Il y a plusieurs semaines déjà, je vous racontais les audiences, mouvementées et inimaginables dans nos prétoires européens, du procès de Victor Enrique Rei, un ancien commandant de gendarmerie argentin, qui avait "adopté", sans doute au début 1978, l’enfant nouveau-né de Pedro Sandoval et Liliana Fontana, un couple d’opposants à la Dictature, arrêtés arbitrairement à la mi-1977 et qui ont disparu sans que l’on sache vraiment quand ni comment. (Lire l’article ici).
La victime de ce rapt, Alejandro Sandoval Fontana, était alors déchiré entre son amour pour ce père adoptif qu’il continuait envers et contre tout de considérer comme le sien et son affection, beaucoup plus récente mais ô combien forte, pour sa grand-mère maternelle, Clelia D’Harbe de Fontana, dite Chela, militante de l’Association des Grands-mères de la Place de Mai (Abuelas de Plaza de Mayo). Au cours du procès, comme c’est souvent le cas dans ces affaires politico-crapuleuses, le père adoptif s’est montré particulièrement odieux envers la famille réelle du jeune homme et manipulatoire envers son fils adoptif.
Le gendarme a donc finalement été reconnu coupable, hier, de rétention et de dissimulation d’un mineur de moins de dix ans, de suppression d’état-civil et de falsification de 3 documents attestant de l’identité de son supposé fils : déclaration de naissance (il avait fait modifier dates et lieux pour mieux brouiller les pistes), carte d’identité (DNI, documento nacional de identidad) et inscription au registre de l’Etat Civil (Registro Civil). Il a été condamné à 16 ans de prison, ce qui est la peine la plus lourde jamais prononcée à ce jour dans un cas similaire de rapt d’enfant. On est néanmoins très loin de la peine maximale encourue qui est de 25 ans.
Le Tribunal, composé de trois juges professionnels, a aussi émis une recommandation au Barreau (Colegio Público de Abodagos) pour qu’une enquête disciplinaire soit entamée à l’encontre de l’avocat du condamné, Alejandro Macedo Rumi, au sujet des manquements de ce juriste aux règles de la déontologie de son office (normas de ética). L’avocat a en effet recouru à l’outrage à magistrat (parlant de la calamité de la justice argentine) et accusé les parties civiles de faux témoignages (en reversant l’accusation : c’était la famille de sang et les Grands-Mères qui s’appropriaient l’enfant de Rei). Il avait même prétendu représenter et défendre les intérêts de celui qui, dans ce procès, était la victime principale, Alejandro Sandoval Fontana lui-même ! Mal lui en a pris, d’ailleurs, puisque la peine dont écope Rei est supérieure de 6 ans à celle dont avait écopé le dernier apropiador (voleur d’enfant) qu’il avait défendu avant celui-ci.
Dans mon précédent article, je vous avais raconté comment Macedo Rumi n’avait pas hésité, en pleine audience, à insulter les Grands-Mères, partie prenante au procès en qualité de parties civiles (comme nous disons dans les pays européens de droit latin), dont des représentants assistaient au procès aux côtés de la famille de sang (familia biologíca) du jeune homme, principaux plaignants dans la procédure.
Après l’énoncé du verdict, sur les marches du Palais de justice, Alejandro Sandoval Fontana s’est déclaré satisfait par la décision de justice et se tournant vers sa grand-mère et sa tante maternelles, il leur a déclaré son affection : "Aujourd’hui une porte se ferme et d’autre s’ouvrent. C’est bien vous que j’ai choisies. Je vous aime".
La famille ainsi reconstruite a alors été longuement et chaleureusement applaudie par une centaine de parents, de militants de l’association H.I.J.O.S. (1) ainsi que de compagnons de lutte des deux parents disparus, Liliana et Pedro, le père à qui son fils ressemble d’une manière si troublante (voir les photos sur mon article de mars 2009 et sur le blog du procès).
Pour aller plus loin : Se cierre una puerta, article de Página/12 (édition de ce jour) et Juicio a Victor Rei, le blog du procès raconté du côté Abuelas sur le site de l’Association (dont vous trouverez le lien dans la rubrique Cambalache casi ordenado, dans la Colonne de droite, dans la partie inférieure).
(1) H.I.J.O.S est une association qui rassemble des enfants qui recherchent leurs parents disparus pendant la dictature de 1976-1983. Abuelas rassemble les grands-mères qui recherchent les enfants volés de leurs enfants disparus et placés, en raison de leur bas âge, en adoption, sous une fausse identité, dans des familles le plus souvent idéologiquement proches du régime. Les deux associations des Mères de la Place de Mai (Madres et Madres Linea Fundadora) cherchent, elles, à connaître le sort qu’ont connu leurs enfants, après leur arrestation arbitraire. Il arrive bien sûr que ces recherches se croisent et correspondent au sort des mêmes personnes.