Gouvernement portègne, la Legislatura apparaît de plus en plus comme l'instance capable d'assurer le contrepoids, conformément à ce que prévoit d'ailleurs la Constitution de la Ville Autonome de Buenos Aires. Et 2009 est une année électorale : le 28 juin, les Portègnes renouvelleront la moitié de la Legislatura (voir l'article à ce sujet sous le lien).
La coordinatrice du Centro Educativo del Tango a aussi réclamé le renouvellement du contrat des deux intervenants et elle a même expliqué par écrit au Ministre de l'Education que c'était l'expérience et le parcours d'Héctor Negro qui faisaient la valeur de son enseignement et que cela, ça ne se remplace pas. Il se murmure que le Ministre aurait répondu qu'il ne connaissait pas l'existence du centre. Si c'est vrai, c'est pour le moins fâcheux. Et si c'est une rumeur, ça donne une petite idée de l'ampleur du ressentiment du monde de la culture populaire dans Buenos Aires. Mais quand bien même ce Ministre local ne connaîtrait pas l'un des centres dont il a bel et bien la charge, il faut espérer qu'il sait au moins qui est Héctor Negro. Pas exactement un inconnu dans l'univers culturel de la capitale et même du pays...
Si vous souhaitez lire directement la protestation et les arguments, très forts et très construits, développés par Héctor Negro, rendez-vous sur son blog que vous trouverez dans la Colonne de droite, en partie basse, dans la rubrique Troesmas.
En voilà le dernier paragraphe avec sa traduction en français :
Para finalizar la narración de hechos que es necesario que se conozcan, me pregunto: ¿le interesan la cultura y la educación a estos acaudalados mandatarios que gobiernan nuestra ciudad? ¿Se enteraron que el tango es parte del patrimonio cultural de nuestro pueblo, reconocido en todo el mundo civilizado? ¿O es que porque no se enteraron quieren vaciar lentamente al Centro Educativo del Tango? Lo más grave es que pareciera que quieren hacer desaparecer todos los Centros gratuitos de enseñanza, para que no compitan con los emprendimientos "empresariales "privados. Y de paso, desperdiciar tantos conocimientos acumulados y útiles de muchos jubilados que no "colgaron" sus cerebros como muchos futbolistas "cuelgan sus botines". ¿Lo habrán pensado esto Macri y su séquito?
(Héctor Negro, mars 2009)
Pour en terminer avec le récit de faits dont il est nécessaire qu'on les connaisse, je me demande : Est-ce que ça les intéresse, la culture et l'éducation, ces mandataires aux portefeuilles bien garnis qui gouvernent notre ville ? Est-ce qu'ils se sont rendu compte que le tango fait partie du patrimoine culturel de notre peuple, reconnu à travers tout le monde civilisé ? Ou est-ce que, parce qu'ils ne s'en sont pas rendu compte, ils veulent vider lentement le Centro Educativo del Tango ? Le plus grave, c'est qu'il paraîtrait bien qu'ils veulent faire disparaître tous les centres gratuits d'enseignement pour qu'ils ne fassent pas concurrence aux entreprises d'entrepreneurs privés (1). Et au passage, gaspiller tant de connaissances accumulées et utiles de nombreux retraités qui n'ont pas "raccroché" leur cerveaux (2) comme de nombreux footballeurs "raccrochent les crampons" (3). Est-ce que Macri et sa suite ont pensé à ça ?
(Traduction Denise Anne Clavilier)
C'est ce qu'on appelle une exécution en beauté !
(1) Allusion directe à Mauricio Macri, qui est et demeure un entrepreneur privé, héritier d'un vrai et puissant groupe industriel familial.
(2) colgar (accrocher) : expression toute faite pour signifier que l'on s'abstient d'une action attendue ou qu'on y renonce. En français, on dit non pas "accrocher" mais "raccrocher" son tablier (pour un domestique), ses gants (pour un boxeur), les crampons (pour un sportif et en particulier un joueur de foot ou de rugby). Héctor Negro est né le 27 mars 1934 (c'était vendredi dernier, son anniversaire).
(3) Héctor Negro chante beaucoup le football dans son oeuvre poétique. Il est d'ailleurs l'auteur d'un petit recueil paru aux Editions Corregidor : El lenguaje y la poesía del fútbol, Buenos Aires, 2005.