mercredi 29 avril 2009

Gardel en Pollera, Malena, Cantora Nacional, Descamisada : Nelly Omar [à l’affiche]

Couverture du supplément Culture et Spectacles de Página/12
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Gardel en pollera : la Gardel en jupons.

Malena : c’est la chanteuse par excellence. "Malena canta el tango como ninguna" (Malena chante le tango comme personne d'autre)... Un texte splendide d’Homero Manzi. Et une musique, à la hauteur, de Lucio Demare.

Cantora nacional : la chanteuse du peuple nationale.

Descamisada : la Sans-Chemise (par allusion à une chanson dédiée à Evita Perón et qui parle du peuple qui mettait tout son espoir dans le programme de Perón en 1945).

Nelly Omar, artiste de légende, chanteuse, compositrice et parolière (letrista), revient sur scène au Luna Park samedi, à six mois de son 98ème anniversaire. La voix claire et puissante, les idées lucides, la mémoire intacte.

Karina Micheletto, critique culturelle à Página/12, est allée l’interviewer chez elle quelques jours avant ce récital dont s’entretient tout Buenos Aires (il y a une campagne de publicité qui passe toutes les heures sur la 2x4). Pour un peu, le concert ferait oublier la campagne électorale (en savoir plus), l’épidémie de dengue dans le nord du pays (en savoir plus) et celle de grippe nord-américaine qui vient de conduire la Casa Rosada à suspendre pour 72 heures les liaisons aériennes avec le Mexique.

Dans cette interview, qu’il faut lire intégralement, Nelly Omar parle longuement de son métier, de son engagement politique (elle est péroniste depuis que Perón est entré dans la vie publique argentine en 1943, comme Secrétaire d’Etat au Travail, un poste ministériel créé pour lui), de ses amants et surtout de l'un d’entre eux, la liaison la plus scandaleuse mais la plus secrète, la plus romantique et la plus tragique aussi, celle sur laquelle elle est restée silencieuse jusqu’en 1992... Homero Manzi.

Verbatim...

-¿Cómo cuida la voz?
- La naturaleza mía es así. El maestro que me probó cuando era una chiquilina [...] me dijo que tenía voz para hacer música de cámara. Empecé a aprender francés para cantar esas canciones. Hasta que un día, cuando ya estaba medio harta con la música de cámara, dije no, tengo que ir con lo mío, con el tango [...] Seguí con los ejercicios. Así hasta el día de hoy, hago ejercicios respiratorios. Después, lo único que tengo que hacer es dormir ocho horas, y no tener ningún problema. Nada más.
- Pero de algún lado habrá aprendido a cantar tangos...
- Aprendí sola, de los discos de Gardel que había en casa. Mi papá era muy amigo de Gardel. Recuerdo cuando en 1918 vino Gardel a mi casa de Guaminí, donde vivíamos. [....] No nos permitía a los chicos tratar con los hombres grandes, ¡y menos con los artistas! Pero yo, a través de la persiana, lo espié. [Era] un hombre gordito, con el peinado al medio, con unas onditas, también estaba Razzano. Hasta que murió mi padre tuvo una amistad con Gardel, le llevaba los discos a casa. Yo los escuchaba y fui aprendiendo cosas que Gardel cantaba.
(Extrait de l’interview. Nelly Omar - Karina Micheletto)

- Comment prenez-vous soin de votre voix ?
- C’est ma nature. Le professeur qui m’a fait faire des essais quand j’étais tout petiote [...] m’a dit que j’avais une voix pour faire de la musique de chambre. J’ai commencé à apprendre le français pour chanter ces chansons-là. Jusqu’à un jour où j’en ai vraiment eu assez de la musique de chambre. J’ai dit non, il faut que je fasse mon chemin à moi avec le tango. [....] J’ai continué les exercices. Jusqu’à ce jour, je fais toujours des exercices respiratoires. Après, tout ce qu’il me faut, c’est dormir huit heures et n’avoir aucun problème. C’est tout.
- Mais d’une manière ou d’une autre, vous avez appris à chanter le tango...
- J’ai appris toute seule, à partir des disques de Gardel qu’il y avait à la maison. Mon père (1) était très ami avec Gardel. Je me souviens qu’en 1918 (2) Gardel est venu chez moi à Guamini, où nous vivions (3). [...] On ne nous permettait pas à nous, les petits, de parler avec les grandes personnes, et encore moins avec les artistes ! (4) Mais moi, je l’épiais de derrière les persiennes. [C’était] un petit gros, avec la raie bien au milieu, avec une légère ondulation dans les cheveux. Razzano était là aussi (5). Jusqu’à sa mort, mon père a eu cette amitié pour Gardel, il emportait ses disques à la maison. Moi je les écoutais et j’ai appris des choses que chantait Gardel...
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

- ¿Y de dónde salió lo de “Gardel con polleras”?
- Me lo pusieron en el cine Carlos Gardel de Valentín Alsina. El público me lo puso, gritaba “¡Gardel con polleras!” [...] Yo tenía miedo, gritaba que me bajaran. Era muy chica. Ya más grande, fui a cantar a Radio Belgrano y [...] Enrique De Rosas [...] me bautizó como “La voz diferente”. Y en el ’44 hice dos meses en el Novelty, una especie de cabaret. Ahí conocí a grandes autores, y ellos me pusieron “La voz dramática del tango”, tengo la medalla.[...] Antes era otra vida, nos codeábamos más, no había TV, íbamos a cantar a la radio y ahí nos encontrábamos. Así nos fuimos conociendo. Con Libertad Lamarque, o con D’Arienzo, nos íbamos al Luna Park a ver las peleas de boxeo. ¡Boxeo, dios mío! Pero en la época era lo usual.
(Extrait de l’interview. Nelly Omar - Karina Micheletto)

- Et d’où vient ce surnom de Gardel en jupons ?
- On me l’a donné au cinéma Carlos Gardel de Valentín Alsina (6). C’est le public qui me l’a donné. Il criait : "Gardel en jupons" ! [...] Moi, j’avais peur, je criais qu’on me fasse descendre. J’étais toute petite. Plus grande, je suis allée chanter à Radio Belgrano (7) et [...] Enrique de Rosas [...] m’a baptisée "La voix qui nous change des autres". Et en 1944, j’ai fait deux mois au Novelty, une espèce de cabaret (8). Là, j’ai connu de grands auteurs et eux m’ont appelée "La voix théâtrale du Tango". J’ai la médaille [...] Avant, on ne vivait pas comme maintenant. On se tenait davantage les coudes. Il n’y avait pas la télé. On allait chanter à la radio et là, on se rencontrait. C’est comme ça qu’on s’est connu. Avec Libertad Lamarque, ou avec D’Arienzo, on allait au Luna Park voir les combats de boxe. La boxe, Grand Dieu ! Mais bon, c’était comme ça à l’époque.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

En la carrera de Nelly Omar hay un quiebre abrupto, marcado por la Revolución Libertadora. Como muchos de los que adherían públicamente al peronismo, su caída marcó el ingreso de la cantante a las listas negras. No sonó más por radio ni TV. Pasó a estar prohibida. De la noche a la mañana perdió su única fuente de ingresos, que era su voz.

- El silencio que le impuso la Libertadora debe haber sido difícil de sobrellevar.
- Sí, pero yo no me arrepentí nunca de haberle grabado a Evita esas dos canciones por las que quedé marcada. Ni me arrepentiré.

Nelly Omar se refiere a “Ese pueblo” y sobre todo “La descamisada”, que grabó para la campaña del ’45, y quedó fijada en su voz: “Soy la mujer argentina, la que nunca se doblega, y la que siempre se juega, por Evita y por Perón”. Nelly puede repetir esas palabras ahora con la misma convicción.
(Extrait de l’article. Nelly Omar - Karina Micheletto)

Dans la carrière de Nelly Omar, il y a un grand trou. Provoqué par la Révolution Libertadora (libératrice) (9). Comme pour beaucoup de ceux qui avaient adhéré publiquement au péronisme, la chute de celui-ci marqua le placement de la chanteuse sur liste noire. On ne l’entendit plus à la radio ni à la télé. Elle passa au nombre des interdits. Du jour au lendemain, elle perdit son unique source de revenus : sa voix.

- Le silence que vous a imposé la Libertadora a dû être difficile à surmonter.
- Oui, mais je n’ai jamais eu de regret d’avoir enregistré pour Evita ces deux chansons que lesquelles j’ai été stigmatisée. Et je n’en aurai jamais.

Nelly Omar fait allusion à Ce peuple-là et surtout à La Sans-Chemise, qu’elle enregistra pour la campagne de l’année 1945. Et pour toujours c’est sa voix qui chante : "Je suis la femme argentine, celle qui jamais ne plie le genou, et celle qui risque tout ce qu’elle a pour Evita et pour Perón". Nelly peut reprendre ses paroles aujourd’hui avec la même conviction.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

- Su relato siempre es en singular. ¿Nunca tuvo un hombre que la apoyara en estos momentos difíciles?
- No, los hombres que tuve fueron amores, pero no me ayudaron. Tampoco quería que me ayudaran. Nunca los quise por la plata. Mi matrimonio fue un fracaso, duró un suspiro. [...] De Homero no tengo nada que hablar, con él no conviví, era un amor, y tampoco quise que me diera nada. Cuando tuve la última pareja tampoco me ayudó, me ayudó en la publicidad, en hacerme conocer, pero con dinero no.
[...] “Fue una cosa de parte de él, no mía”, aclara. “A mí me simpatizaba, era un hombre talentoso, valía la pena tener una charla con él. Pero yo no lo amaba, él me amaba a mí, estaba enamorado locamente. Tanto que lo conocí en el año ’37 y empezamos a estar juntos en el ’44. [...]
- ¿Cómo se conocieron?
- Yo hacía con Charlo un programa que se llamaba Los pájaros ausentes, y él escribía los libretos. [...] En el ’44 yo me separé y empecé a tolerarlo un poco más. Después en el ’48 se enfermó, gravemente. Tenía cáncer y me necesitó, y yo estuve con él hasta el final.
- Le ganó por cansancio.
- Se enfermó pronto y yo le tuve un poco de... no digo compasión, eso sería ofenderlo, porque era un hombre digno de muchas cosas. Pero cayó en una especie de obstinación, venía a mi casa para que yo lo cuidara, no quería que lo atendiera otra persona. En el hospital, los últimos días estaba cercado por su mujer y sus hijos. El llamaba por mí y al final terminé entrando a escondidas a las 4 de la mañana. Era una imagen que no me quería llevar, la de él tan mal, casi acabado. Son recuerdos muy tristes... Por eso digo que yo sufrí mucho. Hubo y hay mucho dolor detrás de esa voz que todos escuchan. No me quejo, es la vida que me ha tocado. Y es la que supe vivir.
(Extrait de l’interview. Nelly Omar - Karina Micheletto)

- Vous parlez toujours à la première personne du singulier. Vous n’avez jamais eu un homme qui vous ait soutenue pendant ces périodes difficiles ? (10)
- Non, les hommes que j’ai eus ont été mes amants mais ils ne m’ont pas aidée. Moi non plus je ne voulais pas qu’ils m’aident. Cela n'a jamais été pour l’argent que je les ai aimés. Mon mariage a été un échec, il a duré le temps d’un souffle. [...] Sur Homero (11), je n’ai rien à dire. Je n’ai pas vécu avec lui. C’était un amant et lui non plus, je n’ai pas voulu qu’il me donne quoi que ce soit. Quand j’ai eu mon dernier compagnon, lui non plus ne m’a pas aidée. Si, il m’a aidé pour la publicité, pour me faire connaître mais pas financièrement.
[...] [L’amour], c’était son affaire, à lui [Homero Manzi], pas la mienne, explique-t-elle. Moi je l’aimais bien. C’était un homme qui avait du talent. Une conversation avec lui, c’était quelque chose. Mais je ne l’aimais pas (12). Lui, il m’aimait. Il était amoureux fou. Tant et si bien que je l’ai rencontré en 1937 et que nous avons été ensemble seulement en 1944. [...]
- Comment vous êtes-vous connus ?
- Avec Charlo (13), je faisais une émission qui s’appelait Les oiseaux disparus et lui en écrivait les scripts. [...] En 1944, j’ai quitté mon mari et j’ai commencé à tolérer un peu plus sa présence. Après, en 1948, il est tombé malade, gravement. Il avait un cancer. Il avait besoin de moi. Et j’ai été avec lui jusqu’à la fin.
- Il vous a eue à l’usure ?

- Il est tombé malade très vite et j’ai eu pour lui un peu de... Je ne dirais pas compassion parce que ce serait lui faire offense. C’était un homme de grand mérite. Mais il est tombé dans une espèce d’obsession, il venait chez moi pour que je m’occupe de lui, il ne voulait pas que qui que ce soit d’autre s’occupe de lui. A l’hôpital, les derniers jours, il était serré de près par sa femme et ses enfants (14) . Il me faisait appeler (15) et sur la fin, j’arrivais en cachette à 4 h du matin. C’est une image que je ne veux pas emporter, celle de lui si malade, presque passé. Ce sont des souvenirs très tristes... C’est pour ça que je vous ai dit que j’ai beaucoup souffert. Il y a eu et il y a beaucoup de malheur sous cette voix que vous entendez tous (16) . Je ne me plains pas, c’est la vie que j’ai eue. Et c’est celle que j’ai appris à vivre.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pour aller plus loin : lire le dossier du supplément culture et spectacles de Página/12 qui se compose de cette interview et de deux autres articles, dont un entrefilet sur l’identification entre Malena et Nelly Omar (dont j’ai déjà parlé dans mon précédent article, annonçant le concert de samedi au Luna Park)

Procurez-vous le dernier disque de Nelly Omar, La Criolla, ed. Polygram (avec sa jacquette où elle porte ce poncho rouge et noir qui est son emblème, à si haute résonance politique) (17)

Reportez-vous aussi au livre de Horacio Salas, Homero Manzi y su tiempo, ed. Vergara 2001 (1ère édition), 2007 (2nde édition), au chapitre Nelly Omar : el largo adiós (pp 271-279).

(1) En Argentine, on dit très facilement Mi papá, mi mamá, tout aussi facilement qu’on dit mi viejo, mi vieja (la même chose mais en lunfardo) et dans des contextes très publics. Là où les Européens diront mon père, ma mère. Et om ils n’emploieront jamais les diminutifs, réservés au cercle familial le plus intime.
(2) Nelly Omar est née le 10 septembre 1911. Elle avait donc 7 ans. Et à cette époque, Gardel commençait tout juste à perdre un peu de cette obésité qu’on voit sur ses photos jusqu’au début des années 20. Nous avons du mal à nous représenter cela, mais Gardel, vers 1914, pesait 120 kilos. Nelly Omar est une des rares personnes qui peut se flatter d’avoir vu de ses yeux vu Gardel en chair et en os et obèse.
(3) Nelly Omar est née à Guamini, bourgade du centre de la Province de Buenos Aires. Nelly Omar pense que Homero Manzi a écrit El último organito en souvenir des petits orgues de barbarie qui sillonnaient ces petits bourgs provinciaux et qu’elle gardait en mémoire. Ce n’est pas complètement invraisemblable mais de toute évidence, tout le texte indique que l’idée qui a guidé Homero Manzi, c’était en fait de signer un tango avec son fils avant de mourir et cette façon qu’a Nelly Omar de s’en prendre à la famille de Homero Manzi laisse penser qu’il y a des choses qu’elle ne dit pas. En 1948, Homero Manzi avant 41 ans. Son fils, Acho, en avait 16. La Faculté venait d’annoncer au poète qu’il était atteint d’un cancer (à l’époque, cette maladie ne laissait aucun espoir. La chirurgie ne pouvait que retarder l’issue fatale, inéluctable). Très tôt après ce diagnostic, Homero Manzi s’empara du thème de l’orgue de barbarie que 20 avant, un grand ami à lui, un ami d’adolescence, Cátulo Castillo, avait composé à 18 ans sur un texte de son père, José González Castillo, poète anarchiste et grand formateur populaire que Manzi admirait profondément : Organito de la tarde. Il écrivit un poème qui parle de la mort, sur le dernier orgue de barbarie qui disparaît du quartier, le laissant voix pour s’exprimer, et il en confia la musique à son propre fils, Acho. Les vers de Manzi disent ce désir de père plus que n’importe quel discours et c’est ce que le Maestro Acho Manzi m’a confirmé, de lui-même, un jour d’août 2007 où le peintre Chilo Tulissi lui présentait un travail de traduction que j’avais signé.
La version que conte Nelly Omar apparaît dans un chapitre de la biographie de Homero Manzi, par Horacio Salas, sortie en 2008.
(4) Les artistes avaient alors la réputation de corrompre la jeunesse et l’enfance. Leur vie nocturne était assimilée à une vie de débauche ou de truanderie. Cela n’était pas toujours faux (Gardel a fréquenté de ses zébres !) mais ce n’était pas nécessairement assez violent pour justifier qu’on envoie les enfants jouer dans leur chambre dès qu’un artiste entrait dans une pièce.
(5) José Razzano (1887-1960) : il fut de 1911 à 1925 le partenaire de duo de Gardel et resta son ami jusqu’en 1933, date d’une fâcherie que la mort brutale de Gardel, le 24 juin 1935, laissa sans réconciliation.
(6) Valentín Alsina, localité limitrophe de Buenos Aires, au sud, de l’autre côté du Riachuelo, lorsque vous passez le pont Alsina (dont la photo côté Buenos Aires sera de symbole à ce blog, en haut, sous le titre général). Une ville ouvrière, populaire, comme tout le sud de Buenos Aires. C’est le nom d’un gouverneur de la Province de Buenos Aires, dans les années 1860.
(7) Une des très grandes stations de radio qui arrosaient la ville de Buenos Aires, dès les années 30 et qui mena tambour battant les campagnes électorales péronistes des années 40 et 50.
(8) Le Novelty était une "boite", selon le terme de l’époque. Un cabaret bon marché, bas de gamme. C’est là néanmoins qu’Astor Piazzolla fit ses débuts de musicien d’orchestre en 1938, lorsqu’il arriva à 17 ans à Buenos Aires. De là, il se fit embaucher, à l’arrachée, par Pichuco, un an et demi plus tard. Il en parlait comme d’un établissement plutôt minable où les artistes étaient exploités et où la drogue coulait à flot pour supporter cette vie détestable. Lire à ce sujet : Astor, par Diana Piazzolla (sa fille), Ed. Atlantica pour la version traduite en français, Ed Corregidor pour la version originale.
(9) Revolución Libertadora (1955-1958) : un gouvernement de fait, imposé par les Etats-Unis et téléguidé depuis Washington, après le renversement de Perón, alors dans son deuxième mandat comme président constitutionnel. Beaucoup d’Argentins s’en souviennent aujourd’hui comme d’une période de dictature, en tout cas d’absence de toute démocratie. Les péronistes furent écartés de toutes les positions un tant soit peu publiques et une censure frappa les artistes engagées comme Nelly Omar ou cet autre chanteur et compositeur (et artiste de cinéma) que fut Hugo del Carril. Les tangos et les films de Discépolo, mort en décembre 1951, furent mis à l’index, le théâtre qui portait son nom fut rebaptisé Teatro Presidente Alvear (parce qu’Alvear avait été beaucoup plus souple vis-à-vis des Etats-Unis que les Présidents Yrigoyen et Perón). Il ne semble pas en revanche que les tangos d’Homero Manzi, pourtant lui aussi très engagé mais sous son véritable nom, Homero Mancione, et mort la même année que Discépolo à quelques mois près, ait subi le même triste sort.
(10) Pure technique journalistique que cette question écrite. La chroniqueuse connaît si bien la réponse qu’elle n’a probablement jamais posé la question et sûrement pas sous cette forme.
(11) Manzi, bien sûr.
(12) Nelly Omar n’est pas très claire dans ce qu’elle dit au sujet de cette histoire. Ici, elle tient tout du long qu’Homero Manzi était fou amoureux d’elle au point de faire des folies pour ses beaux yeux alors qu’elle faisait pour tout l’éviter et le renvoyer à son foyer légitime. Dans les passages que j’ai enlevés à cause de leur longueur et pour respecter aussi un tant soit peu les droits du quotidien, elle multiplie les anecdotes piquantes. Ailleurs, elle a pu dire, et avec des mots très sentis, qu’elle tenait rigueur à Homero Manzi de lui avoir promis de divorcer pour elle et de n’en avoir jamais rien fait ("me mintió", il m’a menti. On parle rarement ainsi quand on n'a pas souhaité de toutes ses forces la réalisation de la promesse concernée). Le Manzi qu’elle décrit là, qui perd la tête et le bon sens pour elle, est difficile à concilier avec l’autre Manzi que raconte tous les autres témoins, celui d’un homme de passion, certes doté de quelques coups de folie carabinés, mais éminemment responsable de ses actes, très courageux et très digne et assumant consciencieusement ses devoirs familiaux et citoyens. Le point sur lequel les déclarations de Nelly Omar, d’ailleurs rares sur cette histoire, ne varient ni en contenu ni en tonalité, c’est qu’elle a mis longtemps à répondre aux avances du poète et que celui-ci a été très persévérant. Ces souvenirs sont donc prendre pour ce qu’ils sont : ceux d’une grande artiste à la sensibilité exacerbée et d’une passionnée en toute chose.
(13) Charlo : le compositeur et chanteur, avec qui Homero Manzi signa la milonga Oro y Plata.
(14) Acho Manzi, son fils né le 6 mars 1933, et les deux demi-soeurs aînées de celui-ci, les filles que Doña Casilda Iñiguez avait déjà quand ils s’étaient mariés le 31 décembre 1930, auxquelles Manzi avait donné son nom et qu’il avait élevées comme ses propres filles.
(15) avec la complicité du Directeur de la clinique où il était soigné.
(16) On peut aussi traduire : "que tout le monde entend".
(17) Le poncho, depuis la guerre d’indépendance, c’est le vêtement du petit peuple. C’est originellement un vêtement rural, celui des gauchos et des journaliers agricoles qui se louaient de part et d’autres du pays en fonction des saisons et des récoltes.