mardi 14 avril 2009

La minute du Dr. Alposta [Actu]

Assez régulièrement, une à deux fois par mois minimum, Luis Alposta envoie à l’ensemble de ses correspondants une communication sur des sujets dont la variété ne cesse de me surprendre (pourtant avec lui, je devrais être vaccinée, mais non, la surprise est toujours là et tant mieux).


La plupart du temps, il s’agit d’articles qu’il a écrits à des époques diverses pour un site Internet, dans un livre, une revue de tango ou de médecine, à travers un diaporama avec ou sans musique ou un montage photos.... C’est comme cela que je vous ai déjà traduit sa conférence sur l’Ode à la Pizza pendant la Semaine du Goût en octobre 2008 ou présenté cette incroyable esquisse du sourire de Carlos Gardel avec laquelle j’ai conclu l’année 2008 sur Barrio de Tango.




Il y a quelques jours, Luis Alposta, qui est un puits de science dans un nombre effarant de domaines, nous a ressorti de ses cartons une recension, réalisée en 2007, sur le thème tango et médecine. Or il est lui-même médecin (normalement, vous le saviez déjà, mais au cas où vous l’auriez pas su, maintenant vous pourrez plus dire que vous ne le saviez pas). Et des tangos de ce genre, il y en a un petit paquet. En l’occurrence, il s’était surtout intéressé à la dengue, cette maladie virale dont une épidémie s’est déclarée en Argentine tout récemment (on est en plein dans l’actualité)...

"Hubo una época en la que era frecuente que nuestros músicos le dedicasen tangos a los médicos como testimonio de gratitud y amistad. Y no sólo a los médicos.
"También se ocuparon de los practicantes, de los boticarios, de los remedios, de los hospitales (recordemos tan sólo los tangos «Rawson» y «Clínicas»). ¡Si hasta las enfermedades han tenido los suyos! Y entre ellas, la preferida parece haber sido el dengue.
"Vayan como ejemplo estos tres tangos, escritos en las primeras décadas del siglo pasado: 1º) «El dengue», tango de Gerardo Metallo. Ed.: Roque Gaudiosi. 2º) «¡El dengue!», tango milonga de Miguel F. Alfieri. Ed.: Raúl Ortelli. Dedicado al personal técnico del Sanatorio Central (año 1917). 3º) «El dengue», tango de Vicente Demarco y del doctor Arnoldo Yódice (año 1921)."
Luis Alposta
(La Nación, 11 de marzo de 2007)

Il y eut une époque où il était fréquent que nos musiciens dédient des tangos aux médecins en témoignage de gratitude et d’amitié. Et pas seulement aux médecins.
Ils se sont aussi occupés des assis
tants (1), des apothicaires, des remèdes, des hôpitaux (souvenons-nous juste des tangos Rawson et Clínicas). Et même les maladies ont eu leurs tangos ! Et parmi elles, la préférée semble avoir été la dengue.
Voilà en exemple ces trois tangos, écrits dans les premières décennies du siècle passé : 1)
La dengue, tango de Gerardo Metallo, ed. Roque Gaudiosi, 2) La dengue !, tango milonga de Miguel F. Alfieri, ed. Raúl Ortelli. Dédié au personnel technique de la Clinque Centrale (1917), 3) La dengue, tango de Vicente Demarco et du Docteur Arnoldo Yódice (1921).
La Nación, 11 mars 2007
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Mais pour en revenir au phénomène qui touche l’ensemble du nord de l’Argentine en ce moment, depuis la frontière avec le Paraguay et la Bolivie jusqu’à la Province de Buenos Aires, beaucoup plus au sud, le problème sanitaire commence à prendre une tournure préoccupante. Il y a un peu plus de deux semaines, on a diagnostiqué les premiers cas dans la Province de Buenos Aires. Ces malades rentraient d’un séjour dans le nord du pays, où il existe des foyers de moustiques, qui agissent comme transmetteurs d’une maladie dont le réservoir à virus n’est autre que l’homme lui-même, avec des sujets porteurs sains et d’autres, plus fragiles, qui déclarent la maladie. Ainsi c’est le moustique qui se contamine en nous piquant et va ensuite contaminer un autre représentant de notre espèce. Si celui-là n’est pas immunisé, la maladie se déclenche. La dengue se manifeste sous deux formes, celle d’une grippe très violente (avec très forte fièvre, maux de têtes et douleurs musculaires qui peuvent aller jusqu’à des convulsions ou des spasmas, d’où l’adjectif dingue qui stigmatise le fou en argot français) et celle d’autre part d’une maladie hémorragique qui peut conduire à la mort. La dengue sévit dans les pays chauds, en Australie, dans un certain nombre de pays d’Afrique noire et surtout dans le nord de l’Amérique du Sud. La France a parfois été touchée, en Guyane et en Guadeloupe notamment. Il n’existe pas de vaccin. Les antibiotiques ne servent à rien puisqu’il s’agit d’un virus. Et c’est une maladie qu’on ne sait pas soigner. On ne sait qu’agir sur les symptômes : on fait tomber la fièvre, on résorbe les douleurs avec des antalgiques sans jamais recourir à l’aspirine ni à des anti-inflammatoires stéroïdiens pour ne pas aggraver les risques hémorragiques et quand on a affaire à la forme la plus grave de la maladie, on procède à des transfusions sanguines ou des transfusions de plaquettes.

A ce jour, on pense qu’il y a 350 cas avérés à Buenos Aires et dans la Province, dont 12 proviendraient d’une contamination locale et non nordique. D’après le Ministre de la Santé du Gouvernement de la Ville autonome de Buenos Aires, 230 personnes ont été hospitalisées dans les établissements de la capitale avec des symptômes de dengue (ce qui ne veut pas dire qu’elles étaient effectivement atteintes de dengue). Parmi ces patients, 110 habitent la Capitale. Trois d’entre eux auraient été contaminés à Buenos Aires même et trois autres dans la Province (tous les autres patients ont été contaminés dans le nord du pays). Tous les hôpitaux sont bien entendu en état d’alerte. Pourtant ces chiffres sont infinitésimaux au regard des 11 millions de personnes qui vivent dans la capitale (3 millions d’habitants à elle toute seule) et sa banlieue (Gran Buenos Aires). Mais les mesures de démoustication sont spectaculaires, l’annonce de quelques morts, dont une femme qui n’avait pas encore 40 ans, fait peur, dans une capitale qui vit toujours avec le traumatisme de ce qu’on appelle encore là-bas "La Peste de 1871", une épidémie de fièvre jaune qui tua 7,3% de la population entre janvier et mai 1871, juste avant que le développement de la vaccination ne fasse perdre à cette maladie son caractère incurable et foudroyant. L’épidémie de dengue fait ressurgir ce souvenir macabre et cela se voit dans la presse comme cela se voyait aussi dans ces couvertures cauchemardesques de vieilles partitions, qui ressemblent aux dessins d’actualité de l’été 1871 (et qui viennent de la collection personnelle de Luis Alposta).

Dans le nord du pays, les chiffres épidémiologiques sont différents : la Province de Chaco compte à ce jour 6 027 cas dont 2 ont été mortels. La ville de Córdoba, dans une autre Province, a déclenché un plan Or-Sec (emergencia sanitaria). La plupart des villes du nord procèdent à d’impressionnantes fumigations pour détruire les insectes (et peut-être aussi montrer à la population qu’on ne reste pas inactif, surtout en année électorale). Quant à l’institut de surveillance et d’étude des maladies virales, il est sur le qui-vive : c’est lui qui traite en dernière instance tous les prélèvements et données médicales pour confirmer ou infirmer le diagnostic porté sur les patients hospitalisés. Comptez qu’avec ça, c’est l’époque de la traditionnelle et anodine campagne de vaccination anti-grippale d’avant l’hiver. Et vous pourrez vous faire une petite idée de la psychose qui monte un peu partout dans le pays.

Conseils aux voyageurs : aucune vaccination n’est obligatoire pour entrer sur le territoire argentin mais certaines précautions seront toujours utiles. Avant de partir, vérifiez que vous êtes à jour de vos vaccinations européennes (ce sera toujours ça de gagné). Si vous partez pendant l’été austral (sauf à aller à Ushuaia, où en aucune saison vous ne rencontrez de moustiques tropicaux) ou si vous allez dans le nord, même pendant l’hiver austral (aux chutes d’Iguazu par exemple, très prisées par les Tour Operators), ne vous en tenez pas à ce que vous dit l’organisateur du voyage mais consultez votre médecin avant le départ (2) .
Le système sanitaire argentin est très développé et plutôt efficace malgré un manque de moyens chroniques dont tout le monde se plaint (on vient même se faire soigner dans les hôpitaux publics argentins depuis les pays limitrophes) mais si vous n’êtes pas un adepte du tourisme hospitalier, évitez-vous ce genre d’excursion... Et n’oubliez pas votre petite pharmacie du quotidien en fonction de la saison (anti-fièvre, anti-maux de gorge et/ou d’estomac, stop rhume etc.). Vous vous éviterez des sueurs froides à la farmacia quand il faudra bredouiller quelques mots en espagnol ou en anglais pour acheter du paracétamol pour une tête un peu lourde ou du bicarbonate de soude pour digérer un asado trop copieux.

(1) "Practicante" : c’est le carabin (étudiant en médecine, avant l’internat), le préparateur en pharmacie, celui qui en général assiste le médecin (aide-soignant, assistant dentaire, infirmier)...
(2) Histoire vécue en janvier 2009 : une de mes amies retraitées se préparait à partir en février pour un grand périple de 2 semaines en Argentine, des chutes d’Iguazu jusqu’aux glaciers de Patagonie avec deux jours à Buenos Aires (bonjour, les chocs thermiques !). C’est le plein été en Argentine et j’entends sur les ondes ou plutôt sur le streaming de la 2x4 qu’une grande campagne gratuite de vaccination anti-fièvre jaune est en cours à Buenos Aires pour tous ceux qui partent en vacances dans le nord du pays (des cas ont été diagnostiqués dans le nord du pays, au Paraguay et au Brésil). Et à mon amie, l’organisatrice du voyage affirmait tranquillement que ce n’était pas la peine de se faire vacciner, tout ça pour ne pas créer d’inquiétude parmi les participants et ne pas provoquer d’annulation de voyage. C’est tout de même un monde !