Toujours en conflit social pour les salaires et le niveau de vie (cela ne date pas d’aujourd’hui, comme le prouve cet article du 22 octobre 2008), plusieurs syndicats (gremios) du monde de l’enseignement commencent l’année scolaire (ciclo lectivo) par des arrêts de travail de 24, 48 ou 72 heures.
La rentrée officielle était fixée au lundi 2 mars pour l’ensemble de l’Argentine, mais dans 13 Provinces sur 24 (en comptant la Ville de BsAs), les classes n’ont pas pu accueillir tous les élèves faute de professeurs derrière les bureaux. La Ville Autonome de Buenos Aires et la Province de Buenos Aires font partie des régions touchées par la grève, or c’est dans ces deux entités politico-administratives que se concentre la plus grosse partie des 40 millions d’Argentins. Les autres provinces affectées sont, au nord de l’Argentine, Entre Ríos, Catamarca, Jujuy, Santiago del Estero, Corrientes, Chaco, Córdoba, Salta, à l’ouest San Luis et au sud (toujours par rapport à Buenos Aires), Neuquén et Río Negro.
Même la Présidente de la République, en ouvrant la nouvelle session parlementaire dimanche matin, 1er mars, a estimé que le corps enseignant en faisait un petit peu trop dans la revendication : ces grèves endémiques font du tort aux enfants car ils les empêchent d’aller jusqu’au bout des programmes fixés pour chaque classe.
Les mots d’ordre de grève ont été lancés à la fin février, juste après la signature, le 24, entre Gouvernement fédéral et centrales syndicales, d’un accord salarial qui fixait le salaire minimal d’un enseignant (en début de carrière) à 1 490 $ mensuels (contre 1 290 $ l’année dernière), ce qui revenait à une augmentation de 15,5% à compter du 1er mars (voir mon article d’hier sur l’augmentation du minimum retraite et l’article de juillet sur le salaire minimum en Argentine). A ce salaire de base, s’ajoute un système de primes assis sur la charge de travail effective de l’enseignant et financé par le Fondo del Incentivo Docente (fonds d’encouragement pédagogique) (1). Cette prime, limitée à 6 versements par fonctionnaire, est de 55$ par unité de travail (cargo) et par jour et payable en trois fois, tous les deux mois, entre juillet et décembre (2).
Le 24 février, les dirigeants syndicaux reconnaissaient qu’au terme de cet accord, le salaire des enseignants avait augmenté de 290% depuis 2003, ce qui, vu la grave crise qui a mis par terre toute l’économie argentine en décembre 2001, ne pouvait être à leurs yeux compté pour rien.
La procédure voulait que cet accord signé au niveau des Centrales soit ratifié dans chaque fédération (plenario sindical) des 5 organisations signataires. Et patatras ! Que nenni !
Les faces réjouies des leaders syndicaux sortant triomphants de leur négociation avec le Ministre de l’Education, Juan Carlos Tedesco, le Ministre du Travail, Carlos Tomada, et celui de l’Interieur, Florencio Randazzo, ont fait très vite place à la grogne des professionnels sur le terrain, alors que la contrepartie syndicale de l’accord était l’engagement de leur part que les personnels éducatifs seraient tous à leur poste le 2 mars pour accueillir tous les élèves à tous les niveaux (seuls les représentants de Río Negro restait sur leurs positions et se déclaraient insatisfaits).
Du côté de Buenos Aires, le gouverneur provincial, le péroniste kirchneriste Daniel Scioli, se voudrait conciliant et tente de négocier, sans toutefois réussir à cacher tout à fait son exaspération mais les syndicats réclament un salaire de base de 1650 $ mensuels (il ne faut pas être grand sorcier pour voir que ce n’est sans doute pas économiquement réaliste à l’échelle de la Province). Dans la capitale même, les instances paritaires ont été convoquées à une nouvelle table ronde par le Gouvernement de Mauricio Macri qui a proposé un salaire minimum de 1510 $ (au lieu des 1490 du niveau fédéral) mais les syndicats portègnes réclament, les uns une augmentation de 200 $ sur le salaire minimal fixé le 24 février (10 fois plus que ce que propose Macri et son Ministre de l’Education), les autres une augmentation moindre, seulement 110 $ mais payable dès le mois de mars. Et Mauricio Macri, avec son ton tranchant habituel, a répondu en substance que sa proposition était à prendre ou à laisser et un point c’est tout ("cuando no hay, no hay" : "quand il n’y a pas, il n’y a pas" ou "quand c'est non, c'est non"). Il estime en effet qu’il ne dispose d’aucune marge de manoeuvre sur le poste budgétaire consacré à l’éducation, et c’est une position qu’il a tenue avec constance depuis qu’il est à la tête de la Ville (10 décembre 2007).
A ce jour, la grève se poursuit dans 6 Provinces dont la Capitale et la Province de Buenos Aires. Et le mouvement des enseignants se durcit. C’est la première fois depuis 20 ans que la rentrée ne s’est pas faite au jour dit. Le précédent conflit d’envergure en début d’année remonte au mandat de Raúl Alfonsín : 42 jours de grève nationale en mars 1988 !
A Buenos Aires, le conflit est d’autant plus fort que le pouvoir est aux mains d’une droite très pugnace vis-à-vis des syndicats (3). Le conflit porte donc sur les questions économiques mais plus largement sur les conditions de travail et le sentiment d’humiliation que ressent l’ensemble du secteur intellectuel et culturel de la Capitale devant la politique libérale menée par Mauricio Macri, dont tout le comportement rappelle qu’il est avant tout un homme d’affaires : sa manière de parler, son allure, ses références... Or dans la culture latine, les intellectuels et le monde des affaires ne se tiennent guère en mutuelle estime. C’est cette tension que Daniel Paz a traduit d’un trait de plume dans ce dessin paru dans Página/12, le 4 janvier dernier (en s’en prenant bien sûr à Mauricio Macri : Página/12 est à gauche et très radical sur ses positions idéologiques).
Il s’agit d’un dialogue entre le Chef du Gouvernement portègne (le Cyrano voûté et moustachu qui tourne le dos à l’autre) et l’un quelconque de ses conseillers qui lui parle du système d’évaluation récemment mis en place dans le secteur éducatif (4). Tout le dialogue repose donc sur un jeu de mot (d’où la classification de cet article sous la rubrique Jactance & Pinta, voir la signification de cet intitulé sous ce lien) : "punto", dans le langage de tous les jours à Buenos Aires (mais pas à Madrid), ça veut dire à la fois "point" (au sens "marquer des points" dans un jeu, "avoir tant de points" sur sa copie) et "personne lambda", sans importance, sans pouvoir, sans influence, ce qu’Edmond Rostand, dans L’Aiglon, appelle "les petits, les obscurs, les sans-grade". En français, on pourrait, dans certains contextes, traduire cet emploi par pion : "on n’est pas des pions !".
Et c’est la traduction sur laquelle je m’arrête pour ce dialogue.
Ceux qui connaissent déjà l’espagnol peuvent tout de suite cliquer sur l’image pour l’apprécier en meilleure résolution, les autres peuvent commencer par lire la traduction qui suit.
Le conseiller : Le système de points (pions) est en place
Macri : Pas système de points (pions). Scoring ! (5)
Le conseiller : En plus, les instituteurs sont pas contents.
Macri : Et pourquoi ?
Le conseiller : Ils disent qu’on les prend pour des scorings.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Macri : Pas système de points (pions). Scoring ! (5)
Le conseiller : En plus, les instituteurs sont pas contents.
Macri : Et pourquoi ?
Le conseiller : Ils disent qu’on les prend pour des scorings.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Les autres dessins de Daniel Diaz en cliquant sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, sous le titre de l’article.
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(1) C’est un fonds créé en décembre 1998 et mis à la disposition des gouvernements provinciaux pour récompenser les membres du corps enseignant en fonction des besoins et des politiques qui sont du ressort des Provinces. Il est alimenté par une taxe de type vignette auto, assise sur le prix d’achat des véhicules. Cette taxe s’applique à l’achat de tout véhicule à moteur (automotor), immatriculé en Argentine depuis la moto jusqu’au bateau, voire au navire, en passant bien sûr par toutes les voitures.
(2) Au cours de la deuxième partie de l’année scolaire, composée de deux cycles de 5 mois de cours effectifs (et de 6 mois pour le salaire, congés payés compris) et non de 3 trimestres effectifs (4 trimestres payés congés compris) comme en Europe.
(3) Lors de ses deux premiers mois de mandat, Mauricio Macri n’a pas hésité à s’en prendre de front à la GCT (historiquement péroniste), avec des provocations très habiles et très dures qui ont mis une bonne partie des fonctionnaires de la Ville dans la rue pendant l’été, en décembre puis en janvier (il y a eu des arrêts de travail même sur les ondes des deux radios publiques).
Cette année, en octobre, les Portègnes vont renouveler la moitié de leur Parlement (Legislatura), on verra comment tout cela se traduira dans les urnes...
(4) En Argentine comme en France, les professeurs, qui passent leur temps à distribuer bonnes et mauvaises notes, abhorrent être eux-mêmes évalués et n’ont aucune confiance ni dans le système ni dans les évaluateurs, soupçonnés a priori d’être incompétents.
(5) Dans les entreprises à Buenos Aires, comme en Europe, la mode managériale met à l’honneur tout un lexique jargonnant en anglais. Il est ainsi tout aussi chic de parler spanglish là-bas que de se gargariser au franglish de ce côté-ci de l’Atlantique.