mardi 17 mars 2009

Nora Bilous au Tortoni et un CD gratuit [disques et livres]



Pour ma part, j’ai découvert l’auteur-compositrice-interprète de tango Nora Bilous dans l’un des podcasts de Tango City Tour, en 2007. Nora Bilous a déjà trois disques à son actif. Elle propose d’ailleurs sur son site un téléchargement gratuit du dernier d’entre eux, Presente, 13 pistes, dont quatre morceaux écrits par elle et composés par son partenaire Juan Rivero, six classiques (Rodando tu esquina, Cristal, Toda mi vida, Baldosa floja, Nostalgias, Alma en pena) et trois morceaux plus contemporains mais d’autres compositeurs. Un album équilibré, enregistré en 2007, et dont la direction musicale et les arrangements ont été assurés par Juan Rivero. C’est en entrée de son site et ça vaut le coup (et c’est quelqu'un qui a acheté le disque chez un disquaire là-bas qui vous le dit).

A l’intérieur du site, vous découvrirez aussi en écoute (non téléchargeable) plusieurs pistes des deux autre disques.

Nora Bilous est une habituée du Tortoni. Elle y chante deux fois par semaine depuis 2003. Elle s’y produit actuellement, le dimanche à 20h et le vendredi à 23h, dans le salon Alfonsina Storni, à 60$ l’entrée (voir le programme sous ce lien). Ses deux spectacles s’appellent Desde Otro lado, le dimanche (d’un autre côté) et Tango en canto de mujer, le vendredi (1). C’est d’ailleurs au Tortoni qu’elle a connu son partenaire, qui est aussi son pianiste, son arrangeur et donc, on vient de le voir, l’un des compositeurs de son répertoire. Tous les deux forment à présent un duo et c’est dans cette configuration qu’ils ont été retenus l’année dernière dans le programme 2009 des Bares Notables (voir l’article de ce blog sur cet appel à concours édition 2008).

Le lundi à 22h, Nora Bilous chante aussi au Café de los Angelitos, de la esquina Rivadavia y Rincón, ce café que fréquentaient Carlos Gardel et José Razzano et où payadait José Betinotti (2), qui ferma dans les années 90 à cause d’un incendie et a été à nouveau inauguré en juin 2007, tout beau tout neuf... Elle s’y produit dans un spectacle de luxe puisque le Café de los Angelitos, grand café de tradition portègne, avec garçons en grande tenue et service stylé mais le tout raisonnablement abordable de jour, se transforme la nuit venue en cena-show, comme la Esquina Carlos Gardel (à l’Abasto), la Esquina Homero Manzi (esquina San Juan y Boedo), l’immense Tango Porteño (au pied de l’Obélisque), le plus petit El Viejo Almacén (à la frontière de Monserrat et de San Telmo).

A écouter aussi sur Tango City Tour... en allant chercher le podcast n° 85 (c'était il y a quelques années, nous en sommes au n° 148 et ce podcast est hebdomadaire). Le lien vers Tango City Tour se trouve dans la rubrique Ecouter dans la partie basse de la Colonne de droite, celle consacrée aux liens externes.

(1) Tango en canto de mujer : léger jeu de mot entre "en canto" (chanté par... une femme) et encanto (charme, envoûtement, sortilège... de femme). "Encanto de mujer" c’est l’une des citations cultes du tango Pasional, de Jorge Caldara et Mario Soto, connu surtout pour l’interprétation qu’en a donnée (et enregistrée) l’orchestre de Osvaldo Pugliese en 1951.
(2) José Betinotti (1878-1915), sans doute l’un de ceux qui ont appris la guitare et le chant à Carlos Gardel, était un payador, un artiste qui savait improviser vers et musique sur les thèmes qu’on lui donnait ou sur l’actualité (voir à ce sujet
l’article de ce blog sur l’hommage que Luis Alposta a rendu à Gabino Ezeiza, le maître de Betinotti, il y a quelques semaines sur Noticia Buena). Les payadores, qui comptent parmi les ancêtres des auteurs et compositeurs de tango, ont joué un grand rôle non seulement dans l’apparition du tango mais aussi, plus largement, dans la constitution d’une identité culturelle propre à la province de Buenos Aires et à l’Uruguay, qui unifie la région, de part et d’autre du Río de la Plata. Souvent les payadores étaient des anarchistes itinérants dans les campagnes, des colporteurs de nouvelles contestataires et critiques de l’ordre établi, voire des marginaux qui échappaient délibérément à toutes les contraintes. Ils furent donc longtemps la voix des petits, des gauchos, des ouvriers et de tous les sans voix du petit peuple. Citadins et quasi-sédentaires, Gabino Ezeiza et José Betinotti, qui comptent parmi les derniers d’entre eux, était l’un un radical, qui prit les armes lors des soulèvements montés par l’UCR au début des années 1890, l’autre un sympathisant socialiste, dans la Buenos Aires dominée par le pouvoir des oligarques de la Generación del 80 (voir la chronologie historico-politique, en partie centrale de la Colonne de droite).
Les payadores n’ont laissé que peu de traces de leur art car pour la plupart d’entre eux, ils n’ont jamais rien écrit (tout était improvisé) et les lettrés n’avaient que mépris pour ces va-nu-pieds. Ce n’est donc qu’exceptionnellement que les journaux mentionnent tel ou tel événement relatif à leur art ou à leur présence. Le poids extraordinaire qu’ils conservent dans l’imaginaire collectif rioplatense s’est transmis de génération en génération jusqu’à nous à travers des récits dont il n’est pas aisé de séparer la réalité historique et la légende.