En Argentine, c’est aujourd’hui le Jour national pour la mémoire, la vérité et la justice, un jour de souvenir de toutes les victimes de la dernière dictature militaire (1976-1983), un jour pour les Droits de l’Homme, le triste anniversaire du coup d’Etat qui renversa, le 24 mars 1976, le gouvernement constitutionnel d’Isabel Perón (1), à la suite d’un complot ourdi au sein de l’Etat-Major et mené par Jorge Rafael Videla (actuellement en prison, voir mon récent article à ce sujet).
Pour l’occasion, le quotidien Página/12 a ouvert ses colonnes à 10 éditorialistes d’un jour, les responsables de 10 ONG parmi les plus reconnues pour leur combat en la matière en Argentine. Les deux associations issues du mouvement des Mères de la Place de Mai, Madres de Plaza de Mayo et Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora, Abuelas, H.I.J.O.S. en font partie, voir lien avec leurs sites dans la rubrique Cambalache (casi ordenado) en partie inférieure de la Colonne de droite.
Ces personnes exposent leurs préoccupations et l’enjeu de leur combat aujourd’hui, plus de 25 ans après le rétablissement du régime constitutionnel, à l’heure où l’Argentine, récemment entrée en pleine campagne électorale (voir l’article du 14 mars 2009), se bat avec les démons ordinaires de la démocratie : la lenteur de la justice, la puissance de l’argent, la démagogie et l’épouvantail de l’insécurité, avec son corollaire, la peine de mort, que quelques excités ont mise à l’ordre du jour des discussions du Café du Commerce la semaine dernière, après un fait divers sordide dont a été victime l’ami et partenaire d’une vedette du petit écran.
De son côté, Clarín propose aussi un dossier spécial, à base de documents historiques cette fois (voir le lien avec l’article principal de ce quotidien. Les annexes, qui constituent le dossier, sont placées dans l’encadré de droite, une fois l’article ouvert).
Ce soir, se clôtureront à l’espace culturel ECuNHi les quatre jours du Festival de la Chanson engagée sous les auspices de Madres de Plaza de Mayo (voir mon article).
Dans la journée, se tiennent diverses compétitions sportives commémoratives :
Un tournoi d’échec à Parque Chacabuco, un quartier de Buenos Aires. C’est le IV Torneo Nacional de Ajedrez Rápido Día de la Memoria, organisé par la Ligue nationale d’échec et la Commission nationale des joueurs d’échec victimes de la Dictature (CONAVID). Un représentant du Gouvernement de la ville de Buenos Aires sera là pour un hommage solennel aux victimes.
Des épreuves d’athlétisme auront lieu dans un stade du district de Morón, situé au sud-ouest de Buenos Aires, dans la petite ceinture de la Capitale. Une course de fond de 10 km y sera organisée. Dans l’après-midi, sont prévus une conférence, un spectacle que donnera une murga uruguayenne et une foire artisanale.
Une course organisée à Mar del Plata rendra hommage à Miguel Sánchez, sportif disparu pendant la Dictature. La disparition des sportifs a fait moins de bruit que celles de très nombreux intellectuels et journalistes (surtout en Europe où la presse s’est focalisée sur les problèmes rencontrés par la presse mais aussi en Argentine), elle n’en a pas moins bel et bien existé cependant. Et c’est assez logique car en Argentine, le sport est beaucoup plus politique, beaucoup plus citoyen qu’en Europe, où ces activités passent au mieux pour de saines distractions, au pire pour un gros magot démagogique à faire fructifier façon panem et circenses romain. A Mar del Plata, les hommages se prolongeront toute la semaine.
Buenos Aires aussi rendra hommage au champion disparu dimanche prochain, avec la Carrera de Miguel (la course de Miguel), qui se déclinera en deux épreuves, une course de fond de 10 km sur un parcours empruntant plusieurs avenues du centre de la capitale et une marche aérobic sur un parcours de 3 km. Les épreuves seront maintenues, même en cas de pluie (2).
Miguel Sánchez était un sportif amateur, champion de course à pied. C’était aussi un poète et un militant politique. Il gagnait sa vie en travaillant dans une banque. C’est la raison pour laquelle la Fédération bancaire s’occupe des inscriptions des participants à la Carrera de Miguel à Mar del Plata. Il a été arrêté chez lui, à Villa España, une bourgade du district de Berazategui, dans la Province de Buenos Aires, le 8 janvier 1978 et on ne l’a plus jamais revu. Il était natif de la ville de Tucumán.
Clarín consacre un article au programme très riche et diversifié de cette journée un peu partout dans le pays.
Voir les autres articles connexes rassemblés sous le mot-clé Histoire (dans la rubrique Quelques rubriques thématiques dans la Colonne de droite ou dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, situé en haut de l’article). On peut aussi se reporter à ceux que j’ai consacrés aux célébrations des 25 ans de la démocratie à la fin de l’année dernière (sous le lien).
(1) Isabel Perón n’est pas tout à fait blanc-bleu dans l’histoire. Pas seulement parce qu’elle avait été amplement prévenue du danger que constituait la nomination à l’Etat-Major du général Videla et qu’elle n’a pas su ou pas voulu entendre ces conseils. Mais aussi parce qu’elle est fortement soupçonnée d’avoir elle-même du sang sur les mains. Elle est très probablement en effet la fondatrice ou la co-fondatrice (avec Perón lui-même dans ce cas) d’une sinistre police parallèle, la Triple A (Alianza Anticomunista Argentina) qui pourchassait communistes, socialistes et autres internationalistes dès 1974, année du retour de Juan Perón en Argentine et au pouvoir. A ce titre, elle fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la justice argentine qui souhaite l’entendre dans l’affaire de la disparition de deux étudiants, sous sa présidence. Ce mandat lui a été notifié à Madrid en 2007 puisqu’elle vit dans la banlieue résidentielle de la capitale espagnole. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Cristina Fernández de Kirchner, qu’on a connue plus combative quand il s’agit de droits de l’homme, elle ne semble plus avoir beaucoup de soucis à se faire. Isabel Perón, malgré toutes ces ombres au tableau, est en effet la toute première femme chef d’Etat argentin (et même sud-américain) et qui plus est, elle a accédé à cette dignité par la voie constitutionnelle. Or, pour sa part, Cristina est elle la première Chef d’Etat personnellement élue à ce poste (et par quelle brillante élection ! 45,29% des voix au premier tour de scrutin), Isabel n’y ayant accédé qu’en qualité de vice-présidente de son mari juste après le décès de celui-ci.
La présidente actuelle, qui a fait réinstaller le portrait d’Isabel Perón dans la galerie des Présidents à la Casa Rosada dès son arrivée au pouvoir, n’a peut-être pas une terrible envie d’être confrontée à cette "prédécesseure" lointaine, ambiguë et plutôt embarrassante.
(2) La formule rituelle à Buenos Aires, c’est l’inverse : "la manifestation sera annulée en cas de pluie". La pluie est fréquente à Buenos Aires, surtout en demi-saison (printemps et automne). La saison la plus sèche, c’est l’hiver. L’été, il règne sur la ville une chaleur humide que les Portègnes eux-mêmes disent accablante.