dimanche 26 avril 2009

A la recherche du tango perdu [Disques & Livres]

Jacquette de Barrio Pampa (extraite de la page Myspace des deux artistes)


C'était jeudi dernier au Café Tortoni : lors d'une soirée gratuite, le duo Marco Napoli et Francisco Casares présentaient leur nouveau disque, Barrio Pampa, dont le titre est un oxymore (quartier-pampa) qui évoque cette ville-campagne qu'était encore Buenos Aires à l'heure où naissait le tango, entre 1880 et 1920...

Marco Napoli (guitariste) et Francisco Casares (chanteur-guitariste) sont animés d'une recherche musicale assez peu commune, pour ne pas dire à rebours de nombreux contemporains : retrouver le son, le style et la manière de jouer de la guitare et de chanter qui furent et firent l'identité du tango des années 20, avant que Carlos Gardel ne modifie tout cela en profondeur en intégrant la technique du Bel Canto à ses interprétations. Pour parvenir à leurs fins de musiciens-archéologues, ils ont effectué un énorme travail de recherche documentaire : biographies, bibliographies, catalogues, vieux disques pour gramophones (Victrola ou Fonola, vous choisissez la marque que vous préférez entre ces deux emblèmes des Années Folles) jusqu'à des enregistrements sur cire difficilement audibles de nos jours mais peu de partitions ("parce qu'elles ne reflètent pas le son original. Ce sont des partitions pour piano, des réductions, des choses très alambiquées")... Leur idée était d'aller rechercher et de sauver de l'oubli tout un répertoire qui n'est pratiquement plus joué aujourd'hui (1) ou qui a été notablement modernisé, sur le plan du style ou de l'orchestration... Le but n'était cependant pas de faire des reconstitutions historiques, à l'identique, mais plutôt de retrouver l'esprit qui animait le tango de ce temps-là, de retrouver une veine esthétique, une sensibilité qui ont été comme enfouies, comme dans une zone deltaïque un bras de rivière disparaît sous terre pour réapparaître un jour mais ailleurs et plus loin... Ils ont donc accompli aussi un gros travail d'arrangement pour deux guitares et voix.

Le fruit de ce travail, que Cristian Vitale de Página/12, traite de "travail d'orfèvre" ("el trabajo fue de orfebre"), est résumé dans ce nouveau disque, Barrio Pampa, qu'ils présentaient donc dans ce cadre prestigieux qu'est le Gran Café Tortoni, Avenida de Mayo, 825, dans le quartier de Monserrat.

Un CD de 16 plages d'ores et déjà disponible dans le commerce (boutique en ligne de chez Zivals entre autres).

Quelques titres : Dios te salve m'hijo (Dieu te garde, mon petit), Canchero (supporter), Mi noche triste (qui date de 1916 et est considéré comme le tout premier tango-canción), El cabure, Más allá, Griseta, El porteñito, Que me habran hecho tus ojos (que m'ont donc fait tes yeux), un tango du payador José Betinotti, qui fut l'un des maîtres de Carlos Gardel, Margot, qui appartient au premier répertoire tanguero de Gardel, sur un poème de Celedonio Esteban Flores... qu'il avait lu dans son journal préféré, qui passait pour publier les meilleurs pronostics pour les courses de chevaux. Le disque comporte aussi des titres qui sortent de la période donnée : des tangos des années 30 de Enrique Santos Discépolo auquel les deux musiciens vouent une grande admiration (Sueño de Juventud et Confesión), des tangos de la Troupe Los Atenienses, un groupe montevidéen carnavalesque qui fut très populaire des deux côtés du Río de la Plata dans les années 20 et 30 (Pato et Pajarito cantor), un tango de Sebastián Piana et Homero Manzi baptisé Betinotti, en hommage à ce grand payador mort en 1915, et plusieurs Gardel-Le Pera (1932-1935), parce que, disent Marco Napoli et Francisco Casares, "on ne peut pas échapper à Gardel" (pero bueno ¿cómo esquivar a Gardel?).

Le mieux pour découvrir ce travail musical passionnant, c'est d'aller aux sources :

sur la page My Space de Napoli et Casares, vous pourrez entendre Dios te salve m'hijo, Betinotti et Confesión. Vous pourrez aussi, ce qui n'est pas fréquent sur cet outil de communication, entendre deux extraits d'interviews que ces deux jeunes gens (ils ont trente ans l'un et l'autre) ont donnés, l'une, de 6 minutes, à Héctor Larrea sur Radio Nacional (de Argentina, of course !) et l'autre, de 5 minutes, à feu Gogo Safigueroa sur la 2x4 (2). Sur le site Web (napolicasares.com.ar), vous trouverez les rubriques habituelles : Audio (avec 3 enregistrements : Leguisamo solo, Malevaje et Melodía de Arrabal) et Video (avec 2 clips : deux fois Leguisamo solo, une fois en studio, une autre fois en public à Clásica y Moderna).

Vous pouvez aussi lire leur interview par Cristian Vitale, La cruzada contre el olvido (la croisade contre l'oubli), dans l'édition du 23 avril de Página/12.

Le duo répétera sa présentation de Barrio Pampa à Clásica y Moderna, Avenida Callao 892, les 4 et 18 mai à 21h30 (25 $).

A la fin mai, ils seront par chez nous. Je consacre aujourd'hui même un autre article à cette tournée majoritairement française, dans la rubrique Ici.

Jusqu'à la fin de leur séjour de notre côté de l'Atlantique, leur photo sera présente dans la partie haute de la Colonne de droite. En cliquant sur la photo, vous accéderez à l'article sur leur tournée.

(1) Parfois parce que ces tangos, ces valses, ces milongas semblent trop datés pour le public actuel : Leguisamo sólo par exemple (qu'on peut entendre sur le site Web Napolicasares) est un tango à la gloire d'un jockey (Ireneo Leguisamo) dont aujourd'hui seuls les connaisseurs acharnés des courses de chevaux ou les spécialistes de la vie de Gardel connaissent encore le nom. En 1926, Leguisamo avait remporté la première victoire à l'actif d'un cheval de Gardel, Lunático. Et cette victoire fit du propriétaires du champion et de son jockey deux très grands amis à la vie à la mort.
(2)
Lire mon article sur Gogo Safigueroa, décédé brutalement à la fin de l'année dernière.