vendredi 10 décembre 2010

Macri ressort de vieux discours de la Generación del Ochenta [Actu]

Mauricio Macri, dont les lecteurs assidus de Barrio de Tango savent qu'il n'est pas le maire de Buenos Aires (il n'y a plus de maire à Buenos Aires depuis de nombreuses années) mais le Chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, et qu'il est un ultra-libéral doublé d'un chef d'entreprise, vient de ressortir la vieille xénophobie de la vieille tradition du libéralisme argentin, cette xénophobie que la Generación del 80 (le régime de l'Argentine des années 1880 à 1916) : tous les incidents, très graves et très violents, qui passent depuis trois jours autour du Parque Indoamericano de Villa Soldati, c'est la faute aux immigrés illégaux dont le Gouvernement encourage la venue à Buenos Aires.

Discours connu, trop connu aussi par chez nous où chacun de nos pays dispose de son petit parti populiste qui adore les étrangers mais pas "ceux qui ne sont pas de chez nous"...

Discours qui était déjà tenu en 1898 par le patronat argentin qui voulait une loi pour expulser du territoire tous les fauteurs de trouble étrangers. Et il a fini par l'avoir, assez vite, en 1902, ce fut la Loi Cané, du nom de son rapporteur, le Sénateur Miguel Cané, appelée aussi Loi de Résidence ou Loi Patronale. Le quotidien Página/12 n'a pas hésité à faire le rapprochement dans son édition de ce matin. A cette époque-là, les fauteurs de trouble (comprenez les grévistes et les anarchistes) appartenaient tous à la même catégorie sociale, le prolétariat ouvrier presque exclusivement constitué d'immigrants. Et si par hasard un fauteur de trouble (gréviste ou autre) était argentin, le loi Cané le condamnait au bagne et il était déporté à Ushuaia, dans le cercle polaire.

Inutile de vous dire que cette conférence de presse de Mauricio Macri n'est pas passée inaperçue et que toute la presse a commenté les propos de l'homme politique qui doit comparaître devant un juge d'instruction aujourd'hui même pour les agissements d'une milice placée sous sa responsabilité politique qui s'en est pris physiquement, à coups de gourdin et de savate, pendant 18 mois aux sans-abris de Buenos Aires.

Et ce d'autant plus que des affrontements d'une violence inouïe ont opposé hier les habitants réguliers (ceux qui ont un toit sur la tête) de Villa Soldati à ceux qui campent dans le Parque Indoamericano, un espace vert public qui ne devrait donc pas s'être transformé en bidonville (si tant est qu'il y ait des lieux qui puissent se transformer de la sorte). Ce que Página/12 a résumé dans un titre terrible (en pages intérieures) : "des pauvres contre d'autres plus pauvres encore". Ces affrontements ont fait hier un blessé, heureusement peu grave (il a reçu une balle dans la cuisse) et peut-être un mort (mais la police n'est pas sûre que l'homme dont des inconnus ont abandonné le corps sans vie à la porte d'un hôpital ait bien été tué dans les incidents du voisinage et non pas lors d'un règlement de comptes crapuleux).

Pour rendre compte des incidents, Mauricio Macri a mis en cause expressément la présence d'immigrés boliviens, visiblement majoritaires dans le campement de Villa Soldati, au point que l'Ambassade de Bolivie a exigé des excuses publiques.

Constatons aussi qu'il y a un peu plus d'un mois, après la mort d'un tout jeune militant politico-syndical argentin (voir mon article du 22 octobre 2010), tous les journaux le lendemain étaient plein des photos de la manifestation qui s'était rassemblée en plein centre de Buenos Aires pour dénoncer la répression. Avant-hier, ce sont un jeune Paraguayen et une jeune Bolivienne qui ont trouvé la mort. Il n'y a pas de photo de manifestation de solidarité de la part des Portègnes et pourtant une manifestation était bien appelée au même endroit que la dernière fois et hier, c'était un jour férié. Ce qu'il y avait à la une des quotidiens ce matin, c'était des photos de combats de rue entre des immigrants étrangers et indigents et des Argentins pauvres, et des citations de propos racistes, xénophobes et d'une ignoble vulgarité des deux côtés et en particulier de la part de ces Argentins pauvres dont le raisonnement frustre est très proche de celui qu'avait dénoncé Fernand Raynaud dans son sketch, Le Douanier, dans les années 1970, en France (1).

Ceci dit, Macri n'emportera peut-être pas en paradis électoraliste le fait d'avoir abondé dans le même sens depuis sa somptueuse salle de conférence de l'Hôtel Gouvernemental de Plaza de Mayo, car, sur le palier d'un immeuble des abords du Parque Indoamericano, Página/12 a aussi entendu ça :

“No hay Estado acá. Macri tomó dos decisiones, afeitarse el bigote y casarse. La presidente se borró. Ellos nos invadieron, son millones. Vas a la escuela y no podés anotar a los chicos porque hay 600 bolivianos, vas al hospital y no hay camas por culpa de estos negros”

"Il n'y a pas d'Etat ici. Macri a pris deux décisions : se raser les moustaches et se marier. La Présidente s'est évaporée. Eux ils nous ont envahis, ils sont des millions. Tu vas à l'école et tu ne peux pas inscrire tes petits parce qu'il y a 600 Boliviens, tu vas à l'hôpital et il n'y a pas de lit à cause de ces cons" (2).
(Traduction Denise Anne Clavilier)

La Présidente, qui vient de quitter les vêtements de deuil, ne s'est pas si évaporée que cela : sur cette affaire même, elle a ordonné qu'il y ait une enquête administrative dans les rangs de la Police Fédérale au sujet des tirs qui ont eu lieu mercredi, faisant deux morts parmi les expulsés du Parque Indoamericano. Et son ministre de la Justice et de l'Intérieur (les deux sont confondus en Argentine), Julio Alak, a fermement refusé à Mauricio Macri de faire donner à nouveau la Police Fédérale sur place, laissant Macri se débrouiller seul.

Il est aussi important de remarquer que le quotidien libéral, l'un des principaux journaux d'opposition à la Présidente et d'appui, jusqu'à il y a peu à Mauricio Macri, a fait paraître un édito où il renvoie les deux acteurs dos à dos en les disant victimes l'un et l'autre de leurs erreurs respectives. Et ce n'est pas la première fois que La Nación lâche Macri. Il n'en reste pas moins que le journal qui dénonce le plus fermement le recours aux idées xénophobe, c'est Página/12 et Buenos Aires Económico (qui le fait en première page, voir l'illustration), tandis que Clarín et La Nación font comme si ces propos étaient un détail des plus secondaires.

Et l'Université Populaire Madres de Plaza de Mayo a publié dans l'après-midi un communiqué pour dénoncer les propos de Mauricio Macri. La partie du bidonville dont les habitants ont été expulsés par les Pouvoirs Publics mercredi était bâtie par la Fondation Madres de Plaza de Mayo.

Pour lire le communiqué, cliquez sur l'image.

Pour aller plus loin :
lire l'article principal de Página/12 (intitulé de De l'huile sur le feu, comme vous pouvez le lire sur l'illustration)
lire l'article de Página/12 sur les affrontements eux-mêmes
lire l'article de La Nación sur l'enquête réclamée par Cristina Fernández

(1) Voici le texte intégral, qui mérite d'être lu et relu par les temps qui courent, que ce soit chez nous en Europe ou là-bas en Argentine :
J'suis pas un imbécile ! Moi, j'aime pas les étrangers ! Non!
Parce qu'ils viennent manger le pain des Français !
Oui ! J'aime pas les étrangers ! C'est vrai, c'est comme ça, c'est physique !
Et pourtant, c'est curieux, parce que, comme profession, je suis douanier ! Alors, on devrait être aimable et gentil avec les étrangers qui arrivent. Mais moi, j'aime pas les étrangers ! Ils viennent manger le pain des Français !
Et j'suis pas un imbécile ! Puisque je suis douanier !
Je peux écrire ce que je veux sur des papiers, j'aurai jamais tort ! J'ai le bouclier de la Loi ! Parce que je suis douanier ! Je peux porter plainte contre n'importe qui, je suis sûr de gagner en justice !
J'suis pas un imbécile ! Je suis Français ! Oui ! Et je suis fier d'être Français ! Mon nom, c'est Koulakerstersky du côté de ma mère et Piazanobenditti, du côté d'un copain à mon père !
Dans le village où j'habite, on a un étranger. On l'appelle pas par son nom !
On dit : "Tiens ! v'là l'étranger qui arrive !" Sa femme : "Tiens ! v'là l'étrangère !"
Souvent, j'lui dis : "Fous le camp ! Pourquoi qu'tu viens manger le pain des Français ?" Un étranger !...
Une fois, au café, il m'a pris à part. J'ai pas voulu trinquer avec lui, un étranger, dites donc ! Je vais pas me mélanger avec n'importe qui !
Parce que moi, j'suis pas un imbécile, puisque je suis douanier !
Il m'a dit : "Et pourtant, je suis un être humain, comme tous les autres êtres humains, et..."
Évidemment ! Qu'est ce qu'il est bête, alors, celui ci !
"J'ai un corps, une âme, comme tout le monde... "
Évidemment ! Comment se fait-il qu'il puisse dire des bêtises pareilles ! Enfin, du haut de ma grandeur, je l'ai quand même écouté, cette espèce d'idiot !
"J'ai un corps, une âme... Est ce que vous connaissez une race où une mère aime davantage, ou moins bien, son enfant, qu'une autre race ? Nous sommes tous égaux. »
Et là, j'ai rien compris à ce qu'il a voulu dire... Et pourtant j'suis pas un imbécile, puisque je suis douanier ! "Fous le camp ! Tu viens manger le pain des Français !"
Alors, un jour, il nous a dit : "J'en ai ras le bol !" Alors, il est parti, avec sa femme et ses enfants. Il est monté dans un bateau, il est allé loin au-delà des mers.
Et, depuis ce jour là, on ne mange plus de pain...
Il était boulanger!
Heureux !, Fernand Raynaud, éditions de la Table Ronde et de Provence, 1975, France (ouvrage épuisé)
(2) Le terme negros ici est une insulte d'une extrême vulgarité. Ce n'est pas toujours le cas avec cet adjectif qui est bien souvent employé dans un sens très affectueux ou très gentil. C'était le surnom donné à la chanteuse Mercedes Sosa, la Negra, le surnom donné aussi au bandonéoniste et chanteur Rubén Juárez, qu'on appelait familièrement El Negro Juárez... Ici, si ce monsieur emploie ce terme, c'est dans une intention clairement raciste : ce sont des negros parce que ce sont majoritairement des Indiens et qu'entre eux, les occupants du parc parlent guarani plus volontiers qu'espagnol. Dans l'article de Página/12, on voit clairement que les immigrés n'ont pas été en reste de violences verbales et d'insultes et qu'il y a eu des coups provenant de tous les côtés.