Samedi, je vous parlais du lynchage d'un jeune immigrant qui avait été tiré de l'ambulance qui le conduisait à l'hôpital par un groupe de provocateurs probables qui l'aurait abattu (lire mon article du 11 décembre 2010). Je vous avais signalé les détails inhabituels qui m'avaient sauté aux yeux à la consultation des journaux : un homme dont était donné l'âge mais ni l'identité ni la nationalité (alors que son âge en faisait un majeur selon la loi argentine), le témoignage d'un médecin dont on ne savait pas à quel titre il avait assisté à l'agression (puisque le SAME, le service d'intervention médicale d'urgence, avait dit que le médecin envoyé sur place avait, lui, dû être hospitalisé en état de choc), et puis cette photo étonnante d'un corps ensanglanté au milieu d'un cercle de voyeurs, sans proche parent ni ami manifestant près de lui sa douleur de sa mort ou son angoisse pour sa santé, situation peu ordinaire dans la presse argentine et hispanique en général qui n'est jamais avare d'images choc en la matière. On l'a vu d'ailleurs avec d'autres images, celle de cette Bolivienne éplorée qui cherchait son mari et dont pas une expression d'angoisse ne nous aura été cachée.
Dès ce week-end, des bruits couraient selon lesquels cet incident d'une violence inouïe n'aurait en fait jamais existé.
La lecture des journaux aujourd'hui n'apporte pas encore de réponse définitive à cette importante question : y-a-t-il eu un lynchage, oui ou non ? La survenue d'un lynchage et qui plus est de celui d'un blessé déjà en route vers un hôpital n'est pas un événement anodin dans un phénomène d'émeutes urbaines comme celui qui vient de secouer Buenos Aires. Si lynchage il y a eu, qui s'en est rendu coupable ? Un petit groupe d'Argentins pauvres pris soudain d'un coup de folie (où avaient-ils trouvé les armes de poing dont ils étaient armés, d'où leur venait cette rage de pointer leur flingue contre l'ambulancier pour arrêter le véhicule et oser en extirper physiquement le blessé sous les yeux des soignants pour l'assassiner de sang-froid ?) ou une bande de gros bras payés pour créer l'incident capable de faire basculer le quartier dans l'anarchie la plus complète ? Et si le lynchage est une falsification et un trucage, alors à qui profite la supercherie ? Contre qui a-t-elle été montée ? Contre le Gouvernement Fédéral ou contre le Gouvernement portègne ? Et pourquoi l'honorable Directeur du SAME (Sistema de Atención Médica de Emergencia) aurait-il fait une fausse déclaration d'une telle teneur à la presse ? (1).
La lecture des journaux de ce matin n'apporte donc aucun éclairage. On se noie entre les déclarations contradictoires et variantes de l'association des Boliviens à Buenos Aires qui prétend qu'il y a eu lynchage puis se rétracte, du Procureur, qui dément avoir été saisi d'une telle affaire, et du directeur de la morgue qui déclare n'avoir jamais reçu un corps correspondant à la série de photos publiées par la presse samedi matin. Des parents (boliviens) du prétendu mort disent qu'il l'ont rencontré depuis et qu'il se porte comme un charme mais l'intéressé lui ne se montre en public, debout et vivant. Un ensemble de détails a retenu mon attention aujourd'hui : c'est le journal Página/12 qui a mis le plus l'accent sur le lynchage samedi et une certaine émotion régnait même dans la rédaction ce jour-là puisque, fait rarissime, les liens internet avaient été intervertis entre plusieurs articles et leurs titres respectifs sur le site du quotidien. C'est Clarín et La Nación qui avaient relégué l'info au second plan pour porter l'accent sur d'autres aspects du conflit. Or Página/12 est favorable au Gouvernement péroniste de Cristina Kirchner. Clarín et La Nación lui sont (très) hostiles, chacun pour des motifs différents. Il se trouve que c'est Página/12 qui donne ce matin l'information la plus fournie et la plus fouillée dans son article de ce matin sur son site en mettant en évidence les contradictions et les incohérences entre les déclarations divergentes des personnes autorisées. Hier soir, dans sa dernière mise à jour sur son site à 22h18, disponible ce matin encore (heure de Paris), Clarín annonçait, lui, en titre d'article, la confirmation du lynchage. Quant à son gros titre principal, toujours à la dernière heure hier soir (22h18), il était rédigé d'une manière soigneusement ambiguë : "Les tensions dûes aux squatts continuent : on annonce qu'il y a plus de 13 000 squatteurs à Villa Soldati". Or en s'exprimant ainsi, Clarín joue sur les mots : quand le lecteur lit "Villa Soldati", dans le contexte actuel, il comprend immédiatement "Parque Indoamericano" et non pas "totalité du territoire du quartier de Villa Soldati".
Selon les chiffres du Ministère du Développement Social, le décompte qu'ils ont effectués dans le campement de fortune du Parque Indoamericano s'élève à 5866 personnes, ce qui est déjà beaucoup et plus qu'on ne pensait.
Je vous laisse donc vous faire votre propre idée sur ce qui a pu se passer et sur la fiabilité du traitement de l'information de chacun des deux rédactions concurrentes de Página/12 et de Clarín :
lire l'article de Página/12 (édition de ce matin, à l'aurore)
lire l'article de Clarín (dernière édition d'hier soir)
voir le site du SAME portègne.
Ajout du 15 décembre 2010 :
Le Gouvernement a annoncé que Julio Valero s'est manifesté. Il est vivant. Il s'était réfugié chez un ami de peur que la police argentine le recherche. Il s'agissait donc bien d'une désinformation volontaire auquel le Directeur du SAME (qui dépend du Gouvernement portègne) a participé (volontairement ou à son insu) puisqu'il a raconté n'importe quoi à la presse et les photos présentées samedi à la une de tous les journaux, de la majorité comme de l'opposition, doivent être des montages ou des mises en scène. Ce sont des journaux de l'opposition qui se font l'écho des propos du Premier Ministre, tenus ce matin à la télévision.
Lire l'entrefilet de La Nación du 15/12/10.
Lire l'article de La Razón du 15/12/10
Ajout du 15 décembre 2010 :
Le Gouvernement a annoncé que Julio Valero s'est manifesté. Il est vivant. Il s'était réfugié chez un ami de peur que la police argentine le recherche. Il s'agissait donc bien d'une désinformation volontaire auquel le Directeur du SAME (qui dépend du Gouvernement portègne) a participé (volontairement ou à son insu) puisqu'il a raconté n'importe quoi à la presse et les photos présentées samedi à la une de tous les journaux, de la majorité comme de l'opposition, doivent être des montages ou des mises en scène. Ce sont des journaux de l'opposition qui se font l'écho des propos du Premier Ministre, tenus ce matin à la télévision.
Lire l'entrefilet de La Nación du 15/12/10.
Lire l'article de La Razón du 15/12/10
(1) Le SAME à Buenos Aires dépend bien entendu des pouvoirs publics locaux, comme chaque SAME. En aucun cas, il ne peut dépendre du système fédéral. C'est l'échelon provincial, au plus près du terrain, qui gère ce service. A Buenos Aires, le niveau local est le Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires (représenté par son sigle argentin GCBA dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus).