Jorge Rafael Videla est l'ancien dictateur qui prit le pouvoir en Argentine en 1976, après avoir renversé la Présidente constitutionnelle (mais elle-même fort peu démocratique pourtant) Isabel Perón, la troisième femme de Perón qui lui avait succédé après sa mort, en sa qualité de Vice-Présidente.
Videla avait déjà été condamné à perpétuité une première fois en 1985, lors du tout premier procès contre les militaires de la Junte au pouvoir entre 1976 et 1983. Il avait très vite bénéficié d'un régime de faveur, mis en résidence surveillée, puis avait été grâcié par Carlos Menem, lors de l'amnistie générale du début des années 1990, lorsque l'on croyait encore que la négation de ce qui s'était passé pendant huit années était un bon moyen d'assurer la justice et de réconcilier le pays.
En 2003, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, Néstor Kirchner, qui vient de mourir, le 27 octobre (voir mes articles sur ce décès et les réactions politiques et populaires qu'il a déclenchées), a fait réouvrir tous les dossiers judiciaires les uns derrière les autres pour autant que les parties civiles pouvaient apporter des faits nouveaux qui n'avaient pas déjà fait l'objet des premiers procès (car l'effet de ceux-ci ont été cassés par des voies démocratiques, qui sont donc irrécusables).
Massera, dernièrement, a échappé au jugement, il est mort à l'hôpital naval, protégé par un avis médical qui le disait atteint de démence sénile, à tort ou à raison (voir mon article du 9 novembre 2010 à ce sujet).
Cette fois-ci, le nouveau procès contre Videla, pour la mort de 31 prisonniers politiques exécutés sans procès à Córdoba, sous la dictature, aboutit à une condamnation à perpétuité pour lui et pour Benjamín Menéndez et à d'autres peines pour les 21 autres inculpés, tous policiers ou militaires, coupables d'avoir organisé et mis en oeuvre ces fusillades. Les peines prononcées envoient les condamnés en prison de droit commun. Menéndez, cependant, y échappera peut-être car son jugement est assorti de l'examen par une commission médicale de son état de santé qui devra dire s'il est compatible avec le régime carcéral ordinaire.
La veille du verdict, mardi, Videla avait à nouveau invoqué pour sa défense la légitimité de la guerre patriotique contre les ennemis intérieurs et les forces subversives, bref le énième remake des discours qu'il a toujours tenus lorsqu'il était au pouvoir et derrière lesquels il s'est toujours abrité pour justifier la violence du régime qu'il avait mis en place.
Pour l'heure, tout laisse à penser qu'il pourrait bel et bien mourir en prison, sans bénéficier de commutation de peine en résidence surveillée comme ce fut le cas dans le passé.
Les organisations de droits de l'homme ont fêté le verdict qui intervient après presque 6 mois de procédure orale répartis en 63 jours d'audience, où ont défilé 100 témoins à charge. L'article de Página/12 met mal à l'aise par le ton de vengeance qui s'en dégage mais la sentence arrive 27 ans après le retour de la démocratie et c'est long pour les victimes. De l'autre côté des Andes, ce procès n'aura pas eu lieu puisque la mort de Pinochet aura éteint la cause avant l'ouverture de audiences.
Les unes des quatre grands quotidiens généralistes nationaux, La Prensa (libéral pro-patronal et anti-gouvernemental), La Nación (libéral intellectuel et culturel et anti-gouvernemental), Clarín (en lutte ouverte avec le Gouvernement pour des raisons internes au groupe) et Página/12 (à gauche toute, pro-gouvernemental), montrent les priorités de traitement et elles sont très différentes d'un journal à l'autre. Seuls Página/12 et La Prensa mettent en valeur, par l'image, l'information sur la conclusion de ce procès comme vous pouvez le constater. Clarín et La Nación préfèrent donner la vedette à la canicule et aux coupures d'électricité (à cause de la surconsommation des appareils de climatisation et des ventilateurs).
L'agence de presse nationale Telam met en ligne sur son site l'énoncé du verdict : la condamnation de Videla donne lieu à des applaudissements partisans que le Président de la Cour est obligé de faire taire. Il faudra encore beaucoup de temps à l'Argentine pour digérer son passé.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín
lire la dépêche de Telam (et regarder la vidéo, très instructive)
consulter également le dossier multimédia monté par Clarín sur le procès de 1985
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