Hier, vers midi, la Présidente argentine, Cristina Fernández de Kirchner a enregistré son discours de voeux. C'est le premier depuis l'arrivée au pouvoir de Néstor Kirchner en décembre 2003 (il faut dire aussi que pendant longtemps décembre a aussi été le mois anniversaire de la grande catastrophe économique de 2001, ce qui n'était pas de très bon augure pour la politique). Le message a été diffusé sur Canal 7, la chaîne généraliste publique argentine, et sur Radio Nacional, dans la soirée d'hier.
Photo officielle diffusée par les services de la Présidence argentine. Cliquez sur l'image pour l'obtenir en résolution originale.
La Présidente, très en beauté et portant le deuil avec son élégance de toujours, s'est félicitée des progrès économiques accomplis par le pays en cette année du Bicentenaire. Elle a rappelé la croissance de l'activité économique générale (un taux de 9,1% au troisième trimestre 2010), la baisse du taux de chômage qui est revenu maintenant à 7,4% (1), l'augmentation des réserves fédérales en dollars américains (2), la hausse de la consommation dans les couches populaires (voir mon article sur les augmentations de prix dues à la spéculation sur la hausse de la demande). Elle a aussi célébré les progrès en matière de droits de l'homme, avec l'événement phare de cette fin d'année qui fut la seconde condamnation à perpétuité de Rafael Videla (3) (voir mon article du 23 décembre 2010 à ce sujet), le putchiste de 1976, une première fois gracié par l'ancien Président Carlos Menem, actuellement sénateur et menacé d'une peine de prison ferme de 5 ans pour trafic d'armes avec la Croatie et l'Equateur (4).
La Présidente a également rappelé le souvenir de son mari, décédé le 27 octobre dernier et dont on pouvait voir deux photos derrière elle (au fond, contre la fenêtre une photo de famille, prise sans doute dans le jardin de la maison familiale de Río Gallegos, et à droite, dans une maquette de panneau officiel de la Ville de Buenos Aires, avec un slogan, Fuerza Cristina, soit "Courage, Cristina", en français). S'exprimant comme d'habitude sans note ni prompteur, elle a a nouveau montré son talent d'oratrice en ne citant jamais le nom du disparu et en étouffant son émotion, bien mieux que ce qu'elle était parvenue à le faire lors de son message du 1er novembre (voir mon article du 3 novembre 2010 à ce propos). Elle a en particulier demandé à tous les Argentins de penser pendant ne serait-ce qu'une seconde à "lui" (pensar en él) à minuit, au moment de porter un toast à la nouvelle année, même à "ceux qui ne l'aimaient pas" pour le dévouement et l'abnégation qu'il a toujours montré pour le pays et dont elle a à nouveau promis qu'elle en ferait son modèle pour tout le restant de son action politique.
A 14h10, la Présidente, accompagnée de sa fille, âgée de 20 ans, s'est envolée pour la Patagonie. La famille passe le Réveillon de Nouvel An (Nochevieja) à Río Gallegos, la ville dont Néstor Kirchner était originaire, où il fut Gouverneur de la Province Santa Cruz avant de devenir Président et où il repose depuis la fin octobre dans le caveau familial. La Présidente revient aux affaires dès lundi, sans prendre de vacances, ce qui bien sûr impose un certain respect.
Il n'en est pas moins vrai que ce message est repris et commenté de façon diamétralement opposée selon les options politiques des rédactions qui s'en font l'écho. Vous trouverez un article élogieux dans Página/12 (on s'y attendait) et des propos grinçants et parfois d'une mauvaise foi un peu irritante dans Clarín et La Nación (rien de vraiment étonnant non plus). Il n'y a pas l'ombre d'un doute que les quotidiens sont déjà en train de batailler, chacun dans son camp idéologique, dans le cadre de la campagne. L'année 2011 s'annonce agitée.
Pour aller plus :
Lire le discours et voir la vidéo du message télévisé sur le site de la Casa Rosada
Lire l'article de Clarín
Lire l'article de La Nación, qui a aussi mis en ligne une chronologie des 60 faits les plus marquants de l'année 2010.
(1) Un taux très bas pour l'Argentine, dont il faut se souvenir qu'elle était totalement ruinée il y a seulement 9 ans. Il y a bon nombre de pays européens qui aimeraient afficher un tel pourcentage. Juste avant la crise mondiale déclenchée en octobre 2008 juste après la présidence de Néstor Kirchner (2003-2007), le taux de chômage en Argentine était de 7,3%.
(2) Evaluées à plus de 5000 millions de USD que le solde constaté en début d'année. Pourtant il y a un an, le changement de mandataire à la tête de la Banque Centrale de la République Argentine avait fait craindre le pire pour la santé monétaire et financière de l'Etat. (Voir mes articles de l'été dernier sur ce conflit qui a opposé la Présidente à l'ancien Directeur de la BCRA).
(3) Libre à l'auditeur d'élargir les exemples. Il est sûr qu'un bon nombre d'Argentins ont à l'esprit en ce moment les enquêtes qui ont suivi la mort de Mariano Esteban Ferreyra, un manifestant ouvrier, tué lors d'une occupation de voies de chemin de fer, à la mi-octobre (lire mes articles sur ce scandale de sécurité publique) et celles qui suivent les incidents de Villa Soldati et de Villa Lugano, quand, en décembre, des immigrés venus de pays voisins, plus au nord, se sont installés illégalement sur le domaine public, déclenchant par là-même des violences épouvantables de la part des habitants de ces quartiers, toutes les parties ayant été visiblement manipulées par des gangsters en quête de profits et/ou des hommes de main servant des intérêts politiques bien peu démocratiques (voir mes articles sur ces incidents en cliquant sur ce lien).
(4) Il y a quelques jours, le Procureur a requis une peine de prison ferme, comme la Direction des Douanes; qui avait déjà réclamé une condamnation à 5 ans de détention (voir mon article du 8 décembre 2010 sur ce sujet). Le verdict, mis en délibéré (ou plutôt la procédure équivalente en droit argentin), devrait être prononcé en avril 2011. Carlos Menem n'en aura pas fini avec ses ennuis judiciaires pour autant. Il est également poursuivi dans l'enquête sur l'attentat de l'AMIA, qui a fait 85 morts, la plupart juifs, à Buenos Aires, en 1994, et dont le Hezbollah est suspecté d'être l'instigateur : l'ancien président play-boy est accusé d'être le complice actif des poseurs de bombe. Rien que ça ! C'est aussi la politique économique de Carlos Menem qui a précipité l'Argentine dans le chaos de décembre 2001. Il faut aussi savoir que le même Menem est l'un des caciques du Partido Justicialista les plus opposés aux Kirchner, mari et femme. Ses fidèles, bâtis sur le même modèle que leur mentor, continuent à causer du souci à l'actuelle Présidente.