mardi 7 avril 2009

Truculente interview de Litto Nebbia dans Página/12 [Jactance & Pinta]

Photo Pablo Piovano, l'un des très bons photographes de Página/12


C’est Cristian Vitale qui est allé interviewer Litto Nebbia à l’avant-veille de son départ en tournée intérieure (dans les provinces argentines, où il donnera 10 concerts) et aux Etats-Unis (où il en donnera 7, à Miami, New York et Washington) (1). Je vous en livre quelques extraits bilingues (VO et traduction en français) parce que cette interview, c’est du pur portègne tel qu’on le cause dans la rue, même si Litto Nebbia n’est pas portègne. Et attention, là-bas, faut pas tout confondre ! Buenos Aires, c’est Buenos Aires et Rosario, c’est Rosario !

Pour accéder aux détails et aux passages non traduits, vous ouvrirez l’original (là-dessous) et vous lirez tout seul (je vous ai traduit le plus dur)...

Entrevista a Litto Nebbia, el artista que nunca para de tocar
“La gente se banca lo que toques”

Interview de Litto Nebbia, l’artiste qui n’arrête jamais de jouer
Les gens prennent ce que tu joues

Hiperkinético (2) y prolífico, desde mediados del año pasado el rosarino (3) grabó tres discos, compuso la banda de sonido de dos films y escribió una comedia musical (4).[...] “Tengo el mismo entusiasmo que a los 15 años”, dice.

Hypercynétique et prolifique, depuis le milieu de l’année dernière, le Rosarien a enregistré trois disques, composé la bande son de deux films et écrit une comédie musicale [...] "J’ai le même enthousiasme qu’à 15 ans", dit-il.

60 años redondos tiene Litto Nebbia. Pero su energía, en el hacer, le saca varios.
[...]
“La música sigue siendo una pasión para mí. La pasión de grabar discos y no vender millones... éste no es el comienzo ni el fin del arte. Se trata de tener el mismo entusiasmo de cuando empezaste a tocar, a los 15 años”, dice.

Litto Nebbia a 60 ans tout rond. Mais son énergie dans l’action lui en retire plusieurs.
[...]
"La musique continue d’être une passion pour moi. La passion d’enregistrer des disques, pas celle d’en vendre des millions, ce qui n’est ni le commencement, ni la fin de l’art. Il s’agit d’avoir le même enthousiasme que quand tu as commencé à jouer, à 15 ans," (5) dit-il.


“Estaba grabando Soñando barcos en un estudio de Madrid que suena como la puta madre, y tiene unos pianos de cola extraordinarios. De primeras tomas quedaba todo bárbaro y todos los días me sobraban dos horas. Entonces le dije al tipo: "Dejame joder (6) un rato". Me senté y en pocos días grabé este disco de improvisación en el piano. El dueño del estudio me dijo: "Es tuyo, te lo regalo", entonces me traje el master y lo edité por Melopea. Sacar un disco así en los tiempos que vivimos parte de una satisfacción personal y no para vender, eso está claro", insiste.

J’étais en train de graver Rêvant de bateaux dans un studio de Madrid qui a une acoustique du feu de Dieu et quelques pianos à queue extraordinaires. Dès les premières prises, c’était fantastique et tous les jours il me restait deux heures à tuer. Alors j’ai dit au mec : "Laisse-moi m'amuser un petit moment". Je me suis assis et en quelques jours j’ai enregistré ce disque d’improvisation au piano. Le patron du studio m’a dit : "C’est à toi, je t’en fais cadeau". Alors je me suis remporté la matrice et je l’ai éditée chez Melopea. Sortir un disque comme ça par les temps qui courent te donne une satisfaction personnelle. Mais pas parce que ça se vend, ça c’est bien clair, insiste-t-il (7).


Litto Nebbia vient de faire allusion à un autre disque en cours.
Cristian Vitale, presque incrédule, lui pose la question : "Un autre ? encore !"
Litto répond :

"Es que estoy convencido de que los músicos van a seguir grabando discos todo el tiempo (8). Hay un gran público en el mundo que no solamente espera CDs, sino que está volviendo a comprar vinilos. En España, incluso, acaban de salir mis dos primeros discos como solista (9) y Huinca en ese formato.
–A propósito de la historia, ¿habrá otro retorno de Los Gatos o Los Gatos Salvajes? (10)–No. Fue lo que fue. Sólo que a mitad de año vamos a publicar el DVD del show de Los Gatos en el Gran Rex, (11) que se está terminando de digitalizar y compaginar. También va a salir el libro de Mario Antonelli, con toda la historia del grupo. Pero cumplió su historia ahí... sería una locura querer reiterarlo, igual que con Los Gatos Salvajes."

Mais c’est que je suis convaincu que les musiciens vont continuer à enregistrer des disques tout le temps. Il y a un énorme public dans le monde qui non seulement attend des CD mais qui se remet à acheter des vinyles. En Espagne même, on vient de ressortir mes deux premiers disques de soliste et Huinca dans ce format.
-A propos du passé, il y aura un autre retour de Los Gatos ou de Los Gatos Salvajes ?
Non... Quand c’est fini, c’est fini. Le seul truc c’est qu’à la mi-2009, on va publier le DVD du show de Los Gatos au Gran Rex, qu’on est en train de terminer de numériser et de séquencer. Et aussi le livre de Mario Antonelli va sortir avec toute l’histoire du groupe. Mais son histoire s’arrête là... Ce serait une folie de vouloir recommencer. La même chose avec Los Gatos Salvajes.


¿Cómo arma las listas, dada la extensión y variedad de su material discográfico?
–Es un lío, porque tengo mi gusto personal, más el de mi mujer, mi hija y mis amigos. ¡Me la arman entre todos! (risas). Digo, hay cinco o seis canciones que toco siempre, si no, no salgo del local... Pero el resto lo cambio siempre. Mezclo “Sólo se trata de vivir” o “Viento dile a la lluvia” (12) con otras que no conoce ni mi vieja (13). Cuando está todo bien, la gente se banca lo que toques... Siempre hay lugar para todo.

Comment montez-vous votre tour de chant étant donné l’ampleur et la variété de vos réalisations discographiques ?
C’est un vrai bazar. Parce que j’ai mon goût à moi, plus celui de ma femme, de ma fille et de mes amis. C’est eux qui se le montent entre eux (rires). Non !... Disons qu’il y a 5 ou 6 chansons que je joue toujours parce que sinon je ne peux pas sortir de la salle... Mais le reste, je le change tout le temps. Je mélange Il s’agit de vivre et rien d’autre ou Le vent, dis-le à la pluie avec d’autres que même ma vieille ne connaît pas
(14). Quant tout est bien, les gens prennent tout ce que tu joues... Il y a toujours de la place pour tout.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Après tout ça, le mieux, c’est encore de regarder et d’écouter Litto Nebbia chanter. Dans ce que propose You Tube actuellement, je vous ai choisi quelques morceaux représentatifs de rock et de tango, correspondants à différentes époques...

El rey lloró (en 2007, avec le groupe Los Gatos reconstitué, au Gran Rex, à Buenos Aires), un de ses très grands succès.

Sólo se trata de vivir qui date de 1982, à Buenos Aires, cette année alors que Litto Nebbia rentrait de plusieurs années d’exil passé au Mexique, après le coup d’Etat de 1976 (mais avant la chute de la Dictature). Cette chanson est un des plus gros succès de tout ce qu’a composé et écrit Litto Nebbia. Elle a été reprise par à peu près tous les chanteurs de tous les genres dans toute l’aire hispanique...

Como dos extraños, un tango de Pedro Laurenz et José María Contursi, chanté par Litto Nebbia en 1996, lors d’un concert à la Biblioteca Nacional à Buenos Aires (la Biblioteca Nacional est située dans le quartier de la Recoleta).

Enfin un extrait du show des retrouvailles historiques de Los Gatos, un groupe de rock que Litto Nebbia avait constitué à la fin des années 60, quand il avait 18 ans. En 2007, pour les 40 ans de leur fondation et de leur premier disque, La Balsa, il a rassemblé ses copains et ils se sont refait une petite tournée alors que le groupe s’était dissous en 1969. Los Gatos (1967-1970), c’était le deuxième groupe de Litto Nebbia. Le premier s’appelait Los Gatos Salvajes (1965-1966) (cela veut dire les chats sauvages et ça me rappelle quelque chose dans le rock français, pas vous ?). Ici, c’est le show de Los Gatos à Rosario, la ville natale de Litto Nebbia...

(1) Intérieur : dans les provinces argentines. A l’automne septentrional, Litto Nebbia viendra en Europe. Plusieurs concerts sont déjà fixés en Espagne, où il a ses habitudes (il y fait une tournée tous les ans, généralement en juillet), et à Londres, où il jouera pour la première fois, il a été invité un groupe de jeunes rockers avec qui il a déjà joué en septembre à Buenos Aires dans un festival consacré aux jeunes artistes. Sa tournée va s’enrichir d’autres destinations et dès qu’elle sera figée (pour autant qu’elle pourra l’être), je vous préviendrai...
(2) Hiperkinético : version savante et argentine de "qui a la bougeotte".
(3) Rosarino : natif de la ville de Rosario, au nord-ouest de Buenos Aires, sur l’embouchure du Paraná. En Argentine, les substantifs d’origine ou de nationalité ne prennent pas de majuscule.
(4) Les trois disques dont il est question ici sont le disque d’improvisation au piano dont on parle plus loin dans l’un des passages traduits et qui a été enregistré au studio Bella Madrid, en Espagne, Soñando barcos, un disque de chansons à paraître prochainement et De mi madre tierra (de ma mère, la terre), un disque où Litto Nebbia rend hommage à Atahualpa Yupanqui, dont les Argentins fêtaient en 2008 le centenaire de la naissance. Ces trois disques sont des disques Melopea, comme pratiquement tout ce que sort Litto Nebbia depuis qu’il a fondé son propre studio en novembre 1988 (voir
l’article que j’avais consacré à ces 20 ans). Les bandes-son sont celles de Eva, luz del espiritu (de Héctor Chavetta et Ana Carina Korzeniewiez) et Artículo 13, un film réalisé par Pablo Helman qui est aussi le directeur des effets spéciaux préféré de Steven Spielberg (et de George Lucas) et un ami personnel de Litto. La comédie musicale est une version pour enfants de Alice au pays des merveilles (Alicia en el país de las maravillas, en argentin dans le texte).
(5) Litto Nebbia a en effet commencé sa carrière professionnelle de chanteur et d’auteur-compositeur à l’âge de 15 ans, en créant les premiers rocks à texte d’expression hispanique. Le premier 45 tours de son groupe d’alors, Los Gatos Salvajes, est sortit en 1965. Mais en fait, il est monté sur les planches tout enfant puisqu’il donnait déjà ses premiers concerts à 8 ans avec un jazz band composé d’amis de son père, lui-même chanteur sous le nom de Felix Ocampo (sa mère était pianiste et poète et se produisait sous le nom de Marta Denis).
(6) "Joder" : un verbe appartenant à un registre délibérément vulgaire en Espagne (l’équivalent de "foutre" dans à peu près tous les sens du verbe français). Or en Argentine, c’est totalement anodin, c’est "se payer la tête de quelqu’un", "s’amuser", "rigoler" en toute convivialité, "plaisanter"...
(7) Litto Nebbia est le fondateur et le propriétaire de la maison de disques Melopea, un label indépendant, qui depuis 1988 a édité plus de 600 albums dans tous les genres de la musique populaire. Cependant, l’argent et Litto Nebbia, ça fait deux, comme dirait l'autre. Ce n’est pas pour faire fortune en vendant des tubes mais pour que les maisons de disques ayant pignon sur rue lui fichent la paix, qu’il a monté sa propre maison. Melopea est une petite entreprise, dotée de moyens techniques très performants mais où tout reste tout de même fait à l’ancienne, en artisan, avec une poignée de permanents installés dans un petit pavillon particulier anonyme du quartier de Villa Urquiza. Il n’y a pas d’enseigne, même pas une plaque, pas la moindre affiche ou publicité pour un seul des disques édités à l’intérieur. Et quand vous vous pointez, Litto Nebbia vous installe avec lui dans une petite kichnette où les gens qui travaillent là, les artistes et les salariés, se font le café ou mettent une casserole d’eau à chauffer pour une tournée de maté, et vous discutez le coup là, sur la toile cirée de la table, le plus tranquillement du monde...
(8) La crise du disque concurrencé par Internet, Litto Nebbia n’y croit pas du tout. Il pense que c’est la conséquence logique de l’exploitation des artistes et de la vache à lait de public par l’industrie du disque. Il faut dire qu’en tant que producteur, il mène à l’égard des artistes qu’il produit et du public auquel il s’adresse une politique diamétralement opposées à celles des majors. Il rétribue convenablement les artistes, respecte leur projet et leur stratégie, ne leur impose rien et fixe des prix de vente raisonnables aux albums, CD, DVD qui sortent de chez lui. Il a dans le milieu artistique une réputation de prince qu’on a de la peine à imaginer sous nos latitudes. Avec ça, chaque disque, chaque DVD est l’oeuvre d’un artiste qui a vraiment quelque chose à dire. Ce n’est jamais le produit de projections de tendances marketing et de sondages d’institut...
(9) Ceux de 1969 et 1970.
(10) Au sujet de Los Gatos et Los Gatos Salvajes, voir plus haut ma présentation du 4ème clip (concert de 2007 à Rosario).
(11) Le Gran Rex est un très grand complexe cinématographique de Buenos Aires qui dispose d’une scène de concert. Le Gran Rex se trouve sur la Avenida Corrientes dans la cuadra 800-900 à quelques centaines de mètre de l’Obélisque. (Voir Trousse lexicale d’urgence, dans la partie centrale de la Colonne de droite).
(12) Titres de deux albums de Litto Nebbia qui ont cartonné et qui continuent de cartonner dans toute l’Amérique Latine.
(13) Mi vieja, mi viejo : termes de lunfardo qui désigne les parents (père et mère). Avec tendresse et respect. Traduit littéralement en français par vieux ou vieille, cela sonnerait au contraire comme un manque de considération vis-à-vis d’eux. A Buenos Aires, en revanche, ses deux mots s’emploient couramment. En l’occurrence, ici, Litto Nebbia veut parler d’inédits ou d’incunables (alors que le public en Argentine l’attend systématiquement sur des tubes très célèbres, le public réclame toujours spontanément ce qu’il connaît. Et vu l’abondance de la discographie, il est très loin de connaître à fond tout le répertoire du chanteur. C’est sur ce dernier point que Litto veut insister avec cette phrase. L’opposition entre les 5 ou 6 tubes que le public veut à toute force entendre et qu’il ne lui refuse jamais et ce qu’il peut lui imposer de nouveau et d’inattendu à chaque concert).