Cette année, Semaine Sainte et semaine de Pessah tombent en même temps : Pâques est le 12 avril et le 1er Seder pascal se célébrait avant-hier, 8 avril (1).
Yok est une association juive libérale argentine qui a pour slogan "Judaismo a tu manera" (le judaïsme à ta façon). Yok poursuit un objectif d'intégration sociale et culturelle des juifs argentins dans le melting-pot national et singulièrement le melting-pot portègno-bonaerense (sur le sens de ces adjectifs, consulter la Trousse lexicale d'urgence de la Colonne de droite). Yok vise une contribution des membres de la communauté à ce vivre-ensemble depuis l'identité et la culture juives, que l'association se garde bien de définir de quelque manière que ce soit. Yok entend ainsi rassembler tous ceux qui se réclament de l'identité juive à Buenos Aires, pour quelque raison que ce soit, les pratiquants et les non pratiquants, les orthodoxes ou les libéraux, les croyants ou les non croyants, et s'adresser à tout le monde, les juifs et les non-juifs, dans le cadre d'une société plurielle (ce qui est le rêve utopique qui fonde en profondeur la ville même de Buenos Aires et toute la région et tous ses habitants depuis la Grande Immigration des années 1880-1930).
En ce sens, Yok (vers le site duquel le lien vous renvoie) propose une démarche déconnectée de tout ce qui est Grand Rabbinat et autres autorités strictement cultuelles et une démarche très différente aussi de celle de l'AMIA, la grande mutuelle juive de Buenos Aires, qui tient, quant à elle, à une judaïté fondée sur la Cachroute (2) et à une identité non pas cultuelle à proprement parler mais nettement confessionnelle. L'AMIA, par exemple, a refusé de soutenir le Festival de cinéma juif de Buenos Aires parce que dans l'édition 2008, des projections étaient organisées un samedi pour la première fois dans l'histoire de ce festival (voir mon article sous le lien).
Le week-end dernier donc, comme tous les ans, Yok organisait sa manifestation Pesaj urbano (Pessah urbaine). Cela se passait à la esquina Armenia y Costa Rica, dans le quartier de Palermo, de midi à 7 heures du soir, le samedi et le dimanche 4 et 5 avril. Et comme vous pouvez le voir en cliquant sur l'image pour obtenir une meilleure résolution, la manifestation est tout ce qu'il y a de plus officiel : sous la photo de Palermo au coucher du soleil, on distingue le blason de la Ville de Buenos Aires (ce qui veut dire que la manifestation a l'appui du Gouvernement de la Ville) et le logo du Ministère du Tourisme argentin (les ondes emmêlées).
Ci-joint le programme bien rempli de ces deux jours ouverts à tous et reflétant si bien l'esprit de convivialité portègne, avec sa kermesse, son buffet de spécialités, ses conférences, ses contes et ses concerts...
Je vous résume en français les 4 jeux proposés par la kermesse (le carré brun, en bas à droite), parce qu'ils valent leur pesant de matzot trempées dans le harosset (3) :
Sauve Moïse : un jeu d'adresse qui consistait à attraper à la pêche à la ligne le plus grand nombre de corbeilles à nourrisson flottant sur un Nil de pacotille dans le délai d'une minute. Un petit moïse sauvé valait entre 1 et 4 points, selon la valeur attribuée à chaque corbeille. Donc en plus pour bien gagner, il fallait choisir quelles corbeilles il fallait tirer de l'eau (ça devait être joli !)
Le Veau d'or : un jeu d'adresse qui consistait à viser le veau d'or avec une balle (4) et à le faire tomber (c'est tout de même mieux que de le vénérer) ou à faire tomber juste la tête. Faire tomber la tête rapportait 5 points, faire tomber le veau d'or ne rapportait que 3 points (plus fastoche !)
La tombola de la Keará (plateau-repas rituel) : il fallait choisir au hasard une carte représentant tel ou tel élément du plateau. Si la carte représentait l'un des éléments qui étaient tirés au sort à la fin de la journée, la carte en question valait 10 points.
Les plaies d'Egypte : un jeu d'adresse et de persévérance, où le joueur devait extirper 5 grenouilles ou 5 criquets hors de bocaux où les bêbêtes étaient enfermées, les bocaux étant eux-mêmes affectés de différentes valeurs. (5)
On pouvait gagner un livre (60 points), un T-shirt (50 points), un jeu de cartes ou une tasse (tous les deux à 20 points) et un sac (10 points).
L'idée est épatante et elle rejoint le jeu de l'oie que Ignacio Varchausky a intégré dans l'avant-dernier album, Nuevos, que l'orchestre El Arranque a sorti en juillet dernier (pour apprécier la parenté, lire l'article sous ce lien).
(1) Dans la Diaspora, par mesure de sécurité, toutes les fêtes juives sont doublées et les pratiquants ont donc fait un deuxième repas de Pessah hier soir (hors Israël). La mesure vise à pallier toute erreur de calcul dans l'établissement du calendrier sous un ciel qui n'est pas celui de la Terre Promise (avec la lune et les étoiles goys, on ne sait jamais !). Il n'y a qu'une seule fête qui ne soit pas doublée et bien évidemment, c'est Yom Kippour parce que personne ne peut respecter un jeûne complet de 25 heures consécutives deux fois de suite. En revanche, en Israël, depuis 1948, les fêtes ne sont célébrées qu'une seule fois, puisque l'exactitude de la position géographique est censée garantir la justesse des calculs calendaires.
(2) cachroute : ensemble des règles à appliquer pour vivre selon la Torah (tout ce qui est cachère, l'alimentation et tout le reste).
(3) la Matza (au pluriel, les matzot) : galette de pain azyme qui est obligatoirement au menu du premier soir de Pessah. Rituellement, il y a trois galettes de pain azyme sur le plateau du Seder (d'où le pluriel).
Harosset : condiment dont la recette varie selon les pays (type chutney). Le goût est plutôt sucré (ou aigre-doux) et la texture pâteuse symbolise le mortier qu'utilisaient les Hébreux quand, esclaves, ils étaient contraints de fabriquer des briques pour bâtir les villes de Pharaon.
Matza et harosset font partie du plateau rituel du repas de la Pâque juive (Seder) sous toutes les latitudes (même chez les juifs installés depuis des siècles en Chine et en Inde).
(4) l'affiche parle de "Matze ball" (boulette de matze). Prendre de la farine de matza (matzot pilées et réduites en chapelure), mélanger avec un oeuf (ou plus en fonction de la quantité de farine) et du sel, puis former des boulettes qu'on fera cuire dans un bouillon, le plus souvent un bouillon de poule et qu'on servira à table avec et dans le bouillon, éventuellement avec la viande et les légumes si on veut en faire un plat unique (type poule au pot ou pot-au-feu). C'est un plat traditionnel azhkenaze, pour la semaine de Pessah certes mais aussi pour n'importe quel chabat même en dehors de cette semaine-là...
(2) cachroute : ensemble des règles à appliquer pour vivre selon la Torah (tout ce qui est cachère, l'alimentation et tout le reste).
(3) la Matza (au pluriel, les matzot) : galette de pain azyme qui est obligatoirement au menu du premier soir de Pessah. Rituellement, il y a trois galettes de pain azyme sur le plateau du Seder (d'où le pluriel).
Harosset : condiment dont la recette varie selon les pays (type chutney). Le goût est plutôt sucré (ou aigre-doux) et la texture pâteuse symbolise le mortier qu'utilisaient les Hébreux quand, esclaves, ils étaient contraints de fabriquer des briques pour bâtir les villes de Pharaon.
Matza et harosset font partie du plateau rituel du repas de la Pâque juive (Seder) sous toutes les latitudes (même chez les juifs installés depuis des siècles en Chine et en Inde).
(4) l'affiche parle de "Matze ball" (boulette de matze). Prendre de la farine de matza (matzot pilées et réduites en chapelure), mélanger avec un oeuf (ou plus en fonction de la quantité de farine) et du sel, puis former des boulettes qu'on fera cuire dans un bouillon, le plus souvent un bouillon de poule et qu'on servira à table avec et dans le bouillon, éventuellement avec la viande et les légumes si on veut en faire un plat unique (type poule au pot ou pot-au-feu). C'est un plat traditionnel azhkenaze, pour la semaine de Pessah certes mais aussi pour n'importe quel chabat même en dehors de cette semaine-là...
La majeure partie de l'immigration juive à Buenos Aires garde ces traditions culinaires yiddish parce qu'elle provient de Pologne, de Russie, d'Ukraine et des pays baltes, d'où ces immigrants fuyaient les pogroms qui déferlaient tous les vendredis soir sur les communautés juives, à partir du début des mouvements nationalistes européens vers les années 1860-1870 jusqu'au verrouillage de la dictature staliniennne à la fin des années 1920 (et même un peu au-delà).
Cette forte immigration yiddish fait qu'en lunfardo, ruso ne veut pas dire russe mais... juif ("Woody Allen, quiero verte por Corrientes, ruso piola y atorrante de Manhattan", réclame Horacio Ferrer au cinéaste new-yorkais dans un tango, Woody Allen, composé par Raúl Garello, qui est lui-même un "ruso" d'origine... italienne ! Allez vous y retrouver dans tout ça! Woody Allen se trouve dans le disque Homenaje a Woody Allen, Garello-Ferrer, chanté par Gustavo Nocetti, ed. Melopea, 1992, illustré par Lulú Michelli, la femme d'Horacio Ferrer, et le fileteador Jorge Muscia, dont j'ai parlé avant-hier au sujet d'une pratique dont il était l'invité et dont vous avez le site dans la Colonne de droite, et Melopea itou).
Il faut noter qu'à Buenos Aires, contrairement à ce qui se passe en Europe, utiliser l'origine d'une personne pour la qualifier, l'interpeler ou la surnommer ("ruso", le juif, "francesito", le petit Français, "tano", l'Italien, "ponja", le Japonais, "inglés", l'Anglais - qui est le plus souvent alors irlandais, "gallego" ou "vasco" ou "gaita", l'Espagnol...) n'est pas une façon de la stigmatiser comme étrangère mais de l'intégrer pleinement au contraire dans la communauté nationale puisque presque tout le monde en Argentine a des origines étrangères, plus ou moins lointaine.
(5) La fête de Pessah (selon la transcription française, Pesaj selon la transcription en espagnol) célèbre la libération du peuple hébreu de l'esclavage en Egypte. Et le premier jour, toute la famille ou tout le voisinage ou toute la communauté de vie se réunit autour d'un repas au cours duquel on raconte cette grande épopée rapportée par les livres de l'Exode et des Nombres de la Bible juive (Ancien testament dans le vocabulaire chrétien). Ce récit rituel, communautaire, liturgique, tantôt récité, tantôt chanté, s'appelle la Haggadah ou Haggada (les deux transcriptions existent en français). Et tous les jeux étaient en rapport avec le contenu de la Haggadah. Et j'adore cet humour. Bien judio y bien porteño (pour parodier le titre d'une milonga de Homero Expósito et Armando Pontier, Bien criolla y bien porteña, vraiment argentine et vraiment portègne).
Il faut noter qu'à Buenos Aires, contrairement à ce qui se passe en Europe, utiliser l'origine d'une personne pour la qualifier, l'interpeler ou la surnommer ("ruso", le juif, "francesito", le petit Français, "tano", l'Italien, "ponja", le Japonais, "inglés", l'Anglais - qui est le plus souvent alors irlandais, "gallego" ou "vasco" ou "gaita", l'Espagnol...) n'est pas une façon de la stigmatiser comme étrangère mais de l'intégrer pleinement au contraire dans la communauté nationale puisque presque tout le monde en Argentine a des origines étrangères, plus ou moins lointaine.
(5) La fête de Pessah (selon la transcription française, Pesaj selon la transcription en espagnol) célèbre la libération du peuple hébreu de l'esclavage en Egypte. Et le premier jour, toute la famille ou tout le voisinage ou toute la communauté de vie se réunit autour d'un repas au cours duquel on raconte cette grande épopée rapportée par les livres de l'Exode et des Nombres de la Bible juive (Ancien testament dans le vocabulaire chrétien). Ce récit rituel, communautaire, liturgique, tantôt récité, tantôt chanté, s'appelle la Haggadah ou Haggada (les deux transcriptions existent en français). Et tous les jeux étaient en rapport avec le contenu de la Haggadah. Et j'adore cet humour. Bien judio y bien porteño (pour parodier le titre d'une milonga de Homero Expósito et Armando Pontier, Bien criolla y bien porteña, vraiment argentine et vraiment portègne).