vendredi 3 avril 2009

L’Uruguay sur liste noire [Actu]

Le G20, réuni à Londres, a décidé de placer l’Uruguay sur sa très courte liste noire des paradis fiscaux ultra-répréhensibles (seulement 4 pays : le Costa Rica, les Philippines, la Malaisie et donc l’Uruguay, comme par hasard, tous situés dans le sud, tandis que d’autres pays aux moeurs similaires ou plus opaques encore, mais bien de chez nous, eux, sont inscrits sur une liste purgatoire où ils sont si nombreux, 38, qu’on a beaucoup plus de mal à les repérer).
L’Uruguay ne méritait certainement pas un tel désaveu de la communauté internationale, ce pays que dans les Années Folles on a surnommé la Suisse de l’Amérique du Sud pour sa stabilité politique et sa qualité de vie, avant que le raz de marée des régimes dictatoriaux militaires ne le confonde dans la masse multinationale de l’Opération Condor. A cette réunion des 20 pays très industrialisés d’une part et émergents d’autre part, qui vient de se tenir à Londres comme chacun le sait et comme on l'oubliera bien vite, les chefs d’Etat des deux voisins (deux géants) étaient présents : Cristina Fernández de Kirchner, Présidente de l’Argentine (à l’ouest de l’Uruguay), et Luis Inácio Lulla da Silva, Président du Brésil (au nord).

Or l’histoire des trois pays n’est pas avare de contentieux bilatéraux de toute sorte. Il y même eu entre eux des moments de conflit armé. L’Argentine et l’Uruguay sont deux pays frères qui adorent se disputer et tous les prétextes sont bons. Ces derniers temps, le motif principale des chamailleries officielles, c’était la présence d’une papeterie finnoise, Botnia (c’est très polluant, l’industrie papetière) dont l’implantation sur la rive estde l’Uruguay violerait, selon l’Argentine, l’accord international de gestion bilatérale concertée de ce fleuve-frontière. Les Uruguayens ne partagent évidemment pas cette analyse. Quoiqu’il en soit, ça fait maintenant un lustre que dure cette histoire à rebondissements et ce n’est pas cette décision qui va arranger les choses entre les deux pays.

D’autant que pour la co-existence de part et d’autre du Río de La Plata et de l’Uruguay, ça tombe vraiment tombe très, très mal : juste au moment où Tabaré Vázquez, le Président uruguayen, a rempli de fierté et passablement ému les Argentins en tenant à se déplacer lui-même jusqu’à Buenos Aires, avant-hier, afin de s’incliner devant le catafalque de Raúl Alfonsín et de rendre hommage à un grand ami de l’Uruguay, avec force remerciements publics pour son action au moment où l’Uruguay renouait avec la démocratie vers 1985.

Avec le Brésil, l’histoire est encore plus compliquée car elle ne se nourrit ni de dispute sur la nationalité de Gardel ni d’anicroches fluviales, avec courses poursuites en hors-bord entre garde-côte uruguayens et activistes écolo argentins comme on en voit encore de temps en temps sur l’Uruguay ou de bisbilles de voisinage au sujet du dragage, plus ou moins bien fait, du bras de fleuve qui sépare la côte uruguayenne et la Isla Martín García, dépendance argentine dans le domaine fluvial du voisin. Non ! Avec le Brésil, l’Uruguay garde de vieux contentieux coloniaux : le Brésil a longtemps eu des vues sur l’Uruguay qui se trouve dans le prolongement naturel de son territoire. En fait, cette appétence du Brésil pour l’Uruguay date du début de la conquête des Indes occidentales... Et c’est contre le Brésil, et non contre l’Espagne, que l’Uruguay a dû arracher finalement, tardivement même, son indépendance en 1830...

On peut donc imaginer quelle atmosphère pesante pèsera sur les prochaines rencontres au sommet sud-américaines... Déjà qu’au-dessus de toutes ces têtes présidentielles il arrivait très souvent qu’un ange passe... Mais alors maintenant ! La légion des anges a intérêt à étudier le vol en formation. Il va falloir qu’ils passent en escadrilles, les anges...

Les adeptes d’un ton plus sérieux et qui n’ont pas peur de l’espagnol se plongeront avec intérêt dans la lecture de deux articles du quotidien de Montevideo El País, pas vraiment content de la décision du G20 et de l’impéritie dont a fait preuve le gouvernement devant la menace de cette humiliation qui pesait depuis quelques temps sur le pays (d’autant que s’est tenue tout récemment, juste avant le G20, une réunion préparatoire entre pays gouvernés à gauche qui a rassemblé Lulla, Cristina Fernández, Gordon Brown, José Luis Zapatero et même Joe Biden, le Vice Président des Etats-Unis et à laquelle Tabaré Vázquez a participé lui aussi). Rappelons aussi que l’Uruguay est l’un des pays qui a eu la politique sociale et démocratique la plus avancée du continent sud-américain dès le début du 20ème siècle puisqu’il est l’un des tout premiers pays au monde à avoir accordé le droit de vote aux femmes et à avoir institué des régimes de protection sociale pour les salariés (voir dans la rubrique Petites chronologies mon article sur l’histoire politique et sociale de ces deux pays voisins. En partie centrale de la Colonne de droite).
Et n’oublions pas non plus que le Costa Rica est un des rares pays au monde à n’avoir pas d’armée (ce qui s’appelle n’avoir pas d’armée) et à consacrer l’argent ainsi économisé au développement de ses infrastructures (le pays et la population sont plutôt bien équipés, notamment en nouvelles technologies) et non pas à engraisser des marchands de canons.

Dans l’édition du 3 avril 2009 de El País (quotidien de Montevideo).
L’Uruguay peut être sanctionné pour défaut de publication des informations fiscales
Le Gouvernement, averti, a passé outre l’ultimatum